Sylvie Marchal Marie Chapitre 13

Chapitre 13

Isabelle a désormais quitté son fauteuil roulant pour se déplacer avec des béquilles.

Le claquement de l’une d’elles contre un coin de meuble réveille Marthe après seulement quatre heures de sommeil. La nuit à la clinique a été plutôt calme, il y a peu de patients en ce moment, alors le personnel de garde en profite pour dormir quelques dizaines de minutes quand il le peut. Entre deux rondes pour surveiller les patients, on s’offre une boisson chaude ou un petit en-cas et on discute du quotidien, les employées se racontent leurs vies.


Comme elle est toujours de bonne humeur, solaire et enjouée, Marthe est appréciée de tous ses collègues. Chacun l’a soutenu dans les malheurs qui lui sont arrivés au cours des dernières semaines, critiquant vertement le père, s’indignant de cette maltraitance et de ce vice. Tous espèrent qu’il a définitivement disparu et même, pourquoi pas, qu’il s’est suicidé. Un être pareil ne pourrait continuer à vivre sans être perclus de remords, alors s’il venait à avoir choisi de mettre fin à tout ça, ce ne serait pas plus mal. Deux infirmières installées dans l’établissement depuis longtemps ont organisé une collecte de fonds, pour aider cette mère esseulée à faire face. Marthe ne cache pas ses difficultés financières depuis le départ du père, ces maigres repas qu’elle sert aux trois plus jeunes.


Elle évite évidemment d’évoquer les revenus de Pierre ainsi que l’aide versée par la DDASS pour subvenir aux besoins de Patrick. Les services sociaux, d’ailleurs, ne sont pas encore au courant des événements récents et la visite annuelle de l’éducatrice qui suit la famille n’aura lieu que dans huit mois, cela laisse le temps de voir venir.


Marthe ne dissimule pas non plus la rupture consommée avec Marianne et Marie, mais elle décrypte cela comme un contre-coup lié à l’explosion de la vérité. « Oh, vous savez, je ne peux pas leur en vouloir ! Si je me mets un instant à leur place, je comprends qu’elles ne veuillent plus revenir dans cette maison ! Ce lieu, elles le voient comme la grotte du monstre et ma présence là-bas fait qu’elles me mettent dans le même sac ! J’aimerais tellement déménager, mais je n’en ai pas les moyens ! »


Agacée par le bruit des béquilles, la mère de famille se lève et interpelle Isabelle :

– Mais c’est pas possible ! Personne ne pense qu’après avoir bossé toute la nuit, je voudrais récupérer un peu ! Et puis tu vas pas rester comme ça sans rien faire pendant je ne sais combien de temps ! J’irai au collège demain, voir s’ils peuvent te récupérer avec tes cannes. Vu qu’on ne sait pas combien de temps ça va durer…

– Excuse-moi, je ne pensais pas que tu m’entendrais me déplacer dans la maison. Pour l’école, j’ai pas envie d’y retourner, les autres vont passer leur temps à me demander pourquoi je ne marche pas correctement. Et je suis fatiguée ! se plaint Isabelle.

– Mais le médecin a dit que tu n’avais rien ! Ça suffit maintenant, c’est dans ta tête que ça se passe !

– Ma tête, justement ! Tu trouves ça normal que je n’ai aucun souvenir de mon enfance ?

– Parfaitement ! Aucun gosse ne se rappelle de sa première jeunesse, toi pas plus les autres ! Arrête de chercher à t’inventer des histoires, tu vas finir aussi folle que tes sœurs ! Moi, je suis là et je prends soin de toi alors fais moi confiance ! Il va falloir arrêter de t’apitoyer sur ton sort et faire ce qui est à faire au quotidien.


Silencieuse, Isabelle réfléchit aux paroles de sa mère, à ses propos sans doute emplis de bon sens. Le docteur le lui a bien dit, ses jambes vont bien. Cette catatonie vient de sa tête et pas d’ailleurs. Si Marthe lui ordonne de faire comme si la vie était normale, alors elle a sans doute raison. Une mère sait ce genre de choses. Elle acquiesce et annonce qu’elle reprendra les cours lundi prochain. Pierre l’amènera en voiture et viendra la rechercher chaque soir. Dès qu’elle n’aura plus besoin des béquilles, Isabelle reprendra le bus avec ses camarades.


