Sylvie Marchal Marie Chapitre 20

Chapitre 20

La maisonnette de Gérald lui semble bien vide depuis le départ d’Ernest Legrand. Si, habituellement, le concierge apprécie le calme et le silence, il avait appris à savourer cette compagnie inattendue, à partager un verre de rouge avec un ami, en guise de récompense après sa journée de travail. Bien que parfois taciturne, ce compagnon de régiment retrouvé était aussi le symbole d’une deuxième jeunesse, du retour à l’époque de leurs vingt ans, avec toutes les fantaisies qu’ils avaient partagées. L’évocation des sorties au bowling ou dans les bars proches de la caserne avait sur eux un effet revigorant, comme un bain de jouvence arrosé de grands coups de grenache.


Quand Ernest Legrand a annoncé à son ami qu’il allait s’installer chez Laurette, le concierge s’est surpris à ressentir un petit pincement au cœur, presque comme s’il vivait une forme d’abandon, mais il s’était bien gardé de le dire. Si Ernest avait été mis dehors par son épouse, une sacrée matrone d’après ses dires, on ne pouvait que lui souhaiter un peu de bonheur pour les années à venir. Il venait de tomber sur une femme très douce, à l’écoute de ses besoins, toujours pleine d’attention pour chacun. Un vrai diamant qui ne demandait qu’à refléter la lumière sur les humains qui l’entouraient, une rareté digne des plus grands égards !


C’est d’ailleurs elle qui a proposé à Gérald de se joindre au couple pour le repas de ce samedi soir, « sans chichis », a-t-elle précisé.


À l’heure dite, Gérald se présente devant l’appartement qui est désormais celui de Laurette et Ernest, sonne, puis tend à son ami la bouteille de whisky qu’il a apportée pour l’occasion. Une poignée de main virile, une accolade, et la soirée peut commencer.


En se dirigeant vers la salle à manger, Gérald fait une halte devant la cuisine, y aperçoit une Laurette coquette et apprêtée avec un rouge à lèvres carmin et ses cheveux joliment ramassés en chignon sur sa nuque fine. Seul le tablier blanc qui lui ceinture la taille rappelle qu’elle est une ménagère, car son allure, ce soir, est particulièrement élégante.


Le concierge lance, avec un sourire :

– On dirait que l’amour lui fait du bien, à ta Laurette ! Je ne l’avais jamais vue aussi apprêtée, elle est vraiment transformée ! Faut croire qu’elle a envie que tu la trouves belle chaque jour, elle veut te garder, mon gars !

– Je te rassure, elle n’est pas déguisée comme ça au quotidien, ça ferait trop, tu ne crois pas ? Je ne voudrais pas qu’on la prenne pour une fille de joie ! J’arrive à peine dans cette ville, je n’ai aucune envie que les gens jasent derrière mon dos. Toi qui la connais depuis longtemps, tu peux me le dire sans détour. Est-ce qu’elle a eu beaucoup de gars avant moi ? Je sais bien qu’elle était seule tant qu’elle s’est occupée de sa mère, mais avant ? Pas de réputation de roulure qu’on m’aurait cachée ?


Gérald blêmit, le discours de son camarade lui fait l’effet d’un électrochoc. D’habitude, Ernest est plutôt discret, presque taiseux, mais l’odeur d’alcool qui émane de son haleine semble éclairer ce soudain dérapage.


Ce qui le surprend, c’est le contenu de ses propos, car, plus jeune, son camarade appréciait pleinement les demoiselles apprêtées, celles dont le parfum pouvait transformer n’importe quel homme en chevalier servant, celles qui, d’un battement de cils, donnaient des papillons dans le bas-ventre. Alors, à quel moment et pour quelles raisons ce revirement s’est-il opéré ?


– Heu, je… Enfin, ce que je veux dire, c’est que je ne comprends pas bien ta question. Laurette est une femme respectable et respectée et je sais qu’elle est très amoureuse de toi. Jamais elle n’aurait ouvert sa porte et sa vie à quelqu’un aussi rapidement si elle n’avait pas été sûre de ses sentiments !

– Ouais, mais quand-même ! Ce rouge à lèvres, cette robe… Tu ne vas pas me dire que tu trouves pas ça vulgaire ?


Gérald, stupéfait et dérouté, s’apprête à ouvrir la bouche pour protester lorsque Laurette entre dans la pièce, tenant à deux mains le plat de porcelaine blanche dans lequel trône le repas qu’elle a préparé.


