Fyctia
Chapitre 7
Le chapeau blanc alourdi par quelques fleurs glisse légèrement vers l’arrière de la tête de Marie, mais elle ne peut le réajuster. Sa main droite serre fiévreusement un petit bouquet tandis que son bras gauche est maintenu par celui du père. Les cloches de l’église sonnent si fort que la cage thoracique de la mariée manque de se rompre à chaque fois que la boule de frappe heurte le métal.
Elle n’attend qu’une chose : traverser l’allée du lieu saint et retrouver Manu.
Officialiser cette union, officialiser son envol.
Quitter Marthe, quitter le père.
Marie attend avec impatience que le père Gilbert donne le signal du départ. Il a été convenu que ce dernier lèverait la main dans leur direction pour indiquer que le moment était venu.
La jeune femme a la nausée, mais elle est incapable de savoir si cela est lié à la présence du père, au stress inhérent à ce mariage, ou à l’odeur d’encens qui règne entre les allées de bancs.
La mariée baisse les yeux, fixe son regard sur les carreaux de ciment devenus fade avec le temps. Elle n’a pas envie de parler, elle n’a rien à lui dire, à ce connard. Les derniers membres de la famille s’installent, le silence se fait et la marche nuptiale s’élève péniblement du petit orgue électrique.
Le grand moment arrive et chaque pas la rapproche de son Amour. Face au prêtre, le vieux grimace une sorte de sourire, se tourne vers sa fille et crispe ses doigts avec autant de force que de discrétion sur l’avant-bras de Marie. Elle comprend la menace implicite, la violence de ce geste, mais elle ne baisse pourtant pas les yeux et foudroie le père du regard. Il ne l’impressionne plus.
Il est un sous-homme, un déchet de l’humanité qui mérite de crever la bouche ouverte.
Si elle se tait, désormais, ce n’est plus vraiment par peur. C’est par honte. Honte d’être une victime, honte de raconter ce que son corps a subi, honte de devoir prononcer des mots si horribles, de décrire des scènes aussi intimes et humiliantes.
Si le futur marié perçoit le trouble de sa belle, il préfère l’attribuer à l’émotion de la journée. Quant à Marthe, elle se décale sur le banc pour laisser son époux venir s’asseoir à ses côtés. La vieille jubile, c’est son jour aussi ! De nombreux regards se tournent vers elle et cela la remplit de joie ! Si elle ne disposait pas de l’argent nécessaire pour offrir une robe blanche à sa fille, elle l’a néanmoins trouvé pour acheter une nouvelle toilette et les bijoux en toc qu’elle arbore ce jour-là.
La cérémonie se déroule rapidement, le père Gilbert se hâte puisqu’un autre mariage doit être célébré quarante minutes plus tard. Une prière, une courte homélie puis il lance :
– Emmanuel, voulez-vous prendre Marie pour épouse, la respecter et la chérir toute votre vie, jusqu’à ce que la mort vous sépare ?
Manu sourit et tremble en même temps.
– Oui, je le veux !
Marie sourit, se détend.
– Marie, voulez-vous prendre Emmanuel pour époux, le respecter et le chérir toute votre vie, jusqu’à ce que la mort vous sépare ?
– Oui, je le veux !
Après l’échange des consentements, Marie respecte la tradition et, pendant que les enfants de chœur chantent, elle s’avance lentement vers la statue de la Sainte Vierge. Avec respect, elle dépose un petit bouquet à ses pieds, espérant que cela lui permettra d’être mère et lui apportera réconfort et protection.
En reprenant place près de Manu, Marie aperçoit le père, l’œil rivé sur le bouquet. Elle s’est toujours demandé si le choix de son prénom était dû au hasard, ou s’il symbolisait quelque chose pour ses parents. Était-ce un gage de respectabilité pour la famille, le signe d’une foi sans faille ? Un blanc-seing pour le paradis, quels que soient les crimes commis par ses géniteurs ?
Et sa sœur, qu’on avait appelée Marianne, était-ce pour les mêmes raisons ?
Marie, prise de frissons dans le dos, tente d’oublier cette statue de plâtre qui semble tout savoir de sa vie et fait mine la regarder avec compassion.
Dès la sortie de l’église, le petit cortège se dirige vers le café-restaurant du bourg que les parents de Manu ont réservé pour l’occasion.
L’apéritif dure longtemps, trop peut-être. L’alcool coule à flots et l’ébriété gagne quelques convives, dont le père. Celui-ci, tendu sans doute de voir sa première proie lui échapper, enchaîne les verres de whisky jusqu’à être passablement agité.
– Qu’est-ce-qu’il y a ? tu m’as jamais vu, hein ? lance le père à un cousin de Manu.
Celui-ci, surpris, bafouille ;
– Mais, m’sieur ! Je ne vous regardais même pas ! Faut pas vous énerver comme ça !
Le jeune homme n’a pas le temps d’en dire plus, que le vieux, bagarreur, s’avance.
– Arrête ! T’as trop bu, je te ramène à la maison avant que ça dégénère ! intervient Pierre, qui surveillait discrètement la scène.
– T’as raison, ça pue ici. J’ai rien à y faire, je me taille ! rétorque le père en bégayant.
Pierre attrape son ami par l’épaule et le dirige vers la sortie pendant que Marie, le cœur glacé, glisse à l’oreille de son époux ; « voilà, tu as vu. C’est pour ça qu’on fera en sorte de ne quasiment plus fréquenter ma famille. Ils ne valent pas mieux que ça ».
Manu, comprenant sa détresse, lui caresse discrètement la main et acquiesce.
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cedemro
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Il y a 2 ans
User231777
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Il y a 2 ans
Adrien Lioure
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sophie loizeau
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calou40990
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User230517
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Karen Kazcook
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Geraldinedewt
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Geraldinedewt
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SandNémi
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Il y a 2 ans