Fyctia
Chapitre 27
Le générique de Starsky et Hutch retentit avec force dans le salon, Legrand est dans l’obligation de se lever de son canapé pour diminuer le volume du téléviseur.
Un froid glacial règne sur la ville et ne lui donne aucune envie d’aller prendre l’air. Le poêle à fioul diffuse une douce chaleur et apporte un réel réconfort malgré son odeur de pétrole brûlé, alors Ernest s’installe dans le canapé le plus proche et fixe son regard sur l’écran. Sa posture donne l’impression que son cerveau est concentré sur l’épisode en cours, mais il n’en est rien.
L’agression qu’il a vécue la semaine précédente le hante, son âme ne connaît aucun répit.
Le plus inquiétant, à ses yeux, ce n’est pas tant la balafre sur sa joue que l’origine de cette attaque.
Ce qu’il a besoin de savoir, c’est l'identité de l’agresseur ! Les hypothèses les plus diverses se carambolent dans son esprit. A-t-il été l’innocente victime d’un rôdeur, d’un psychopathe avide de chair fraîche ?! Ou est-ce l’œuvre d’un mari jaloux, puisque Legrand s’autorise parfois un petit moment privilégié avec l’une de ses collègues ? À moins ce que cela soit les stigmates de son ancienne vie de famille ? Mais dans ce cas, qui aurait fait le déplacement ? Pas Emmanuel, trop mou de caractère pour ça ! Les filles, ou Marthe ? Certainement pas ! Elles ont un tempérament sombre, mais seraient bien incapables de passer à l’acte !
L’espace d’un instant, Legrand soupçonne Pierre d’avoir fait le déplacement pour venir régler les comptes. S’il ignore, à cet instant, la mort de son ancien ami, Ernest imagine les motivations qui auraient pu pousser l’homme à ce geste brutal. Une vengeance, au nom des enfants ? L’envie d’impressionner Marthe ? Non, décidément, cela n’avait aucun sens. Si l’on avait dû le punir pour sa sexualité passée, cela aurait été fait bien avant !
D’ailleurs, lorsqu’il pense à ses anciens travers, le père se revoit, comme à travers des flashs, caressant les cheveux de Marianne ou retirant ses vêtements à Marie.
À chaque réminiscence, il est pétri de culpabilité, mais une sombre excitation le gagne à nouveau. Ces instants lui manquent, bien qu’il se défende de cette idée, mais les signaux que lui envoie son corps le lui font comprendre. Sa température corporelle augmente, ses mains deviennent plus fébriles et le plus souvent, une érection vient signer son envie fatale.
C’est dans ces moments-là qu’il est le plus dur avec Laurette, comme s’il reprochait à son épouse d’être une femme adulte, incapable de répondre à ses besoins. Là, il devient critique, toujours brusque, parfois haineux.
La voix de sa femme se fait entendre et le tire de ses pensées :
– Tu as placé les cadeaux pour Philippe et sa femme sous le sapin ?
– Mais oui ! Ne t’inquiète pas ! Ton frère et sa potiche ont chacun leur paquet en attente.
– Ernest, je t’en prie ! C’est ma seule famille alors si tu pouvais faire un effort pour qu’ils se sentent bien accueillis !
– Aucun problème ! Je vais en prendre soin, de tes tourtereaux ! Qu’est-ce qu’ils ont l’air niais à se tenir par la main en permanence ! Et un petit bécot par-ci, un petit bécot par là… plus guimauve que ça, tu meurs !
– Ben oui ! Philippe est un gentil, un homme romantique ! Maman nous a élevés comme ça, c’est pas si grave quand même !
Legrand s’éloigne en laissant échapper un petit rire moqueur.
Une heure plus tard, Laurette a enfilé ses chaussures à talons, s’est repoudré le nez, a masqué un petit hématome sur son avant-bras à coups de fond de teint, tandis que Legrand, lui, n’a fait aucun effort vestimentaire. Il porte le même pantalon en tergal gris que la veille, le pull col V qu’il a sur le dos depuis deux jours. De temps à autre, il peut lui arriver d’être coquet, mais pas pour sa belle-famille. Son allure négligée est un pied de nez passif à ces gens qui l’agacent.
