Fyctia
Chapitre 18
– Je vais m’occuper des petits, au moins ce soir et peut-être pour les jours à venir, le temps des obsèques. Mais après, je disparais à nouveau, hors de question pour moi de renouer avec ma mère.
– C’est tout à ton honneur, Marie. Peu importe pourquoi Marthe et toi, vous vous êtes chiffonnées, mais le plus important aujourd’hui, c’est de prendre soin des plus jeunes. Entre ton père qui vous a abandonnés, ta mère qui se tue au travail et l’accident de Pierre, ces mômes n’arriveront jamais à remonter la pente sans aide ! répond Georges, heureux d’avoir pu mener sa mission à bien.
– Je te suis dans quelques minutes, le temps que Marianne arrive ici. Elle va s’occuper de Guillaume avant que Manu revienne du travail.
Les pleurs du bébé résonnent au fond de l’appartement. Lui qui commençait à s’apaiser redevient nerveux, colérique, depuis que son père a reçu l’appel du gendarme lui communiquant la nouvelle adresse d’Ernest Legrand. Tout laisse à croire que cet enfant ressent les non-dits, les secrets de son entourage.
Marie remercie Georges et le fait patienter pour pouvoir aller s’occuper de son fils, le cajoler en attendant Marianne. Dans la chambre d’enfant, elle soulève délicatement Guillaume de son lit, pose un regard triste sur ses joues rouges de colère et ses yeux pleins de larmes. En le serrant contre elle, elle perçoit les tremblements de son corps, les soubresauts de l’agitation qu’il subit. La jeune maman s’en veut, encore et toujours, car elle reste persuadée qu’elle est coupable, que c’est à cause d’elle que les premiers mois de Guillaume baignent dans ses marasmes familiaux.
Marie est tirée de ses pensées par le bruit de la sonnette qui retentit à nouveau. C’est Marianne, bouleversée tant par la mort de Pierre que par la crainte de savoir son aînée bientôt chez les Legrand.
– Ma belle, comment tu vas ? C’est courageux de ta part de gérer Isabelle, Yvan et Patrick. Tu aurais pu choisir de les ramener ici, à Libourne, plutôt que de vouloir les aller à Blaye, chez les vieux. T’as pas forcément besoin d’affronter ça, encore !
– Merci Marianne, mais je ne veux pas que qui que ce soit de là-bas entre dans mon cocon, pas même les petits ! Ça donnerait un prétexte à la mère pour se pointer à la porte, entrer, voir Guillaume… C’est juste insupportable pour moi.
– Et ce pauvre Pierre ! Terrible, ce qui lui est arrivé ! Je ne te cache pas que ça me fait quand même quelque chose, il était le plus gentil de tous, sans doute.
– Le plus gentil ? Oui, on peut voir ça comme ça. Et peu importe ce qui s’est passé, il n’est plus là, c’est la seule chose à retenir, finalement ! conclut Marie.
Georges s’est mis en retrait, mais il entend quand même chaque mot de la conversation des deux sœurs. Un peu choqué par le peu de respect qu’elles semblent avoir pour leur mère, un peu surpris par la sèche conclusion de Marie sur la mort de Pierre, il soulève les sourcils en dodelinant de la tête et lance :
« Je descends fumer une cigarette ! Je t’attendrai près de ma voiture et ensuite on file récupérer les petits ! »
Marie transmet les dernières consignes à sa sœur, prend le temps d’un rapide passage à la salle de bains pour vérifier son image dans le miroir. Elle est épuisée, ses nerfs ne tiennent que par miracle car chaque accalmie lui semble être vouée à être balayée par une nouvelle tempête. Elle soupire, se remaquille en quelques secondes et s’encourage silencieusement. Puisqu’elle a réussi à survivre jusque-là, elle en sera encore capable. En tous les cas, elle tente de s’en convaincre.
