Sylvie Marchal Marie Chapitre 15

Chapitre 15

L’humidité de l’automne ne donne pas envie de mettre le nez dehors et c’est à regret que le concierge de l’immeuble s’avance sur le trottoir pour revisser la poignée défaillante de la porte d’entrée. Après cinq minutes de lutte acharnée, l’homme arrive enfin à vaincre la matière et à redonner ses lettres de noblesse au sas d’entrée. La locataire du troisième étage passe dans son dos au même moment, le salue et lui lance avec entrain :

– Mais que ferions nous sans vous, Monsieur Triolet ? Vous êtes notre sauveur, chaque jour que Dieu fait ! Une perle, je vous dit !

– Madame Piguet, vous avez toujours un mot gentil, c’est un plaisir de travailler dans cette résidence !


La vieille dame s’éloigne tranquillement, son cabas de courses sous le bras tandis que Gérald Triolet retourne dans la maisonnette qui lui sert de loge, au fond de la cour intérieure de l’immeuble.

Assis sur une chaise de cuisine, un homme l’attend:

– Alors c’est réparé ? Tu as toujours été un as de la bricole, tu as de l’or dans les mains ! Ils peuvent s’estimer heureux, tes patrons, tu dois leur permettre de sacrées économies !

– C’est normal, tu sais ! Dans ce genre de boulot, on doit savoir tout faire. Faut être aimable, disponible et efficace !

– Aimable, ça on peut dire que tu l’es, effectivement ! Je ne sais pas comment j’aurais fait si tu m’avais pas accueilli chez toi ! J’ai pas vraiment de famille, ça tu le sais ! Alors quand ma femme m’a fichu à la porte, ça aurait pu mal finir pour moi !


Le bon cœur de Gérald n’est un secret pour personne et c’est bien pour cela qu’Ernest Legrand a pensé à le solliciter quand Marthe l’a regardé partir de la maison. Quatre mois déjà qu’il a quitté la Gironde et qu’il s’est réfugié chez son copain de régiment. Célibataire, Gérald n’avait personne à ses côtés qui puisse être dérangé par cette cohabitation inattendue. Deux journées de stop et une nuit à la belle étoile avaient été nécessaires pour rejoindre Orléans, pour trouver refuge chez un ami digne de confiance.


Ernest avait raconté, à sa façon, la dégringolade de son couple, les extravagances de Marthe, en se gardant bien de décrire son implication dans cette débauche partagée. La présence de Pierre, les pères naturels supposés de ses deux plus jeunes enfants, la haine envers lui de ses aînés…


Tout avait été prétexte à se faire plaindre, à générer de la compassion. Gérald avait usé de toute son imagination pour remettre son ami à flot, pour lui faire retrouver le sourire. Le brave homme avait pioché dans ses économies pour lui offrir quelques sorties en ville et lui refaire son trousseau. Ernest avait débarqué les mains vides, avec un simple sac pour bagage. Il avait fallu lui offrir quelques vêtements, le gîte et le couvert. Gérald avait répondu présent, sans sourciller.


Désormais, la mission que s’était fixée le concierge était de ramener son camarade à une vie plus stable, pérenne et cela incluait de retrouver un travail. Alors, Gérald avait fait jouer son réseau local jusqu’à entendre parler d’une place d’agent administratif à la mairie. Cela conviendrait parfaitement à Ernest, il en était persuadé, car bien qu’il ne montrait pas souvent les finesses dont il était capable, il avait été, lors des tests effectués au début du service militaire, l’un des éléments les plus brillants de sa promotion. Une tête bien faite, mais parasitée par une forme d’agitation et de violence.


Pour obtenir un entretien d’embauche, Gérald avait fait appel à sa voisine, employée communale elle aussi. Laurette était une vieille fille de quarante et un ans qui s’était occupée de sa mère handicapée jusqu’à son décès, il y a six mois de ça et qui, depuis, s’engluait dans une triste solitude. Elle avait accepté avec plaisir de rendre service et de donner un maximum de renseignements à Ernest sur les attentes de son éventuel futur employeur, de le préparer au mieux pour lui permettre de décrocher cet emploi. Rendez-vous avait donc été pris pour l’heure de l’apéritif. Gérald ouvrirait la porte de sa maisonnette pour ce moment partagé.


À l’heure dite, Laurette vint toquer à la porte et salua timidement les deux hommes. Elle prit place en face d’Ernest, ayant d’abord du mal à le regarder dans les yeux. Deux Guignolet kirsch plus tard, l’invitée était beaucoup plus détendue, labile, riant aux blagues des deux compères.



