Fyctia
Chapitre 14
Parce qu’elle a été bien accueillie par ses collègues, Marianne a trouvé ses marques au bureau de poste dans lequel elle a été recrutée. Son quotidien est partagé entre le tri du courrier et l’accueil des clients au guichet où elle prend plaisir à faire connaissance avec les habitués. Du petit-grand père qui envoie une lettre tous les quinze jours à la secrétaire du médecin qui vient faire peser des plis au quotidien, la jeune femme a un mot, un sourire pour chacun. Enfin, Marianne découvre qu’il existe une place pour elle dans la société, qu’elle a de la valeur.
Son petit salaire lui paraît être une réelle richesse, alors elle gère son budget sans difficulté et s’offre le luxe de louer un petit studio à une centaine de mètres de chez Marie. À chaque fin de service, elle passe quelques instants chez les Vito, heureuse de retrouver sa sœur, son beau-frère et surtout le petit Guillaume. Ce dernier tient désormais assis, se régale des purées de légumes préparées par sa mère et s’éveille au monde. Il babille sans discontinuer, sourit et dort mieux. Les nuits sont encore entrecoupées de nombreux réveils, les siestes parasitées par des cauchemars, mais le cap difficile des débuts semble dépassé.
Marie se remplume, elle aussi, et reprend quelques-uns des kilos qui lui manquaient, ses joues ont pris une certaine rondeur. Manu retrouve un peu de souffle, la vie quotidienne prévaut et il en oublie presque le fusil caché dans sa cave, comme il a rayé de sa mémoire la requête adressée à Jean, jusqu’au jour où ce dernier lui passe un coup de téléphone :
– Salut mon gars ! Comment vas-tu ? Et ta petite famille ?
– Salut Jean ! On fait aller, le petit est en forme, c’est l’essentiel. Et toi, tes amours ?
Jean lâche un rire franc à l’autre bout du fil :
– Pas mal, ma foi ! Je crois que j’ai ferré le poisson, je t’en dirai plus dans quelques temps !
C’est à Manu de sourire, même s’il pressent que la conversation va prendre une autre tournure. Alors, pour ne pas perdre de temps et pouvoir parler librement avant que son épouse ne sorte de la salle de bains, Manu lance de manière directe :
– J’imagine que ce n’est pas seulement pour ça que tu m’appelles, est-ce que je me trompe ?
– Bien vu mon garçon. Mais avant d’aborder le sujet, tu me promets que tu n’as aucune idée saugrenue derrière la tête ?
– Promis Jean ! Je ne vais pas faire de connerie, ma vie est ici avec Marie et Guillaume. Je veux juste m’assurer qu’il y a une bonne distance entre eux et l’autre. Dis-moi, s’il te plaît.
– Je vais te répondre. En principe, je n’aurais pas pu retrouver sa trace sans enquête et comme pour vos histoires de famille, on n’a pas de plainte… Tu vois ce que je veux dire ! Mais par chance, ton gars avait des problèmes d’argent et quand il est parti, il a laissé une grosse dette au garage automobile dans lequel il avait acheté sa bagnole. Bilan des courses, le vendeur, lui, n’a pas aimé être planté comme ça, sans être remboursé ! Grâce à ça, on a eu une plainte et des recherches. Ton gaillard est à quelques centaines de kilomètres de la Gironde. Il est dans le Loiret. Ça te rassure, cette réponse ?
Un court silence s’installe entre les deux interlocuteurs jusqu’à ce que Manu ose poser la question qui lui brûle les lèvres:
– Tu as une adresse ?
– Mais pour en faire quoi ? Excuse-moi de te le dire, mais je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée de te la donner.
– C’est pas ce que tu crois. Promis je ne vais pas faire de connerie. C’est juste une sécurité pour savoir où le trouver si il osait revenir par ici, histoire qu’il sache que son anonymat n’existe pas.
C’est au tour de Jean de prendre le temps de la réflexion. Le garçon a beau être fougueux et révolté par les actes dont vieux est accusé, il mesure la responsabilité qui est la sienne:
– Admettons que je te la donne… On est d’accord pour dire que si il venait à arriver un accident de chasse suspect à ce monsieur, je ne te couvrirai pas. Que tu le surveilles, je comprends, mais ce n'est pas une permission implicite pour aller régler tes comptes !
Le bruit de vidange de la baignoire signe la fin de la conversation. Manu sait que Marie va passer la porte de la salle à manger dans quelques dizaines de secondes. Dans un souffle, il lance :
– Je le sais, on se connaît suffisamment, donc tu peux balancer les infos. J’ai de quoi noter.
Calepin à la main, Manu griffonne nerveusement une adresse, salue son interlocuteur et raccroche.
– Tu étais au téléphone avec qui, mon cœur ?
– Mon collègue Marc, celui qui a une jambe dans le plâtre, tu sais ? On en a parlé la semaine dernière, je voulais prendre de ses nouvelles.
Le feu qui envahit les joues de Manu n’échappe pas à sa femme. Celle-ci fait mine de ne rien remarquer mais son sang se glace, son cœur se fracture. Elle qui a eu tant de mal à faire confiance à un homme redoute la trahison ultime, celle qui nécessiterait qu’on l’abatte comme un cheval blessé sur un champ de course. Sans solution immédiate, Marie lance, comme une excuse pour pouvoir tourner les talons :
– Très bien. J’espère qu’il va mieux. Je vais voir si le petit dort encore.
C’est sur ce non-dit que chacun vaque à ses occupations jusqu’à la tombée du jour. Comme Marie est plutôt couche-tard, Manu ne se formalise pas quand elle lui annonce qu’elle n’a pas sommeil.
Une trentaine de minutes plus tard, quand elle est certaine que son mari est profondément endormi, la jeune femme fouille le tiroir de la console sur laquelle le téléphone est posé. Des feuilles volantes, quelques enveloppes ouvertes et griffonnées sur lesquelles Marie ne repère rien. Puis elle avise le carnet à la couverture de carton orange, celui que Manu glisse régulièrement dans sa poche pour aller au travail, son pense-bête. Prise d’une intuition, elle l’épluche consciencieusement quand, au détour d’une page, ses yeux s’écarquillent et ses jambes se ramollissent. Un patronyme, une adresse… « Chez M. G. Triolet, 25 grande rue, Orléans ».
Ce nom, elle le connaît. C’est celui d'un camarade d’armée du vieux.
Prise d’une fièvre soudaine, Marie attrape une feuille dans le tiroir, recopie l’adresse et s’empresse d’aller la cacher dans la poche intérieure de son manteau
9 commentaires
cedemro
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Il y a 2 ans
Adrien Lioure
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Il y a 2 ans
User230517
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Il y a 2 ans
calou40990
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SandNémi
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Balthazar
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Karen Kazcook
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mariecrt
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Isabelle Barbé
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Il y a 2 ans