Quand Georges démarre la voiture, Marie reste silencieuse sur le siège passager, tentant de préparer les phrases qu’elle pourra offrir aux plus jeunes, mais surtout celles qu’elles s’autorisera ou non avec Marthe ce soir. Elle a prévu de rester à Blaye jusqu’à l’heure du coucher des enfants, puis Manu viendra la récupérer pour rentrer se mettre à l’abri dans leur nid.
Arrivé devant le collège d’Isabelle, le véhicule se gare et Georges ose enfin rompre le silence :
– Je te laisse y aller seule, c’est sans doute mieux comme ça! De toute façon je ne saurais pas vraiment parler à des gamins de cet age-là ! Et je t’avoue qu’après avoir dû sortir Pierrot de l’eau cet après-midi, je ne suis pas vraiment en état.
– Bien-sûr. Je commence par parler à Isabelle et ensuite on part récupérer Patrick et Yvan. Attends moi ici.
Sur ces mots, Marie quitte la voiture et se dirige vers la grille d’entrée de l’établissement. Les premiers élèves sortent déjà, la cloche vient de sonner. Quand la jeune femme aperçoit sa petite sœur, elle lève le bras et lui fait signe. Le visage de l’adolescente ne dissimule pas sa surprise, puis la joie de revoir son aînée. Isabelle accélère le pas et vient se jeter dans les bras de Marie :
– Mais c’est si bien que tu sois là ! Tu es venue me faire un bisou ? Est-ce que Guillaume et Manu sont avec toi ? Promis, je ne dirai pas à maman que tu es venue !
Marie enlace sa petite sœur avec amour, l’embrasse avant de lui répondre :
– Ils ne sont pas là, ma douce. Guillaume est à la maison avec Marianne et Manu est encore au travail. Si je suis venue, c’est pour te parler.
Isabelle se raidit déjà, inquiète de l’annonce qui va lui être faite. Peu fine et pas très intuitive, elle ne fait aucune supposition et reste suspendue aux lèvres de son aînée. Marie l’entraîne alors à l’écart et lui propose de s’asseoir sur un banc métallique un peu isolé, de l’autre côté de la route.
Au loin, Georges observe la scène, imagine les précautions prises par Marie pour annoncer la triste nouvelle. La jeune femme parle sans qu’Isabelle ne l’interrompe, jusqu’à ce que l'adolescente fonde en larmes et vienne se blottir contre l’épaule de sa soeur.
La voiture redémarre en direction de l’école des garçons, avec Isabelle qui renifle et s’essuie les yeux sur le siège arrière. Déjà éprouvée par ce premier effort, Marie se prépare à devoir faire face au deuxième round. Elle procède de la même manière avec Yvan et Patrick, tend au plus jeune le mouchoir en tissu bleu qu’elle gardait au fond de son sac à main et les accompagne jusqu’à la voiture.
Dès lors, Marie se conditionne pour le round final, elle s’apprête à faire face à sa mère pour la première fois depuis plusieurs semaines. Son estomac se noue, la nausée la prend. Elle sent ses muscles se raidir, mais elle refuse de faillir. La jeune femme n’a plus la force de réconforter les trois jeunes assis derrière elle, alors elle entortille nerveusement une mèche de ses cheveux de jais autour de son doigt, comme un rituel apaisant.
Rapidement, la maison de Blaye apparaît sur le bord de la route. Marie descend la dernière du véhicule et ferme la marche. La petite troupe n’est pas encore arrivée sur le perron que la porte s’ouvre et Marthe apparaît :
« Mes chéris, mon Dieu, mes chéris ! Venez vite. Marie, merci d’avoir veillé sur les enfants. Entrez tous ! »
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cedemro
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Il y a 2 ans
sophie loizeau
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Il y a 2 ans
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User230517
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Il y a 2 ans
Karen Kazcook
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Sylvie Marchal
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mariecrt
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Sylvie Marchal
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SandNémi
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Il y a 2 ans