Fyctia

Dans un modeste cercueil en pin, au funérarium de Montargis, repose le corps d’un homme. Chétif, de taille moyenne, il a environ soixante-dix ans. On lui a enfilé un costume gris bon marché pour son dernier voyage. Une coupe de cheveux désuète, une fine moustache sous le nez, le défunt semble venir d’une autre époque.

Peut-être était-il représentant de commerce, petit banquier de province, commerçant, instituteur… Il est Monsieur tout-le-monde.

On peut imaginer qu’il a été bel homme. Un séducteur des temps passé, un danseur qui aurait fait tourner la tête de quelques jolies filles au bal du samedi, dans une petite bourgade de la banlieue orléanaise ?

De lui, on connaît son nom, inscrit sur le registre de condoléances. Ernest Legrand. Là encore, un nom propre plutôt commun, une identité parmi d’autres, sans odeur, sans saveur.

Une modeste gerbe de fleurs est venue s’échouer aux pieds de la funèbre boîte, amenée là par celle qui s’est présentée comme sa dernière épouse. La femme n’est venue qu’une seule fois se recueillir auprès de son défunt mari, les traits sans doute plus tirés par une vie que l’on devine misérable que par le chagrin. Les racines blanches de ses cheveux, sa peau de fumeuse, abîmée par le temps, ses cernes, ne datent pas d’hier. Tout en elle indique la résignation, la tristesse et la solitude. Elle est presque invisible, spectre furtif parmi les vivants.

Ernest Legrand n’aura pas les honneurs d’une cérémonie religieuse, ni le privilège de larmes qui roulent sur les joues d’enfants éplorés, encore moins celui d’une ultime homélie qui mettrait en valeur les fugaces décennies qui ont composé une vie, sa vie. Pas d’ami pour prononcer un discours le portant aux nues. Pas de frère pour porter son cercueil.

Personne.

Si ce n’est cette femme fanée aux cheveux de paille et au regard vide.