Sylvie Marchal Marie Chapitre 11

Chapitre 11

Depuis le retour de la maternité, Guillaume dort peu, il est particulièrement nerveux, sujet aux pleurs. Son agitation est le symptôme de la douleur de ses parents, du marasme dans lequel Manu et Marie sont immergés.


Après l’intrusion fracassante de Marthe dans la chambre d’hôpital de sa fille, le monde du jeune papa s’est effondré, il ne cesse de se reprocher de ne pas avoir deviné les ombres qui hantaient les pensées de son épouse. Quelques réactions de Marie, dans l’intimité d’un amour jeune et inexpérimenté, avaient bien attiré son attention, mais comment aurait-il pu accepter d'être percuté par cette réalité ? Le cerveau humain sait occulter pour protéger, masquer pour survivre, inventer pour éviter.


Harcelée de pseudo-questions et de reproches par sa mère, Marianne a fini par s’enfuir de la maison pour trouver refuge dans l’appartement de Libourne. L’endroit n’est pas très spacieux. Il n’existe qu’une seule chambre, alors le nourrisson dort dans son couffin, au pied du lit de ses parents, tandis que Marianne reste enserrée dans une couverture, nuit et jour, sur le canapé du salon.


Chaque matin, le café avalé à la cuisine est le moment de réunion de la cellule de crise :

– Marianne, c’est bien légitime que tu sois sonnée comme ça et tu es la bienvenue ici, aussi longtemps que nécessaire. Mais tu ne penses pas que plus vite tu sortiras du divan et plus vite ta vie reprendra une allure normale ? s’inquiète Manu.

– Hors de question que je retourne à l’usine. Notre linge sale a été lavé en famille, mais pas seulement. Tout Blaye doit savoir, maintenant. J’ai pas envie d’être une bête de foire !

– Sûrement, mais rester enfermée entre quatre murs, ça ne va pas t’aider non plus ! Il manque une factrice à mon bureau de poste et personne ne te connaît ici. Tu veux que je dise un mot pour toi ?

– Pourquoi pas ! Mais en attendant, je vais me remuer et aider Marie un peu plus ! Elle ne dort quasiment pas, le bébé pleure beaucoup…

– T’inquiète pas pour moi, sœurette ! C’est à moi de prendre soin de toi ! rétorque la jeune maman.


Ces paroles bienveillantes sonnent faux, les douleurs du passé ont rattrapé une Marie qui lutte à chaque seconde pour ne pas sombrer, pour pouvoir s’occuper de son fils.

Manu, lui, gère les urgences, prend sur lui pour cacher son émoi et sa colère, pour étayer au mieux ces êtres qui lui sont si précieux.


Au même moment, chez Marthe, c’est le grand défilé : amis, voisins, membres de sa famille viennent avec constance éponger ses émotions, ses douleurs et ses doutes :

« Ah mais bien sûr que je suis allée à la gendarmerie pour déposer plainte contre lui ! J’ai même téléphoné à un avocat de Bordeaux ! Tout le monde me dit de laisser tomber, parce qu’il n’y aura pas de preuves à apporter ! Ça va me ruiner, autant l’argent que la santé ! Et même si les deux grandes ne veulent plus me parler, allez savoir pourquoi d’ailleurs, je dois quand même prendre soin des deux plus jeunes et de Patrick ! Heureusement que je les ai, mes petits ! Sans eux je n’aurais jamais réussi à traverser une épreuve pareille ! »


Malgré les paroles empathiques de Marthe, Isabelle, Yvan et Patrick s’enfoncent un peu plus dans leur misère éducative.


Isabelle, désormais adolescente, n’a aucun souvenir de sa vie avant ses sept ans. Un matin, quelques jours après l’explosion de la vérité, elle se réveille, ne sent plus ses jambes et, comme paralysée, tente quand même de s’extraire de son lit pour chuter lourdement sur le plancher.

Yvan, alerté par le bruit, court dans la chambre de sa sœur puis alerte Marthe qui appelle le médecin.


Après que ce dernier ait examiné la jeune fille, le praticien prend quelques instants pour parler à la matriarche :

– C’est une forme de crise d’hystérie, Madame. Il va sans dire que tout choc psychologique récent a pu causer un tel blocage. Elle n’est pas physiquement en danger, les choses vont s’arranger, avec le temps.

– Combien de temps, Docteur ? Ma situation est déjà bien difficile depuis quelques temps, il faut que je puisse continuer à aller travailler de nuit, faut que je gagne de quoi nourrir les gosses !

