Fyctia

Le jeune homme s'approche de moi, le sourire aux lèvres.

- T'as pas encore un rendez-vous médical j'espère ? demande-t-il en riant.

Mon cœur me crie que le destin est en train de me tendre une perche mais mon cerveau essaie de me dissuader de l'attraper. Finalement, j'écoute mon cœur qui bat la chamade :

- Non, je ne vais pas partir comme une voleuse cette fois-ci, rétorqué-je.

- Super ! Alors on va pouvoir passer ces deux heures passionnantes ensemble !

- Exactement !

Sa présence est apaisante, je suis certaine qu'il a remarqué que je comptais quitter le cours. Je ne peux m'empêcher de penser qu'il a vu clair dans mon jeu, dès le début. Il semble comprendre ce que je vis depuis ce matin mais il a la décence de ne pas m'en parler, probablement pour ne pas me mettre mal à l'aise.

Le début du cours se déroule silencieusement de notre côté, Roméo est plus concentré que jamais devant son écran d'ordinateur. Il m'a l'air sérieux et travailleur, ce qui n'est pas le cas de tout le monde dans l'amphithéâtre. À plusieurs reprises, l'enseignant se voit obligé d'interrompre le cours pour reprendre certains étudiants. Au bout d'un moment, il finit même par en virer quelques-uns. Je suis assez étonnée de constater qu'en Master, certaines personnes se sentent toujours obligées d'attirer l'attention sur elles, quitte à mettre leurs études en péril.

De mon côté, j'écoute le cours d'une oreille mais rapidement, mon attention dévie. J'observe les personnes qui m'entourent attentivement, j'essaie de reconnaître les visages de la matinée, je me demande qui vont être les personnes avec qui je vais partager les deux prochaines années de ma vie.

J'aimerais profondément m'intégrer et me faire des amis mais je ne sais pas par où commencer. J'ai bien écumé quelques groupes de discussions sur les réseaux sociaux mais je n'ose pas les intégrer pour discuter avec mes camarades. Pour le moment, je suis au niveau zéro de la sociabilité, j'ai peur que les prochains mois soient ennuyeux et déprimants :

- Est-ce que ça va ? T'as l'air ailleurs, me dit Roméo.

Je sursaute, je ne m'attendais pas à ce qu'il m'adresse la parole, en tout cas pas dans l'immédiat. Je m'extirpe difficilement de mes pensées pour lui répondre :

- Oui, j'ai juste un peu de mal à comprendre le cours.

- Oh, tu veux que je t'aide ?

Je panique. Certes, je n'ai pas compris le cours, mais lui demander de m'aider reviendrait à potentiellement développer une réelle relation amicale, je ne sais pas si je suis prête à cela dès le jour de la rentrée, je ne crois pas pouvoir être à la hauteur. Néanmoins, je prends mon courage à deux mains, j'ai perdu bien trop de temps à angoisser et à me poser des questions, j'ai décidé il y a déjà un moment qu'il était temps pour moi d'enfin oser :

- Je veux bien, oui.

- Super, on peut aller à la bibliothèque après les cours si tu veux, il y a des salles insonorisées dans lesquelles on peut bosser et faire tout le bruit qu'on veut, on pourra discuter, je t'expliquerai tout ce que tu veux !

Une fois de plus, je le trouve adorable et je m'en veux d'avoir tant de mal à me montrer aussi sociable que lui. Il s'ouvre facilement, me sourit, tente de communiquer avec moi dès qu'il le peut. En retour, je me contente de le fixer de manière béate sans jamais lui rendre expressivement sa bienveillance. Je compte bien faire l'effort d'apprendre à le connaître après les cours.

Sur le chemin de la bibliothèque, mon cœur bat la chamade. Roméo n'est qu'à quelques centimètres de moi, nos bras se touchent presque alors que nous marchons en cadence et je me sens plus que jamais mal à l'aise à l'idée de passer du temps seule avec un garçon.

De son côté, il semble détendu, il est souriant et motivé et je n'arrive pas à comprendre qu'il puisse faire preuve d'un tel altruisme envers moi, je suis certaine de ne pas mériter tant de bienveillance.

En arrivant dans la bibliothèque, je suis un peu perdue et ne sais pas vers où aller, elle est immense. Alors que je me dirige vers un endroit, Roméo m'interpelle :

- La zone dédiée à la psychologie est à l'étage, tu as déjà oublié ?

- À vrai dire, je ne suis jamais allée à la bibliothèque.

- Sérieux ? Mais t'as fait comment en trois ans ? Je crois avoir lu quasiment tous les bouquins de chaque rayon moi, j'en avais trop besoin !

Je n'ai pas envie de répondre à sa question, elle me gêne et je ne me sens pas assez proche de lui pour me confier pour le moment, j'opte pour un mensonge :

- J'ai une amie qui a fait psycho, elle m'a donné tous ses bouquins, alors je n'avais pas besoin de me fournir ! réponds-je en riant.

- Je vois, très malin ! J'aimerais bien que tu m'en prêtes un ou deux un de ces jours, si ça ne te dérange pas.

Évidemment, j'étais certaine que mon mensonge allait se retourner contre moi, mais pas aussi rapidement :

- Oui oui, bien sûr, pas de problème, dis-je timidement.

Avec un peu de chance, il oubliera tout cela très vite.

Une fois arrivés au bon endroit, nous nous dirigeons vers une salle dédiée aux travaux de groupes et insonorisée. Nous y pénétrons et nous installons. Roméo s'installe en face de moi et dépose son sac sur la table pour sortir son ordinateur.

Très vite, il me pose des questions sur ce que je n'ai pas compris et commence à m'expliquer tout ce que j'ai du mal à intégrer. Il est doux, calme et patient, il m'arrive parfois de ne pas comprendre du premier coup et j'ai toujours très peur que cela l'agace, mais il n'en est rien. Il reste souriant et impassible, comme s'il était incapable de perdre son sang-froid.

Au bout d'une vingtaine de minutes, il lève brusquement son bras droit. Sans réfléchir et par réflexe, j'ai un mouvement de recul immédiat :

- Tout va bien ? me demande-t-il affolé.

- Oui, excuse-moi.

- J'avais le bras un peu engourdi, je suis désolé si je t'ai fait peur.

- Non, c'est moi qui ai réagi bêtement.

- Ne dis pas ça. Tu veux en parler ?

- Parler de quoi ?

Roméo se lève et vient s'installer près de moi. De mon côté, je reste de marbre et ne le quitte pas des yeux, tétanisée :

- Ta réaction n'était pas anodine, j'ai eu un geste brusque et tu as eu peur, c'est pas normal.

- Mais si, t'en fais pas, j'ai simplement sursauté, rien de grave.

Soudain, il prend mes mains dans les siennes et les serre avec tendresse :

- Si t'as besoin de parler à quelqu'un, n'hésite pas, me dit-il les yeux larmoyants.

Je ne comprends pas qu'il soit si touché par ce qui vient de se passer, nous nous connaissons à peine, certes ma réaction pousse à une certaine interrogation mais de là à être touché à ce point, c'est étrange.

Néanmoins, j'apprécie qu'il prenne ma réaction au sérieux, il ne s'est pas moqué de moi et ne m'a pas décrédibilisé, c'est agréable de se sentir écoutée et comprise, même si j'ai décidé de rester vague dans mes justifications. J'espère qu'à l'avenir, je pourrais lui en dire davantage à mon sujet sans l'effrayer.