Fyctia
Chapitre 23
Deux mille ans. Deux mille ans de paix ; deux mille ans à se regarder de loin, à ne s’autoriser que de rares excursions chez les humains ; deux mille ans sans le moindre conflit ouvert. Tout ça ruiné en l’espace de dix jours… Encore une fois, les Cieux faisaient preuve d’une cruelle absence de respect envers ce qu’il s‘évertuait à construire et, nonobstant les millénaires depuis sa Chute, ils le considéraient toujours comme Le Grand Ennemi. En dépit de ses efforts pour qu’aucun d’eux n’ait à déplorer de perte ces vingt derniers siècles, ils le traitaient encore comme s’il venait tout juste de s’élever contre Dieu. Nul pardon pour lui ; seules la haine et la rancune lui seraient accordé par le Grand Horloger et ses serviteurs.
Dans un ultime effort, il tenta de raisonner l’ange mais comprit vite que seul un affrontement le sortirait de cette situation. S’y résignant, il se convainquit qu’en se mesurant, il parviendrait à suffisamment blesser son adversaire pour qu’il abandonne le combat.
Les mots de l’ange abattirent les murs de sa retenue. En le qualifiant d’erreur, son ennemi dénigrait son œuvre, sa vie, ses choix… Du fond de son être, tapie entre son égo et ses désirs, sa colère s’éveilla. Cet ange souhaitait affronter le Diable, Staan allait le lui donner. D’un geste, il fit apparaître son trident et se détourna subitement. Son coup ne traça qu’une ligne dorée sur la gorge de l’être céleste, là où se trouvait sa tête un instant plus tôt. En sa qualité d’ange primordial, les capacités physiques de son ennemi l’avaient sauvé in extremis mais ne suffirent pour parer l’attaque suivante. Staan frappa l’armure avec tant de force que son porteur en fut projeté à travers la place, ne s’arrêtant que contre un mur, dans lequel il creusa une profonde cavité. Avant que l’ange n’ait le temps de bouger, Staan le rejoignit et le repoussa d’un puissant coup de genou. Derrière lui, le malchanceux mur, porteur d’un escalier, s’effondra alors sur le soldat des Cieux.
Si Staan s’apprêta à le sortir des décombres, il perçut soudain un éclat brillé sous les gravats et n’eut qu’un instant pour esquiver la lame de lumière. Son adversaire s’extirpa des pierres et se mit en garde devant lui, chancelant sur ses appuis. L’ange se reprit bien vite et se fendit parfaitement, témoignage d’un entraînement centenaire, rigoureux, et acharné. Le coup aurait été mortel pour un déchu ; un démon, lui, ne l’aurait jamais vu venir. Staan se contenta d’esquiver d’un pas de côté à l’instant fatidique où l’attaque était trop engagée mais avant elle ne l’atteigne. Lorsque l’ange le croisa, Staan le faucha d’un chassé du pied et observa le soldat voler et racler le sol avant de s’arrêter, laissant derrière lui un couloir dans la neige. Le vacarme de leur affrontement alluma peu à peu les fenêtres des habitations proches ; il était donc temps de s’éloigner. Le léger mouvement de rotation de Staan additionné à l’appel d’air provoqué par son décollage créa une spirale de neige dans son sillage, éphémère œuvre d’art, sculpture de glace jurant avec désolation de la scène. Son ascension ne ralentit que dès lors que les lampadaires urbains ne furent plus que des points sous ses pieds et qu’il fut certain d’être hors de portée des regards humains.
Comme prévu, l’ange le rejoignit dans les airs, l’éclat de son épée aisément repérable dans le ciel nocturne. Sa hargne l’emportant sur toute autre préoccupation telle que la discrétion, Staan n’en fut que plus assuré par le cri de son ennemi à son approche. L’aigüe succéda au grave de sa lancée lorsqu’il l’esquiva mais ne tarda à s’inverser de nouveau avec la charge écervelée du soldat céleste. La grâce de sa condition angélique perdu dans la ferveur du combat, il ne restait plus chez l’être que le désir de l’occire.
Hélas, si fort pouvait-il être, Staan le surpassait : il s’était élevé au plus haut rang céleste et nul adversaire ne rivalisait, à l’exception de son successeur à la droite de Dieu. Toutefois, la pression constante des coups de l’ange l’empêchait de contrattaquer et sa patience s’épuisa avant son adversaire. Il finit par enfoncer l’un des piques de son trident dans l’arabesque du pommeau de l’arme de son adversaire, empalant sa main du même geste. Sous la douleur, l’ange mugit tandis qu’il tentait de se défaire du piège mais Staan ne lui en laissa pas l’opportunité et se fendit d’un poing dans son estomac, arrachant le soldat à son arme et le propulsant dans les airs. En dépit de sa colère, Staan se mesurait encore : il ne souhaitait pas la mort de l’envoyé des Cieux.
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