– Madame, difficile de vous répondre ! Essayez de lui offrir les services d’un psychiatre et l’avenir nous dira le reste.


Marthe acquiesce et remercie chaleureusement le médecin. Elle sait qu’elle continuera à travailler, grâce à Pierre qui est toujours dans les parages. Le récent tsunami ne l’a même pas fait fuir, il veillera sur Isabelle et les garçons le temps qu’il faudra.


Chez Marie et Manu, les jours se suivent et se ressemblent, avec un bébé toujours aussi difficile à apaiser et une Marianne qui s’étiole, qui perd chaque jour un peu de son instinct de vie. Pragmatique et décidé, Manu se décide à forcer le destin, à ramener un peu de lumière et d’espoir dans leur vie. Au détour d’une pause cigarette, il lance innocemment à son chef de bureau :

– Tu n’as toujours pas trouvé de remplaçant pour Joseph ?

– Non, je t’avoue que je n’avais pas trop cherché, j’avais assez de monde pour faire tourner le bureau jusqu’à présent, mais ça commence effectivement à devenir compliqué !

– Alors j’ai peut-être quelqu’un pour toi. Une jeune, sérieuse, avec la tête sur les épaules. Elle travaillait en usine et elle cherche autre chose. Je suis certain qu’elle ferait parfaitement l’affaire.

Le supérieur de Manu expire une bouffée de cigarette, prend le temps d’une courte réflexion et lance à Manu :

– Parfait mon gars. Dis-lui de venir se présenter demain et on en reparle.


Manu sourit, c’est le premier événement positif dans leur vie depuis longtemps. Marianne sera bientôt libre et autonome, assurée de ne plus jamais être dépendante de Marthe.


Après sa journée de travail, le jeune homme remonte dans sa Renault 10, mais arrivé à la sortie du bourg, il bifurque à l’opposé de sa route habituelle. Après quelques minutes, il arrive sur le chemin de terre comblé de tuiles cassées qui le conduit à la ferme de sa grand-mère. Elle y vit seule depuis une dizaine d’années, depuis que pépé est parti rejoindre les étoiles.


Manu prend le temps d’embrasser sa grand-mère, de s’asseoir avec elle derrière la lourde table de chêne. C’est un temps doux et suspendu, le jeune papa décrit le nouvel héritier de la famille. C’est promis, ils viendront le présenter dans quelques jours avec Marie.

Quand le mazagran est vide, le jeune homme essuie ses paumes moites sur le velours de son pantalon. Il hésite, il est encore temps d’oublier cette idée, de renoncer. Serrant sa grand-mère dans ses bras, Manu lui suggère de rester à l’intérieur, le vent souffle fort dehors et il lui faut encore faire un détour par la grange afin d’y récupérer une vieille scie.


Arrivé dans le bâtiment, Manu dépasse l’établi, se dirige vers un placard et saisit la clé pendue à un crochet. Tremblant, il attrape le vieux fusil de chasse du grand-père et quelques chevrotines qu'il s’empresse de cacher dans le coffre de sa voiture.

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15 commentaires

cedemro

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Il y a 2 ans

J'ai peur que Manu s'apprête à faire toute une gaffe...

User231777

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Il y a 2 ans

Non Manu ne fait pas ça. Que cette histoire est prenante..

Adrien Lioure

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Il y a 2 ans

Ach, Manu va faire une grosse connerie... J'ai peur qu'il souffre davantage que le père dans toute cette histoire.

sophie loizeau

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Il y a 2 ans

Oh non qu il ne fasse pas de bêtises mais si on ne peut que le comprendre

calou40990

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Il y a 2 ans

Manu garde ton sang froid!!!…

jean-yvesD

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Il y a 2 ans

Stop manu, arrêtes tout suite...

User230517

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Il y a 2 ans

La réaction de la mère me fait penser aux trois singes mais sous leur aspect maléfique. Quant à Manu, sa réaction est tout à fait compréhensible ; ça me rappelle "le vieux fusil". Désolée pour toutes ces références mais je communique mon ressenti...

Sylvie Marchal

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Il y a 2 ans

Merci pour ce ressenti et ces références ! C’est très intéressant

Caroline Verdugo

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Il y a 2 ans

La suite … 😰

Karen Kazcook

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Il y a 2 ans

Tu décryptes à la perfection les dégâts du traumatisme mais aussi ceux du secret, ainsi que toutes leurs conséquences. C'est très bien écrit. J'adore ! Vivement demain :)
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