Si l’adolescente n’est pas pressée de retourner en classe, c’est qu’elle aussi, comme ses aînés, n’est pas très scolaire. Peu éveillée au monde qui l’entoure, jamais encouragée dans un quelconque apprentissage, elle s’estime tellement peu qu’elle n’envisage pas l'avenir.


Pour Yvan, le monde extérieur est tout aussi illisible, source d’aucun étayage. Il déambule dans un quotidien qui n’est qu’une coquille vide, se régale de mauvaises fréquentations. Marthe le menace désormais de l'envoyer en maison de redressement, car, épuisée comme elle l’est, elle a le sentiment que ce petit morveux dépasse les limites. 


La voix de Pierre qui interpelle la mère tire Isabelle de ses pensées :

– Marthe ! Viens voir ici ! Patrick a encore pissé au lit, faut vraiment faire quelque chose pour ce gosse !

– Putain mais c’est pas vrai ! Ils me fatiguent tous ! Et tu veux que j’en fasse quoi, du môme ? J’ai pas de solution, fais lui laver ses draps !

– Ah mais moi j’en vois une ! Je pense qu’il serait mieux en foyer avec des éducateurs, on a peut-être assez à gérer ici, non ?


La mère lui lance un regard noir ! Son amant a quelques qualités, mais il est un bien mauvais comptable ! Si Patrick venait à quitter la maison, ça ferait une charge en moins, mais surtout le manque de revenus sur le compte en banque serait cruel. Hors de question de se priver du moindre centime en ce moment!


Sans envie de s’opposer à sa compagne, Pierre tourne les talons, aide Patrick à défaire ses draps pour les jeter dans la machine à laver, ajoute le godet de poudre blanche puis lance le programme.

« T’iras quand même étendre ça tout seul sur le fil quand le lavage sera fini ! »

Le gamin acquiesce d’un mouvement de tête, à la fois gêné d’avoir été pris en faute et reconnaissant qu’un adulte lui apporte un peu de soutien. Ce geste banal est presque un réconfort.


Désabusé, Patrick pense souvent à Marie et Marianne, celles qu’il considérait comme des grandes sœurs de cœur. Leur absence lui a laissé un vide immense, il aimerait les revoir, il ne peut oublier leurs voix qui lui inventaient des histoires pour l’aider à s’endormir le soir ou qui lui murmuraient des mots de tendresse.




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13 commentaires

MacC

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Il y a 2 ans

C'est très prenant

Bobby Lapointe

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Il y a 2 ans

Pauvres enfants... 😔 Je suis déjà happé par cette histoire... Envie de savoir comment ils vont pouvoir s'en sortir ! Belle écriture !

cedemro

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Il y a 2 ans

Je n'arrive pas à apprécier cette Marthe. Elle savait ce qui se passait chez elle et a choisi de les ignorer. La chute de ses enfants est en bonne partie de sa faute selon moi... Sa façon de parler à Isabelle est cruelle.

Adrien Lioure

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Il y a 2 ans

Marthe est de plus en plus difficile à supporter... Pauvre Patrick !

sophie loizeau

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Il y a 2 ans

Je préfère ne rien dire sur cette génitrice, car ce n est pas une mère

sophie loizeau

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Il y a 2 ans

Quelle vie pour ces pauvres enfants

Karen Kazcook

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Il y a 2 ans

C'est toute la famille qui est marquée... Pfiou

Lullolaby

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Il y a 2 ans

Mais je peux pas me la blairer de diou ! Rho pas possible d'être aussi pourrie que ça là... Pardon.

SandNémi

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Il y a 2 ans

La mère est vraiment une pourriture manipulatrice. C'est effectivement très bien écrit. Je croise les doigts pour Patrick et Isabelle !

User230517

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Il y a 2 ans

Une complice qui se fait passer pour une victime. Classique
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