Fyctia

MIA

Je peine à ouvrir les yeux. Le brouillard qui obscurcit mon esprit commence à se dissiper et mes sensations physiques me reviennent lentement : je sens mon rythme cardiaque s'apaiser, ma respiration redevient régulière, et une chaleur réconfortante envahit mon corps.

Mes pensées sont confuses, mais progressivement, je prends conscience de mon environnement, des derniers événements, et j'entends la voix de Gabriel m'appeler. Sa voix se rapproche et je sens mes lèvres se mouiller.

-        Mia, reviens, allez, force-toi, reviens !

Je reviens à moi. La panique et le choc ont eu raison de moi, et mon corps m'a lâché quelques minutes infimes pour me faire basculer dans une perte de connaissance. Est-ce ma manière de ne pas me confronter à la réalité qui m'attend ? À trop jouer avec le feu, on finit par se brûler n'est-ce pas ?

-        Gabriel, dis-moi que c'est un cauchemar, que ce n'est pas vrai, je t'en prie.

Je perçois son chagrin et une once de remords dans ses yeux, tandis qu'il m'étreint tendrement, murmurant des mots qui font battre mon cœur plus fort.

-        Mia, je dois t'avouer quelque chose, mais avant, promets-moi de ne pas me quitter.

Alors, j'écoute sa vérité, et mon cœur explose.

🎵 Colorblind - Counting Crows 🎵

Je suis brûlée, consumée par la douleur. J'ai trop joué. Et je crève de douleur en faisant face à la vérité de Gabriel. Je n'ai jamais vraiment ressenti la douleur de la trahison dans ma vie. Pas ces dernières années en tout cas, pas depuis Léo.

J'avais presque oublié les sensations de sentir son cœur se briser. Je tente de m'échapper du bureau de Gabriel tant sa présence m'est insupportable. Pas de cris, pas de larmes, je garde la tête haute. Je sens sa main se refermer sur mon bras pour me retenir.

Il s'interpose devant la porte de son bureau pour me faire barrage et me fixe les yeux larmoyants, le visage triste.

-        Mia, parle-moi. Pardonne-moi, je ne pensais pas que notre aventure finirait par devenir sérieuse. Je ne savais pas...

-        QUE QUOI ? crié-je la tête haute et les yeux remplis de larmes. DÉGAGE ! LAISSE-MOI PASSER !

-        Je n'avais pas prévu que nous tomberions amoureux, Mia. Laisse-moi te dire ce qui se passe. Ce n'est pas du tout comme tu l'imagines.

-        Je. Ne. Suis. Pas. Amoureuse. De. Toi. Lui craché-je au visage la douleur dans la voix et dans le corps. Tu n'étais qu'un petit passe-temps ridicule, et tu me dégoutes. Rentre retrouver ta délicieuse petite femme et HORS DE MA VUE BORDEL !

-        Mia, arrête de crier bon sang ! On va finir par nous entendre. Tu ne penses pas un mot de ce que tu dis !

Il murmure à mon oreille, son regard empreint de gravité, tandis que je réalise soudainement qu'il me retient fermement, ses mains posées sur mes épaules.

Il me secoue, comme pour me réveiller, me faire sortir de mon hystérie naissante.

Jamais il n'avait eu la moindre violence à mon égard, et je ne comprends plus, je ne sais plus qui j'ai en face de moi.

Je viens d'apprendre que l'homme avec qui j'ai une liaison depuis des mois, l'homme dont je suis tombée désespérément amoureuse, l'homme pour qui j'aurai quitté mon mari, est également marié. Bon sang, pourquoi me l'a-t-il caché ? Suis-je la seule idiote dans ce bureau à la con à ne pas savoir cela ? Est-ce pour cela que Chloé m'avait mise en garde, me disant que les frères Suarez aimaient trop les femmes ?

J'étouffe, je suffoque, je veux partir, rentrer chez moi, pleurer, crier, le détester sans entendre ses explications fumeuses. J'ai mal.

-        Trésor, écoute-moi, je suis marié et j'aurai du te le dire dès le départ c'est vrai, mais je ne veux pas que nos clients puissent avoir connaissance de ma vie privée. Alors j'ai demandé à Filipe de ne rien dire sur ma situation au bureau, à quiconque. En plus, il ne l'a pas beaucoup rencontrée, notre relation avec Sophie est compliquée. Maintenant que je dis tout ça à haute voix, je trouve ça tellement stupide !

Sophie, elle a un prénom, elle existe bel et bien. Seigneur.

-        Je ne savais pas Mia..

Ses mains ont quitté mes bras et il tourne en rond dans son bureau comme un lion en cage.

-        Je ne savais pas, je te le jure. Je ne pouvais pas savoir que je t'aimerais autant. Je vais la quitter. Je quitterai tout pour toi, si tu me le demandes. Mais toi...

Sur ces mots, ces doux mots, il se rapproche de moi, et enfonce ses yeux dans les miens, comme pour imprimer irrévocablement ce qu'il s'apprête à me dire.

-        Toi, ne me quitte pas. J'en deviendrai fou. Tu me tuerais.

J'ai besoin d'air, je dois partir, quitter cet endroit, quitter cette pièce. Le quitter lui ?

Je sais ce que vous vous dites. Je ne suis qu'une salope hypocrite. Parce que je suis mariée. Comment puis-je lui reprocher de l'être ? Mais entendez bien, cela n'a rien à voir.

Je ne lui ai jamais rien caché, il connait tout de moi, et même trop de choses d'ailleurs, des éléments tellement intimes que je lui ai confiés. Il sait tout, je n'ai rien dissimulé sous le tapis.

C'est ça qui me tue, il n'a pas été lui-même avec moi.

Je comprends mieux pourquoi nous n'allions jamais chez lui, pourquoi cela l'arrangeait de ne plus m'écrire après une certaine heure, pourquoi le bureau lui convenait comme cocon, pourquoi il n'insistait jamais pour aller diner à l'extérieur, et pourquoi nous nous étions cachés lorsqu'il m'a emmené voir cette galerie d'art.

La trahison me laisse un goût amer, et je prends la direction de la porte de son bureau sans lui accorder un regard. Je traverse le bureau de Chloé qui remarque mes yeux rougis. Elle se lève en ma direction s'apprêtant à me prendre dans ses bras, elle a dû entendre le principal de cette conversation. Je l'arrête d'un geste de la main.

-        Chlo, si tu me prends dans tes bras, je vais m'effondrer. Je rentre. Je reviens demain. Ou bientôt. Ne t'en fais pas pour moi.

-        Je t'aime ma belle. Il ne te mérite pas, me rétorque-t-elle son regard empli de compassion.

Je me pince les lèvres pour réponse. Comme pour lui avouer à demi-mots mes fautes de ces derniers mois. À elle aussi, j'ai menti. Je me dirige vers mon domicile, sachant que je vais devoir affronter la pire épreuve : mes mensonges envers mon mari.

Quel exquis déclin, n'est-ce pas ?