Sylvie Marchal Marie Chapitre 3

Chapitre 3

Vingt-quatre décembre 1960. Le sol du jardin est couvert de givre, on croirait voir des toiles d’araignée en poudre de diamant s’étirant d’une touffe d’herbe à une autre. Le ciel est gris, nuageux, et la lumière blanche du soleil peine à percer les épaisses couches de coton.


Marie tournoie au milieu du salon, fière de voir s’envoler la jupe de tweed écossais que sa tante lui a confectionnée. Ses bottillons gris, eux, ne sont pas neufs, mais elle les aime tellement qu’elle marcherait jusqu’au bout du monde ainsi chaussée. Ses cheveux noir de jais sont retenus par deux pinces dorées, ses préférées.

La petite fille rit aux éclats, ses yeux clairs irradient lorsqu’ils se posent sur le sapin modestement décoré.

Marie a cinq ans, elle est heureuse. Son monde imaginaire est léger, pétillant, coloré, empli d’histoires de princesses aux cheveux de poussières d’étoiles.


Noël et ses réjouissances pointent le bout de leur nez, alors, du haut de son mètre dix, Marie s’impatiente. Elle est pressée de voir arriver le soir, pressée de retrouver ses cousins de Bordeaux, pressée d’aller assister avec eux à la messe de minuit. Le chœur des hommes magnifiera les chants de Noël, puis un repas extraordinaire réunira la famille élargie. Une orange, un chocolat, et peut-être même une poupée l’attendront à son retour.


Lorsque la fin de journée arrive enfin, la fillette entend le moteur de la 404 Peugeot de son oncle ralentir dans la cour de la vieille maison que louent ses parents. Marie, comme son frère et sa sœur, se précipite à la porte d’entrée pour accueillir ses trois cousins et leurs parents. Après les effusions habituelles, les premiers éclats de rire, le rituel démarre enfin ! Tante Gisèle se perd en explications culinaires, vante la terrine de viande et la bûche débordante de crème au beurre qu’elle vient de ranger dans le frigidaire, Oncle Alfred s’enroule de fausse modestie pour décrire les bouteilles de vin qu’il a amenées.


Le départ pour la messe se fait à pied, chacun prend la précaution de se pelotonner dans un épais manteau de laine. Lorsqu’ils atteignent le parvis de l’église, une douce musique résonne déjà, incitant les paroissiens à venir se recueillir. Si la petite Marie n’a pas encore commencé les cours de catéchisme, elle se réjouit à l’idée de fêter Noël. La naissance de Jésus résonne comme un conte de fée dans son imaginaire naïf et les animaux de cette histoire lui plaisent tant !

Chaque adulte semble prier avec conviction, leur âme ira droit au paradis. Après cette longue célébration, les ripailles sont à la hauteur de l’évènement. La table s’est remplie de victuailles et les rires fusent jusqu’à très tard dans la nuit.


Après le départ de tante Gisèle et de ses ouailles, Marthe a la voix pâteuse :

«  Allez, Marie, Daniel et Marianne, filez au lit maintenant !»

Habitués à voir leur mère un peu plus alcoolisée que ne peuvent l’être leur tante ou les autres femmes de leur entourage, les trois rejetons ne discutent pas, se dirigent vers l’escalier et lancent en chœur un sonore  « Bonne nuit ! Et encore joyeux Noël ! »


Daniel, prenant son rôle d’aîné à cœur, conduit Marianne et Marie à leurs chambres. Un lit en bois contreplaqué, une petite armoire plus claire, le tout reste spartiate. Les filles sautent dans leur épaisse chemise de nuit, gardent leurs chaussettes et se glissent dans les draps froids. Le simple vitrage des fenêtres n’empêche pas l’hiver de faire son œuvre et l’humidité qui rentre dans la maison la nuit se transforme rapidement en petits cristaux de glace. Qu’importe, les fillettes ont chaud dans leur cœur ! Et même si cette année, elles n’ont pas reçu de poupée, les chants de Noël, la présence de leurs cousins... Tout fait de ce jour une fête qui restera comme un trésor dans leur mémoire.


Bercée par ces belles images, Marie s’endort.


Au petit matin, les enfants sont réveillés par quelques éclats de voix. Rien de trop grave, la dispute ne dure pas plus longtemps que les autres jours. Marianne et Marie arrivent à la cuisine puis Daniel rejoint ses sœurs, attrape trois bols dans le buffet en formica blanc et les pose sur la table. Il distribue une cuillerée de cacao à chacun et Marthe verse le lait chaud.

Le père est adossé à un mur, une cigarette allumée aux lèvres. Visiblement tendu, il reste silencieux, mâchoire crispée. Après quelques instants, il disparaît en lançant un regard sombre à son épouse. Il part en direction du garage et on entend la porte du couloir claquer derrière lui. Marthe n’en fait pas cas.

