Fyctia
Chapitre 12
Sur la route du retour, l’esprit de Manu erre, il craint de perdre pied.
Comme Marie, lorsqu’elle était enfant, il rêve de tuer le père, de voir couler le sang de celui à qui il serrait la main, autrefois. Les dégâts commis sont irréversibles, les répercussions vont jusqu’à atteindre Guillaume.
Si Marie ne se plaint pas, son mari perçoit parfaitement la lame de fond qu’elle est en train de subir. Après avoir vécu l’inceste, la peur et la douleur, sa femme affronte aujourd’hui la honte, la réactivation du traumatisme et surtout l’altération des joies de la maternité. Ce bébé qu’elle attendait comme la huitième merveille du monde, elle le perçoit parfois comme le déclencheur des récentes révélations familiales et s’en ouvre à Marianne :
– Non, je t’assure, je n’en veux pas à Daniel ! Quelque part, il a bien fait de le cogner, le vieux, et de le faire partir d’ici, mais s’il n’était pas intervenu, on n’aurait plus jamais parlé de ça, on coupait progressivement les ponts avec nos géniteurs et nos vies se seraient reconstruites autrement, sans remuer la merde. Si je n’avais pas eu de bébé, ou peut-être pas si tôt, cette bagarre n’aurait pas eu lieu. Le passé ne serait jamais remonté à la surface !
– Arrête Marie! Tu ne peux pas parler comme ça ! Ce qui est arrivé, ce n’est pas la faute de Daniel et encore moins celle de Guillaume !
– Je ne dis pas que c’est à cause du petit, je dis juste que c’était peut-être pas le moment de faire un enfant !
Marianne perçoit bien l’ambivalence de sa sœur, mère aimante qui accoure au moindre pleur de son fils, mais qui est déchirée par une angoisse viscérale et une colère qui l’empêchent de profiter de moments tendres et sereins avec le nouveau-né.
Persuadé que les deux sœurs sont en grande conversation, ou occupées à pouponner, Manu ne se presse pas de rentrer.
Sur la route du retour, il fait une halte chez Jean, un ancien camarade d’école devenu gendarme. Heureux de constater que son ami était chez lui, il va le saluer et accepte le café que celui-ci lui propose :
– Alors Manu ? Comment va ton épouse depuis les événements des dernières semaines ? Et le petit ? Ça ne doit pas être simple… Les gars comme ça, à mon avis, y a qu’une solution pour eux ! Faut leur mettre du plomb dans la cervelle et tu sais qu’en matière de plomb, je m’y connais !
Le jeune papa sourit nerveusement devant le trait d’humour noir de son ami et ne répond que de manière partielle :
– Ils ne vont pas si mal, je crois. En tous les cas, c’est comme pour n’importe quel coup dur, faut nager pour ne pas couler.
– Quand même ! C’est pas rien ! On n’en voit pas si souvent, des histoires pareilles. Et le père alors ? Pas de plainte, pas d’enquête ?
– Non, à priori, ça va s’arrêter là. On ne sait même pas dans quel coin de France il est parti d’ailleurs.
– C’est vrai ? Incroyable ! Le type disparaît comme ça dans la nature et c’est terminé ?
– Ben justement, c’est de ça dont je voulais te parler. Je me demandais si je ne devais pas creuser un peu, m’assurer qu’il est loin, à des centaines de kilomètres, j’espère. On dormirait mieux, tu sais. Imagine quand il faudra laisser le petit à l’école, si on doit encore s’inquiéter de l’autre malade…
– Oh, mais je te vois venir, toi. Tu aurais quelque chose à me demander ?
– Je n’osais pas vraiment, mais effectivement. Si, par ton métier de gendarme, tu pouvais me trouver une adresse, ou quelque chose qui nous donne une trace de lui… Je t’en serais éternellement reconnaissant.
Jean devient plus sombre, avale les dernières gorgées de sa tasse de café pour reprendre d’une voix lente :
– Tu sais bien que si je fouine un peu sans qu’aucune enquête n’existe, je ne serai pas vraiment dans les clous ! Faudrait pas que l’adjudant-chef me tombe sur le paletot ! Déjà qu’il me trouve un peu chien-fou ! Mais pour un bon copain comme toi et pour ta pauvre Marie, je vais y réfléchir. Donne-moi un peu de temps et on en reparle.
– Merci Jean, t’es vraiment quelqu’un de chouette. Et dieu sait qu’en ce moment, ça fait du bien de se rappeler que ça existe !
Un pousse-café plus tard, la conversation dévie vers des sujets plus légers, Jean raconte ses amourettes avec une vendeuse de prêt-porter, une très jolie rousse aux yeux verts et aux courbes généreuses. Lui aussi passerait bien devant Monsieur le Maire, si la demoiselle venait à en avoir envie !
Manu sourit, le bonheur des autres l’atteint toujours, la vie le porte encore. Il pense à Guillaume, l’imagine faisant ses premiers pas, découvrant son premier camion de pompiers ou un tricycle…
En reprenant le volant, Manu réalise que la vie ressemble un peu aux napperons de dentelle que sa grand-mère chérit tant… Du vide, rendu beau par le tissage de fils qui enserrent ce néant. Les amours de Jean pour sa belle rousse sont des fils, les liens indéfectibles qui unissent Marianne et Marie sont des fils, les sourires de Guillaume sont des fils, les promesses que Manu a faites à son épouse devant le curé sont des fils. Il faudra qu’avec tous ces fils, le jeune homme soit capable de fabriquer la plus belle des guipures.
Alors, en arrivant à la cave de l’appartement, il est assailli de doutes. Ce fusil de chasse, il l’avait récupéré par instinct de survie, partagé entre l’idée de devoir défendre sa famille et l’envie de débarrasser la planète d’un cancrelat.
Persuadé que toute décision hâtive est une mauvaise décision, Manu dévisse le panneau de bois sur lequel il accroche ses outils pour accéder à la cavité qui se trouve juste derrière. Le fusil du grand-père y tiendra sans difficulté et personne n’aura l’idée de venir fouiller à cet endroit.
Lorsque son secret a disparu, le jeune papa s’assied un instant sur le sol poussiéreux, reprend ses esprits. Quand il se sent son cœur battre plus lentement, Manu se redresse, quitte le sous-sol qui abrite les caves, entre dans la cage d’escalier pour grimper les marches avec pondération. Doit-il parler à Marie de sa visite à Jean ? Rien n’est moins sûr...
En passant la porte, il est cueilli par le parfum de la tarte aux poires qui cuit dans le four et par la voix de Marie qui l’interpelle :
– Alors, ta grand-mère? Comment va-t-elle ? Elle ne m’en veut pas de ne pas être encore allée la voir avec le petit ?
– Non mon amour, ne t’inquiète pas. Tu sais combien Mémé est la bienveillance faite femme. Elle m’a dit elle-même à quel point c’était fatiguant, de devenir maman. Elle n’a pas oublié. Je lui ai promis que nous irions la voir bientôt.
– Tu as bien fait. Nous pourrions passer l’après-midi de dimanche près d’elle, si ça te va. Je te dois bien ça, je vais faire un effort pour qu’elle me retrouve comme la dernière fois qu’elle m’a vue, avec le sourire ! murmure Marie en posant la tête sur l’épaule de son homme.
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cedemro
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Adrien Lioure
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Sylvie Marchal
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sophie loizeau
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User230517
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Il y a 2 ans