Presque soulagé de cette interruption, l’invité se tourne vers la maîtresse de maison et la remercie avec précaution, ne sachant plus comment s’adresser à elle sans déclencher les suspicions d’Ernest.

Le nouveau maître de maison, sans doute déjà confit par l’alcool, se sert généreusement dans la bouteille de whisky offerte par son ami. Deux verres, puis trois, Laurette semble surveiller le flacon du coin de l’œil, mais ne proteste pas.


Le reste du repas se déroule sans joie, Ernest Legrand monopolise la parole, raconte ses derniers exploits à la mairie, ses projets pour monter en grade, sans que personne ne vienne l’interrompre. La joie de Gérald Triolet de revoir son ami s’est éteinte et Laurette ne répond plus que par monosyllabe lorsqu’on l’interroge, alors, dès le dessert englouti, le concierge se lève de sa chaise, remercie poliment le couple et prend congé.


Pendant que Legrand avale les dernières gorgées du liquide ambré, Laurette accompagne Gérald dans le couloir afin de lui donner son manteau.


Quelques secondes plus tard, ce dernier marche dans la rue qui le ramène chez lui, heureux de quitter cette ambiance désagréable et pesante, emplit ses poumons de l’air humide et froid de la ville. Ce qu’il a perçu ce soir lui laisse un goût amer, la sensation d’un environnement malsain et froid. Jamais il n’aurait pensé que son ami puisse boire autant, ni que cela puisse le rendre aussi incisif.


Dans la cuisine, Laurette entreprend de ranger le désordre qu’elle a laissé en préparant ce dîner. Ernest ne lui a pas adressé la parole depuis le départ de Gérald et, percevant son état second, elle préfère ne pas aller le provoquer.


Silencieusement, elle s’affaire, essuie la table, emballe les restes pour le repas du lendemain, jusqu’au moment où, saisie par une vive douleur, elle lâche l’assiette qu’elle avait entre les mains. Son cri de douleur éclate en même temps que retentit le bruit de l’arcopal qui se brise sur le sol.


Sa nuque se tord, sa tête penche dangereusement vers son épaule gauche. Ernest vient de l’attraper par les cheveux, il s'approche d'elle jusqu’à amener son souffle aviné dans son oreille pour lui murmurer :

« Espèce de salope ! Tu crois que j’ai pas repéré ton petit manège ? Dis moi, tu as déjà couché avec Triolet ou c’est ce que tu essaies d’obtenir ? »


Terrifiée, Laurette nie, supplie, implore, mais c’est peine perdue. Ernest est hors de contrôle, il profite d’avoir fait ployer sa compagne en la tenant par les cheveux pour la faire chuter au sol. Là, il affermit sa prise pour ensuite la redresser et la traîner jusqu’à leur chambre.


Sans ménagement, il la jette sur leur lit, lui donne une première paire de gifles. Elle recevra les corrections qu’il n’a pas su donner à Marthe.


Laurette, sidérée, ne crie plus, écarquille des yeux qui supplient Ernest de retrouver la raison.



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11 commentaires

bridget40100

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Il y a 2 ans

Quelle catastrophe... Ces monstres ne changent jamais!

cedemro

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Il y a 2 ans

Sale connard ! Désolé, mais impossible de rester poli devant un homme aussi méprisable. Je lui souhaite de rencontrer un voyou en manque qui n'hésitera pas à le planter pour quelques billets... Eh oui, j'en suis rendu là tellement il me dégoûte ! J'espère que Gérard parlera contrairement à Marthe.

sophie loizeau

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Il y a 2 ans

Oh non, il ne lui a pas fallut longtemps pour montrer son vrai visage. Pauvre Laurette. Et Gérald qui sent le monstre sous les paroles d Ernest...

Duten

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Il y a 2 ans

Quelle violence ! Quel monstre!

Geraldinedewt

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Il y a 2 ans

Chasser le naturel, il revient au galop ...

Karen Kazcook

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Il y a 2 ans

Pauvre Laurette... Une ordure restera toujours une ordure !

SandNémi

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Il y a 2 ans

Il sait choisir les gens qui vont l'aider, il sait choisir ses victimes. Les pauvres...

User230517

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Il y a 2 ans

La perversité et l'emprise qui recommencent était prévisibles

Andrée Martin

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Il y a 2 ans

💚

Isabelle Barbé

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Il y a 2 ans

Laurette réagit, mets Ernest à la porte !
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