Fyctia
Chapitre 11
Où pouvait-il bien être passé ? Une semaine s’était écoulée sans que son suspect ne vienne au café, alors que Carmen lui avait assuré qu’il y passait quotidiennement. Abigail enrageait dans sa voiture, en planque face au bar : elle avait réquisitionné une équipe de surveillance pendant une semaine sans le moindre résultat, chose qui ayant passablement énervé son supérieur ; il lui avait alors ordonner de se débrouiller par ses propres moyens. Aux vues de l’exceptionnalité de la situation et des nombreuses promotions, son collègue s’était absenté pour assister un nouveau binôme d’officiers. Ainsi s’était-elle retrouvée à devoir faire cette surveillance seule pour quelques heures. Elle soupira et se résolut enfin à abandonner cette piste : elle ne mènerait à rien. Autant rentrer au poste et prêter main forte au reste de ses collègues. La clé dans le contact, elle attendit qu’un passant la dépasse pour ne pas le surprendre du bruit du moteur. Un soubresaut l’agita lorsque le visage de l’homme apparut enfin dans son rétroviseur et elle jaillit tant bien que mal de son véhicule, se dépêtrant avec sa ceinture. Main sur son arme, Abigail lui ordonna de s’arrêter et plongea son regard dans le sien tandis qu’il s’exécutait. Sans la moindre réaction à son égard, comme s’il l’avait oublié, l’homme lui demanda nonchalamment ce qu’elle lui voulait. Si son ton l’agaça, elle se contint en lui demanda de l’accompagner au commissariat : elle avait des questions à lui poser.
« Est-ce vraiment nécessaire ? » débattit-il. « Ne pouvez-vous me les poser ici ? Si nous pouvions faire cela rapidement, cela m’arrangerait : je suis attendu.
— Non. Ce sera au poste, et c’est tout » rétorqua Abigail sèchement. « Je vais vous demander de coopérer, ce sera plus simple pour vous et pour moi.
— Mon choix semble restreint » releva-t-il, toujours de ce ton énervant. « Soit, je vous accompagne. »
L’impatience sous-jacente qu’Abigail perçut dans sa voix et l’absence de réaction qu’il eut face à elle la vexèrent étrangement, qui le fit alors monter dans sa voiture peut-être plus brutalement que nécessaire.
L’homme ne pipa mot pendant le trajet, pas plus lorsqu’ils traversèrent le hall du commissariat, ni même lorsqu’il fut fouillé et placé sur une chaise dans une salle d’interrogatoire. Abigail trouva le carnet dont lui avait parlé Carmen et emmena la pièce à conviction à son chef de section, espérant regagner en crédibilité. Hélas, celui-ci avait une mine sombre qu’il ne quitta pas même quand elle déposait la preuve sur son bureau ; bien au contraire, il planta son regard sur elle et la passa au crible fin. Après une longue minute de silence, elle ouvrit le livret sur la page centrale et déplia la carte en mentionnant que chacune des croix correspondait au lieu d’un meurtre. Sur la page opposée se trouvait une légende où étaient mentionnées les dates de chaque affaire. Pourtant, ce ne semblait pas le satisfaire car il ne l’avait pas quitté des yeux. Ce ne fut que lorsqu’elle demanda s’il s’était passé quelque chose depuis son départ qu’il reporta son attention sur ce qui se trouvait sur son bureau. Son regard s’éclaira brusquement avant de s’assombrir de nouveau. « Ce salopard avait prévu de recommencer, même après avoir descendu nos agents… Bravo, inspectrice Rossi. Voyez ce qu’on peut tirer de ce carnet. Histoire de savoir les motivations de ce type »
Nonobstant le comportement inquiétant de son supérieur, Abigail s’exécuta et partit avec le carnet. Un ultime regard avant de passer la porte lui confirma qu’il lui cachait quelque chose : le commandant la fixait du même regard inquisiteur, comme s’il cherchait à déceler un quelconque secret. Peu sûre d’elle, elle le quitta sans rien ajouter et rejoignit la salle d’observation juxtaposant celle d’interrogatoire où était enfermé son suspect. L’homme n’avait pas bougé de la position dans laquelle elle l’avait quitté, pas plus qu’il ne semblait gêné par la présence des menottes à ses poignets.
Prenant un instant pour elle-même examiner la preuve, Abigail se mit à étudier le carnet qui, au premier abord, paraissait des plus banals : sobre, solide et adapté à la prise de note. Cependant, après avoir senti le grain du papier sous ses doigts, elle se rendit compte que bien que fonctionnel, le calepin se trouvait être de luxueuse manufacture ; un rapide coup d’œil à son suspect releva que lui aussi était richement habillé. Avait-ce rapport avec l’affaire ? Elle reporta son attention sur le contenu des pages et fut étonnée de ne pouvoir en lire un mot : bâtons et triangles s’arrangeaient et se liaient en une sorte de charabia organisé. Plusieurs pages étaient rédigées en cette langue étrange et de petits croquis venaient ponctués la rédaction : pentacles, monstres et autres fantaisies de ce genre. Parfois, elle pouvait lire des mots écrits dans d’autres langues tels que de l’anglais, du russe mais le reste demeurait un ensemble de traits et de triangles qu’elle ne parvenait à déchiffrer.
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