Fyctia
Chapitre 20 📢👨🚒🚒⛈️
— Que… que… quoi ? m'interloqué-je, les yeux écarquillés.
Derrière Simon, un camion de pompiers dont la lumière bleue tournoyante du gyrophare alerte sur un danger immédiat. Des soldats du feu s'affairent près d'une cabine de propane sur laquelle un arbre s'est effondré et a provoqué une fuite importante. Le vent soufflant dans la direction des habitations, un ordre d'évacuation a été ordonné. Une équipe spécialisée ne devrait plus tarder pour colmater. En attendant, la consigne est de migrer vers la salle des fêtes attenante à la mairie. Au loin, un pompier fait signe à Simon de s'activer.
— Allez les filles, il faut y aller maintenant ! J'ai encore des gens à prévenir !
— Marion, je vais me changer vite fait à l'étage, déclaré-je.
— Non ! Il faut sortir tout de suite ! dit Simon, d'une voix ferme.
D'abord étonnée par cette autorité naturelle qu'il dévoile, je suis, par la suite, admirative de sa façon de gérer une telle situation. Cet homme est plein de surprises. Enveloppé dans une parka bleu marine avec des bandes grises réfléchissantes, il semble investi dans la mission qui lui a été confiée. Marion attrape nos manteaux, les clés dans l'entrée et me pousse vers l'extérieur. Je laisse tomber mon chapeau vers l'arrière puis pendre à mon cou grâce à la cordelette. Après avoir enfilé ma doudoune, je cale mon menton dans le col remonté au maximum. Alors que nous bravons le vent et la pluie qui nous fouettent de tous les côtés, j'observe Simon se hâter d'alerter les voisins restants. D'une poigne de fer, il leur indique le point de rassemblement. Colette, quelque peu chancelante, s'agrippe à son bras. Simon l'aide du mieux possible, tel un véritable gentleman.
— Éli ! Arrête de rêvasser ! Faut qu'on avance !
— Mais Simon…
— Quoi Simon ? s'exaspère-t-elle un tantinet en me tirant par la manche pour accélérer le pas.
— Pourquoi il n'est pas avec les habitants à l'abri ? Il est maire, je sais mais, ce sont les pompiers qui gèrent ça d'habitude, non ?
— Simon est pompier bénévole, Éli ! Quand il y a un besoin, il se rend dispo. Allez, viens !
— Il est maire, barman, pompier… Il s'arrête parfois ?
— Quand je te dis qu'il n'a pas le temps pour l'amour, c'est pas pour rien, tu sais !
A présent réfugiées dans le sas d'entrée de la salle des fêtes, nous nous secouons les cheveux pour leur redonner du volume. Un grand miroir nous renvoie cette image de "Marie Toutoule", cette expression bien du Nord dont la signification –"femme débraillée, négligée"– est synonyme d'anti-sexy par excellence.
— Mon Dieu… mais je vais perdre en crédibilité si je rentre là-dedans ! Je reste ici !
Les bras croisés, ma décision est irrévocable.
— Comme tu veux, mais moi, je ne vais pas rester dans les courants d'air parce que t'as honte de ma combi de lapin rose. Suis certaine qu'ils sont tous en pyjama ! T'as vu l'heure qu'il est ?
— Toi, t'es pas en pyjama… constaté-je.
— J'suis pas en pyjama car t'as squatté la salle de bains et ensuite on a dansé ! Amène-toi Éli !
Fataliste, je me laisse embarquer vers ce qui m'a tout l'air d'être un réel suicide social. En passant la double porte en direction de la salle principale, le brouhaha fait place à un silence pesant et une multitude d'yeux se braquent sur nous. Surtout moi. Uniquement moi à vrai dire. Une vingtaine de personnes aux expressions effarées et moqueuses chuchotent en me dévisageant. Fallait s'en douter !
Je prends une profonde inspiration et me lance :
— Bonsoir tout le monde ! Alors oui, je suis un lapin rose avec des santiags et un chapeau de cowboy. Pour ceux que ça intéresse, c'est le pyjama que Marion m'a prêté, elle pourra vous donner le nom de la boutique où elle l'a achetée !