« Je pars à la boucherie ce matin, il y aura sans doute un peu de monde, mais je veux bien un peu d’aide ! Si de petits bras veulent m’accompagner et récupérer ma commande à la boulangerie pendant ce temps, il y aura un bonbon au retour ! »

Daniel et Marianne se portent volontaires et éclatent de rire en voyant l’air surpris de leur mère. Daniel a huit ans, il sait surveiller sa sœur de cinq ans sa cadette, alors Marthe décide de les amener tous les deux.


Marie, elle, n’a pas envie de sortir. « Ça gèle trop dehors ! Je reste pour dessiner ! »

La mère, fatiguée par son trop-plein d’alcool de la veille, acquiesce.

«  Très bien ! Sois sage et obéissante, nous, nous filons. »

Marie débarrasse son bol et remonte le vieil escalier qui mène aux chambres. La fillette tire de sous son lit une boîte en bois dans laquelle elle range précieusement un cahier de brouillon, quelques crayons de couleur et de jolis cailloux parsemés de cristaux de quartz. Ce sont ses diamants. Elle s’installe en tailleur sur son lit et dessine maladroitement un sapin de Noël.


Cinq minutes plus tard, Marie entend la porte de la chambre s’ouvrir. Surprise, car elle n’a pas entendu le craquement des marches, elle ne s’attend pas à voir arriver son père. Celui-ci entre dans la pièce, marche lentement et affiche un sourire figé. Marie, intriguée, pose ses crayons sur le couvre-lit et le regarde s’asseoir sur le bord du matelas. Sans un mot, il caresse les cheveux noirs de jais, puis le doux visage de son enfant. Marie, qui ne reconnaît pas l’expression qui anime le regard de son géniteur, est prise d’un sentiment d’alerte intense, puis d’une terreur inexplicable. La main de l’homme glisse sur sa chemise de nuit, puis disparaît sous la flanelle. Marie tente de reculer. Le père la bloque fermement et attrape, de sa main libre, une photo cachée dans la poche de son pantalon.


Sur cette image, Marie découvre le visage de Marthe en gros plan, lèvres entrouvertes, face au sexe d’un homme en érection. L’homme, d’ailleurs, elle le reconnaît. C’est Pierre, le meilleur ami du père.

« Tu vois, Marie, voilà ce qu’on fait quand on aime les gens, quand on aime son papa ! »


Le père dégrafe sa ceinture, puis son pantalon. Il attrape la main de sa fille, qu’il conduit de force entre ses cuisses, puis il l’attrape par les cheveux pour satisfaire ses plus bas instincts.


Dix minutes plus tard, Marie vomit son petit déjeuner et son innocence, se jurant qu’elle tuerait le père.

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28 commentaires

ESTELLE GUILLERD

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Il y a 2 ans

Je ne l'ai pas vu venir...

WendyC.

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Il y a 2 ans

Oh mon dieu je ne m’y attendais pas. C’est tellement dur… Ça a du être vraiment difficile à écrire mais tu l’as très bien fait. Chapeau.

Sylvie Marchal

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Il y a 2 ans

Merci ! Un sujet certes sensible mais qu’on ne peut ignorer

cedemro

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Il y a 2 ans

Je crois qu'un avertissement s'impose en début de chapitre... Une scène aussi explicite de pédophilie peut choquer un bon nombre de personnes. Il faut penser que des membres de cette communauté ont même pû subir ce genre de chose et être fortement troublés par ce passage très fort.

Alain Leclerc

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Il y a 2 ans

Si dur mais si bien décrit ! Bravo. C’est accrocheur et intrigant. Je continue

Adrien Lioure

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Il y a 2 ans

En trois chapitres, trois instants distincts qui pourraient nous perdre mais qui parviennent à s'enchaîner simplement, à dépeindre une famille dans toute son horreur et se complexité. Bien joué :)

Denis Giraud

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Il y a 2 ans

Que ce soit le jour de Noël ou un jour quelconque, celui de l'inceste est le jour de trop; celui qu'il faudrait arracher de tous les éphémérides car mille fois hélas ce jour est à jamais scarifié dans le corps et l'âme d'un enfant quel que soit son âge. Merci Sylvie pour cette piqûre de rappel !

Hanna Bekkaz

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Il y a 2 ans

Quelle horreur ! Portrait de famille glaçant, tu nous plonges avec effroi dans le drame de l'héroïne.

sophie loizeau

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Il y a 2 ans

Je suis sans voix, c'est un chapitre très dur

User231777

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Il y a 2 ans

Wow je ne m'attendais pas du tout à ça. Mais quelle horreur. Quel père ignoble. Pauvre petite amie qui a perdu son innocence un jour de Noël... Comme t va t elle vivre tout ça.. Marthe a t elle trompé son mari ? Est ce pour se venger qu'il impose ça a sa fille ? Je vais vite aller lire la suite.
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