Le repas se déroule comme celui de l’année précédente, avec quelques conversations convenues de la part d’Ernest et quelques sourires francs entre Laurette et Philippe, soudés par une enfance pauvre, mais pleine d'amour. Agnès, la compagne de Philippe, intervient peu, écoute beaucoup et tente d’être agréable à chacun.
Dès l’apéritif, la joue d’Ernest a bien-sûr fait l’objet de questions :
– Laurette m’a dit que tu étais tombé dans l’escalier de l’immeuble, mais dis-moi, la coupure est très fine pour avoir été faite par l’arête de la marche ? Tu as vu le médecin ? Il n’a pas voulu te faire quelques points de suture ?
– Pas besoin de déranger un toubib pour si peu ! Je te rappelle que j’étais déjà né pendant la guerre, j’en ai vu d’autres !
– Si tu le dis ! En attendant, si tu gardes une cicatrice, tu vas être marqué comme du bétail, on dirait qu’on t’a collé un numéro ! Remarque, c’est bien, le « un » ! Tu dois être premier de ta catégorie !
Legrand ne tente même pas de cacher le regard noir qu’il jette à son beau-frère et ne prend pas la peine de répondre. L’ambiance est de nouveau plombée, les conversations s’étiolent jusqu’à la fin du repas, jusqu’à ce que le couple avale un dernier café et prenne congé.
Immédiatement après leur départ, Ernest abreuve Laurette de reproches quant au comportement et aux propos de Philippe :
– C’est terminé ! Je veux bien être gentil, mais ton nigaud, c’est la dernière fois que je l’invite ! Quelle indélicatesse ! Je lui en pose, moi, des questions, sur sa tronche ?
– Ernest ! Il n’avait aucune mauvaise intention, je t’assure !
Pour la peine, Laurette reçoit une gifle qui vient faire s’entrechoquer ses dents. Elle fait demi-tour et part pleurer dans la salle de bains.
La semaine de congés des deux fonctionnaire s’étire avec lenteur, dans un sentiment d’aigreur et de reproches mutuels. Chacun vaque à ses occupations pour éviter de croiser l’autre, tous deux comptent les jours qui les séparent d’un retour au travail.
Quand arrive le jour tant attendu , Legrand se rase, se parfume et observe sa cicatrice dans le miroir. La finesse relative du trait le rassure un peu, il imagine que dans quelques temps, plus personne ne le questionnera sur le sujet.
D’un pas décidé, il quitte le parvis de l’immeuble, se dirige vers la mairie d’Orléans, cette fois en évitant le parc municipal. Ce retour à la vie sociale le motive, il abandonne ce qu’il considère comme sa prison conjugale, mais cette sortie ravive aussi le sentiment d’angoisse qui l’a assailli lors de son agression.
Les différentes hypothèses quant à l’identité de son agresseur rejaillissent, il tente de les éliminer une à une. L’attaque par un rôdeur, il le sait, est incohérente avec le mot trouvé dans sa poche.
Une vengeance de son ancienne famille lui paraît tout aussi improbable. Il n’a plus de contact avec eux et si on avait voulu sa peau, on l'aurait agressé depuis longtemps.
Reste le mari de Claire, la collègue avec laquelle il disparaît parfois lors des pauses déjeuner.
L’évidence lui apparaît, alors, il décide que, dès son arrivée à la mairie, il ira parler à la jeune femme. Il lui expliquera que tout est fini.
15 commentaires
chanCou
-
Il y a 2 ans
cedemro
-
Il y a 2 ans
Karen Kazcook
-
Il y a 2 ans
Sylvie Marchal
-
Il y a 2 ans
sophie loizeau
-
Il y a 2 ans
sophie loizeau
-
Il y a 2 ans
Sylvie Marchal
-
Il y a 2 ans
Hanna Bekkaz
-
Il y a 2 ans
Sylvie Marchal
-
Il y a 2 ans
Duten
-
Il y a 2 ans