Quand arrive l’heure de partir, c'est Ernest Legrand qui la raccompagne à la porte :

– Merci encore, Laurette, je suis certain que grâce à vous, je vais pouvoir être convaincant et faire la différence pour ce poste à la mairie. Je ne sais même pas comment vous exprimer ma gratitude !

– Mais non, Ernest ! C’est tout simplement normal ! Gérald est un ami, j’ai fait ce que n’importe qui aurait fait. C’est bien dans deux jours, votre rendez-vous ? Vous me tiendrez au courant ?

– Évidemment, vous en serez la première informée.


Sur ces douces paroles, la célibataire rentre chez elle, pendant que Gérald taquine son ami. Elle a de jolis yeux, Laurette ! Et ce gentil sourire…


Devant la bonne volonté d’Ernest Legrand, le chef de service du maire n’hésite pas un instant ; cet homme fera un employé de bureau efficace et dévoué. Se sentant pousser des ailes, porté par ce nouveau départ, l’ancien girondin fouille ses poches pour y attraper son dernier billet de dix francs et se dirige vers la boutique du fleuriste qu’il avait repérée la veille. Trois roses rouges n’attendent que lui, il les achète, les regarder s’emballer d’un papier de soie avant de les prendre en main.


D’un pas décidé, Ernest Legrand se dirige dans la rue qui l’abrite depuis sa séparation d’avec Marthe, mais ne bifurque pas vers l’immeuble dont Gérald a la charge. Deux numéros plus loin, se trouve la porte cochère qui le conduit chez Laurette. Après avoir observé les annotations écrites sur les boîtes aux lettres, il grimpe jusqu’au deuxième étage, s’avance vers la porte gauche. D’un geste nerveux, il lisse sa petite moustache, plaque ses cheveux pour être sûr qu’aucun épi ne s’ échappe de l’épaisse masse noire. Il toque, écoute le bruit des pas qui se rapprochent.

– Mais quelle surprise ! Ernest ! C’était bien aujourd’hui, votre rendez-vous ?

– Oui, justement, je venais vous remercier ! lance-t-il en offrant le maigre bouquet.


Laurette rosit de plaisir, elle n’a pas l’habitude qu’un homme s’intéresse à elle.

– Puis-je entrer un instant ? suggère Ernest en lui faisant un baisemain alourdi par son haleine pleine de tabac.

– Avec plaisir, vous me raconterez ce qui s’est passé à la mairie, alors !


Retrouvant un sourire carnassier, Ernest ne se fait pas prier. Peut-être vient-il de trouver plus qu’un nouvel emploi.

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13 commentaires

cedemro

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Il y a 2 ans

Ce chapitre est excellent. Au début, j'ai voulu croire à un changement dans l'esprit de cet homme perturbé qui s'est montré capable du pire en agressant ses propres enfants. Or, la fin du chapitre nous montre clairement qu'il reste fidèle à lui-même. J'espère que Laurette aura assez de perspicacité pour repousser ce montre et alerter le voisinage au moindre signe de violence venant de cet homme mauvais. Avoir un esprit fort et savoir convaincre un employeur ne veut visiblement pas dire qu'il a toute sa tête. J'espère qu'il finira en Enfer ce type !

Adrien Lioure

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Il y a 2 ans

Laurette ne sait pas encore quel monstre se cache sous le visage d'Ernest...

sophie loizeau

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Il y a 2 ans

Oh non le monstre a trouvé une nouvelle proie

calou40990

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Il y a 2 ans

Serait elle sa nouvelle proie ??? Tadamm…

SandNémi

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Il y a 2 ans

Il réussit à embobiner tout le monde ! Grrrr...

Karen Kazcook

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Il y a 2 ans

Pauvre Laurette !

mariecrt

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Il y a 2 ans

Mon dieu ce n'est pas possible... Laurette tu laisses entrer le diable. J'attends la suite avec impatience.

User230517

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Il y a 2 ans

Un pervers narcissique ne change pas, quelle que soit la personne qui l'écoute. Il éloigne également celles qu'il ne peut dominer

PaB

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Il y a 2 ans

Les petits bouts de scènes de cette famille sont intriguants et très prenants. Je me trouve à soutenir Marie au milieu de cette famille éclatée, où des personnages attachants ou détestables à souhait sont présents ! J'attends la suite avec impatience !

PaB

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Il y a 2 ans

Les petits bouts de scènes des personnages de l'histoire sont intriguants et très prenants
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