Marion pouffe de rire. Autant assumer. Ça peut passer, non ?
— Bonsoir docteur Delatour, commence Lysette. C't'une nouvelle mode ché les jeunes ?
— J't'avais dit, ces jeunes zont des mœurs bizarres, ajoute Lydie.
— T'es sourde pour c'qu'tu veux, ti ! rétorque sa copine. Mi, j'aime bin ! Ché bô l’rose !
— Qu'est ce qu'elle dit ? rebondit l'autre.
— Elle dit qu't'es sourdingue, un cach' l'embroule et qu't'emmerde l'monde ! se mêle Yves Leborgne.
— Ché pô c'que j'ai dit ! s'énerve Lysette.
— Un cach' l'embroule ? Ça fait bien longtemps que je n'ai pas entendu cette expression ! m'exclamé-je.
— Ouais quelqu'un qui cherche toujours l'embrouille quoi ! répond Yves.
Ce dernier me tend un gobelet fumant en carton. Il me chouchoute dis donc ! Ou bien serait-ce du fayotage ?
— Un p'tit café pour vous réchauffer, doc ?
— Merci beaucoup mais si je bois un café à cette heure-ci, je ne vais plus dormir, c'est certain !
Antoine Argan, lui aussi présent, s'avance à son tour, visiblement embarrassé.
— Doc, je voulais vous dire. J'ai regardé ce qu'était l'arganisme sur internet. J'ai pas pu m'en empêcher.
Je feins l'étonnement mais rigole intérieurement. C'était obligé à plus de quatre-vingt-dix-neuf pourcent.
— Vraiment ? Vous n'avez pas suivi mon conseil ?
— Désolé mais je n'ai pas trop compris ce que l'huile d'Argan venait faire dans l'histoire…
Eh merde, j’aurais dû le pressentir. La référence à Molière lui est passée sous le nez. J'inspire profondément et réfléchis.
— Nous en discuterons lundi au cabinet si vous voulez bien ?
D'ici là, j'espère avoir trouvé une parade.
— Oh merci docteur Delatour ! Vous êtes vraiment une perle !
Je n'ai rien fait pour mériter pareil éloge, cependant, je ne vais pas m'en plaindre ! Mon ego est satisfait !
La double porte d'entrée s'ouvre pour laisser entrer Simon ainsi que Colette. La vieille dame s'empresse de rejoindre ses copines pour "raconter le compte" comme on dit dans le Nord. Plusieurs personnes se jettent presque sur le chef du village pour en savoir plus.
— Quand allons-nous pouvoir rentrer chez nous ? s'impatiente l'un.
— Combien de temps cha va durer ? demande un autre.
Les mains en l'air, Simon s'impose tel un vrai leader.
— Tout devrait être revenu dans l'ordre rapidement. Des équipes font leur maximum. Je vous remercie tous pour votre compréhension ! Vous trouverez des couvertures à disposition dans la pièce arrière. Nous avons du café, du thé. Tout ce qu'il faut pour survivre… les deux prochaines heures !
Même s'il utilise le ton de la plaisanterie, des râles s'élèvent dans la salle malgré tout, car il n'y a pas plus inconfortables que les chaises de la mairie à cette heure. La fatigue gagne surtout les personnes âgées qui sont plus sujettes à perdre patience. Simon, en bon conciliateur, réussit à détendre l'atmosphère en répondant aux questions des uns et des autres avec sincérité. Je repense à la description que m'en a faite Marion. Et elle a raison. Cet homme intrigant m'a tout l'air d'un véritable gentleman. Gentil, généreux, à l'écoute, doté d'un tact extraordinaire. En apparence, Simon est… parfait. Seulement, si j'en crois mon expérience, Louis aussi l'était.
Tout à coup, l'affolement du chef de file stresse la foule.
— Excusez-moi ! Quelqu'un aurait-il vu Jean-Paul ?
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Judith | Fyctia
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