Fyctia

Les bourrasques de vent tourbillonnantes se font de plus en plus violentes. Mes belles boucles auburn se sont volatilisées pour laisser place à des frisottis. Je ressemble désormais à un caniche trempé de la tête aux pieds. Alors, à peine la porte de la maison franchie, je coiffe ma colocataire au poteau, fonce prendre une bonne douche bien chaude pour réchauffer mes terminaisons nerveuses totalement congelées. Grrrr quel temps imprévisible ! Ce matin, le soleil brillait ! Encore une soirée ratée qui avait pourtant si bien commencé. Je serais bien restée pour poursuivre notre petite conversation avec Simon. Malheureusement, il en a été autrement. Ce n'est, je l'espère, que partie remise. 

Serviette enroulée autour du buste, je m'observe dans le miroir embué de la salle de bains. Les cheveux mouillés, le teint pâle, mes yeux noisettes semblent plus clairs que d'ordinaire. Sans fond de teint, mes taches de rousseur réapparaissent comme par magie, parsemant mes pommettes saillantes. Plus petite, j'en avais honte, probablement parce qu'on me comparait sans cesse à Fifi Brindacier. Ses deux horribles couettes à l'horizontale m'ont réellement traumatisée. Je n'ai jamais assumé. Aujourd'hui n'a pas changé, cependant, mes cheveux sont plus foncés et je peux dissimuler les stigmates de ma vraie couleur sous une fine pellicule de maquillage. 

Je m'apprête à enfiler ma nuisette, mais vu la température glaciale, un des pyjamas de Marion fera bien mieux l'affaire. C'est l'effet campagne ! Je farfouille dans ses tiroirs et choisis celui au-dessus de la pile, une combinaison rose bonbon molletonnée pourvue d'une immense fermeture éclair dorée sur le devant et d'une capuche aux oreilles de lapin. Y'a pas pire comme tenue. Au revoir le sexy, bonsoir la ringardise. Lorsque je la rejoins dans le salon, elle m'accueille avec un grand sourire.

— Ah, tu t'es décidée ! s'amuse-t-elle.

— Je me suis résignée tu veux dire, râlé-je. Heureusement que le ridicule ne tue pas.

— Oh fais pas ta rabat-joie, personne te verra ! Y'a que moi !

— Ouais ouais ouais... C'est clair que si je veux rester crédible en tant que médecin du village, cette tenue ne m'y aidera pas !

— Moi, je trouve ça tendance ! rigole-t-elle.

— Attends voir, j'ai un truc qui va pouvoir me rendre plus sexy encore !

Rapide comme l'éclair, je saisis mes clés sur la console dans l'entrée et retourne braver le vent et la pluie quelques secondes. À l'arrière de ma voiture, attendent, toujours tranquillement, santiags et chapeau de cow-boy, prêts au cas où. Je m'en empare et retourne à l'intérieur. Le maître-mot : autodérision ! J'enfile le tout, sous les rires incontrôlables de ma meilleure amie. Le bas du pantalon coincé dans les bottes en cuir marron, un index posé sur le rebord du chapeau légèrement incliné vers l'avant et une main sur la hanche, je défile sous les applaudissements et sifflements de mon enthousiaste colocataire. Ma démarche de cow-girl, jambes écartées, la fait mourir de rire.

-— Désolée de te le dire ainsi mais…

— J'ai l'air con ?

— Oh que oui ! Heureusement que je suis la seule personne avec qui tu partages cette faute de goût innommable !

— Ce sont les bottes et le chapeau qui font tout ! 

— C'est sûr !

Marion me tend mon téléphone posé sur la table et me supplie de lancer une chanson country.

— Je sais qu'encore une fois, c'est une soirée pas top, lâche-t-elle. Alors, je te propose de la finir en m'enseignant quelques pas de danse. C'est quoi la chorégraphie du moment ? Un truc simple pour les débutants ?

Pas besoin de me le demander deux fois. 

— Une country ou une celtique ?

— Parce que tu fais aussi de la danse celtique ?

— Oui oui, on en apprend une ou deux dans l'année. Souvent pour la Saint-Patrick !

— Je suis impressionnée !

— Je t'avais dit que je voulais devenir animatrice country ? Je vais passer la certification en rentrant sur Lille !

— Nan ! C'est trop bien ! Allez je suis ta première élève, ton cobaye si tu veux !

Rapidement, je lui explique le concept ainsi que les pas de base puis ceux de I feel lucky. Complètement en adoration devant la chanson et le rendu de la danse, nous la répétons en chantant.

— Talon, pose, talon, pose, quart de tour, hitch ! Le hitch c'est le genou en l'air ! Marche, marche en arrière, pointe…

Marion est une élève attentive, disciplinée et qui enregistre assez facilement. On s'amuse, on danse, on rit, on chante et ça fait un bien fou. Pendant un moment, j'en oublie ce trou paumé, j'en oublie que je meurs d'envie de rentrer chez moi, j'en oublie l'ennui. Pendant plus d'une heure, nous nous trémoussons sans nous douter un seul instant que de gros coups à la porte viendraient nous arrêter dans notre enchaînement. La musique sur pause, Marion s'en va découvrir qui endosse le rôle du perturbateur. Une voix que je reconnais aussitôt s'élève et sans réfléchir, j'accours dans la foulée, zappant totalement ma tenue pour le moins excentrique. Lorsque que je me retrouve face à un Simon surpris qui me scrute de haut en bas, je réalise mon erreur. Il lui faut quelques secondes pour décrocher un sourire moqueur. C'est à cet instant que je regrette de ne pas avoir enfilé ma nuisette. Je n'aurais jamais dû écouter Marion !

— C'est soirée lapin de Pâques ? Fallait m'inviter ! me taquine-t-il. J'aurais ramené des chocolats !

Embarrassée, je trouve tout de même le courage de rétorquer à Monsieur Le Maire :

— En effet, on recrute un poussin ! Tu postules ?

Je crains d'avoir outrepassé la ligne invisible qui existe entre nous, même si, au final, il m'a tendu une perche !

— J'aurais bien voulu mais là, il va falloir sortir mesdemoiselles. On évacue toute la rue vers la salle des fêtes. Fuite de gaz !