Fyctia

7h15. La petite musique se déclenche. J'ouvre un œil, puis deux, et m'étire comme un chat pendant environs trois minutes avant de repousser la couette et de me redresser. Heureusement que je suis efficace dès les premières secondes de réveil parce que j'en connais qui aurait du mal à descendre du lit en mezzanine sans se blesser. Mais moi, toute en grâce et souplesse (quelle blague !), je longe l'échelle jusqu'à sentir le parquet sous mes pieds nus et file à la salle de bain pour une douche énergisante. Je shampouine et savonne tout en fredonnant, parce que je suis invariablement de bonne humeur, et que la bonne humeur, ça s'extériorise.

Propre et sèche, je me badigeonne de crème hydratante de la tête aux pieds. Foutue peau sensible ! L'eau parisienne ne me réussit pas. Si je zappe cette étape, j'ai l'épiderme qui tiraille et démange toute la journée et j'ai horreur de ça. Alors, pas le choix, j'ai inclus ça dans la routine du matin. Et dans le budget aussi, parce que ça coûte une blinde à force ! Point négatif numéro un sur ma liste intitulée Paris vs ma Bretagne natale. Je viens du Morbihan. J'y suis née, j'y ai grandi et y ai fait mes études, j'y ai eu mes premiers petits jobs. Mais depuis deux ans, c'est-à-dire depuis que j'ai trouvé un vrai taf, dans ma branche et suffisamment bien payé, je suis devenue parisienne. Et je dois dire que, dans l'ensemble, ça me convient tout à fait ! Ça bouge, c'est vivant, il y a toujours quelque chose à faire et tout est à portée de main : concerts, expo, théâtre, ballets, spectacles en tout genre. Bon, c'est sûr, c'est pas donné, mais une fois de temps en temps... Je sais qu'il y a aussi tout ça en Bretagne, mais il y a quand même beaucoup moins de choix. Et puis, à Paris, il y a aussi des bons plans sympa qu'on ne trouve pas là d'où je viens, genre assister à l'enregistrement d'une émission, faire partie du public et voir un peu l'envers du décors. J'ai fait ça une fois. C'était une expérience sympa.

Bref, toute tartinée et fleurant bon l'abricot, je saute dans la tenue que je viens de choisir dans ma garde-robe, à savoir un tailleur pantalon dont les pattes sont tellement longues que je dois mettre mes bottes compensées pour ne pas marcher dessus, ce qui me rajoute facile dix centimètres. Ma collègue me déteste pour ça. Je fais déjà un mètre soixante-dix et la dépasse d'une tête et demie en temps normal. Alors quand je mets ces bottes, elle doit tellement lever la tête pour me regarder qu'elle en a mal aux cervicales ! Du coup, je reste assise pour papoter. De toute façon, nos bureaux sont en vis-à-vis donc on se parle à travers l'immense ficus placé entre les deux, sans bouger de nos places, sauf pour les confidences qui nécessites plus de discrétion. On est plus que collègues, on est aussi amies. On s'est appréciées dès mon arrivée. Il faut dire qu'on a beaucoup de choses en commun, à commencer par la Bretagne.

Une fois habillée, je mets du déo et passe trois coups de brosse dans mes cheveux courts puis file prendre mon petit-déjeuner. Pas de maquillage, pas de brushing, pas de fioritures, par contre je prends mon temps pour le petit-dèj : café, tartines au beurre, salé évidemment, yaourt nature et jus de fruit. Avec ça, je tiens une forme olympique toute la matinée. Ensuite, brossage de dents réglementaire, manteau, chaussures, sac-à-main, et zou, je quitte mon studio et gagne la station de métro à deux cent mètres.

Sur le quai de la ligne 4, directe jusqu'au bureau, je me poste pile à l'endroit où la porte de la rame va s'ouvrir pour que j'y monte. Je pioche dans mon sac pour en extraire mon bouquin dont je ne lèverai le nez qu'une fois arrivée à destination. Il faut d'ailleurs que je fasse gaffe, il m'est déjà arrivé de loupé mon arrêt, trop prise dans ma lecture. Quand je descends de la rame, je suis une fois de plus en face de la sortie que je dois prendre. Tout est calculé, optimisé, bien réglé. Encore un peu de marche et me voilà au bureau. Je travaille pour une antenne québécoise qui vise à promouvoir leur belle province auprès des boîtes européennes pour attirer les investissements et les compétences dans des secteurs d'activités qu'ils souhaitent voir se développer chez eux. Je suis l'assistante de deux conseillers au statut d'assimilés diplomates. L'ambiance est détendue tout en étant productive. On est une petite équipe et on s'entend tous bien, tout en ne se comprenant pas toujours. Il m'a fallu un certain temps pour assimiler l'accent et les expressions, et j'ai encore quelques lacunes par moment. La journée file à vitesse grand V.

En sortant du bureau, je ne rentre pas chez moi, mais passe acheter une bouteille de vin et me rends chez ma meilleure amie pour une soirée pain, fromages et blabla. Elle s'est installée à Paris trois mois environs après moi et, merveilleux hasard, elle a trouvé un petit deux-pièces dans un quartier tout proche du mien. Le XIVe arrondissement est un repaire de bretons, on ne pouvait pas tomber ailleurs. Quand je tourne dans sa rue, je la vois un peu plus loin. J'accélère le pas et la rejoins juste avant que la porte du bâtiment ne se referme. A partir de ce moment et jusqu'à la fin de la soirée, c'est papotage et rigolade. Dire qu'on s'est vues il y a trois jours seulement ! Et pourtant, pas un seul temps mort dans la conversation qui ne tarit absolument jamais entre nous. Vers minuit, je me résous à rentrer chez moi. Après tout, nous sommes jeudi, il faut bosser demain et puis, on se revoit dans quelques jours de toute façon.