Fyctia
Chapitre 13 🥼🕙 J-55
Les journées s'enchaînent et se ressemblent avec son lot de rendez-vous patients, de pluie et d'ennui. Cinq jours ici équivalent à cinq mois. C'est long. Très long. Horriblement long. Chaque soir, j'ajoute une coche sur mon calendrier.
J-55.
Cinquante-cinq jours restants. Je vais mourir. Je n'arriverai jamais à tenir. Jamais.
On est vendredi soir et le vendredi soir à Lille, je sors quand je ne suis pas de service. Habituée aux afterworks en compagnie des collègues dans un bar cubain au cœur du Vieux-Lille, je déchante vite car ici, c'est soirée Netflix et Netflix… eh bien, commence à me courir sur le haricot comme dirait ma mère. Et pas qu'un peu. Marion, elle, ne court pas sur le haricot, mais un soir sur deux pendant une heure le long de la plage. Pour ma part, le jogging, ce n'est pas mon truc. Alors pendant ses absences, je révise les danses country, les pas. Pas simple. Tous mes repères ont disparu et il y a peu de place dans le salon pour effectuer des tours complets. Mes partenaires de gauche, de droite, de devant ou de derrière manquent à l'appel. C'est beaucoup moins fun et le découragement semble inévitable. Lorsque Marion revient vers dix-neuf heures trente, je lui propose, non, je lui impose de sortir et de trouver refuge dans un bar pour passer la soirée. Sauf que… tous fermés à des kilomètres à la ronde. Comme si tous les commerçants s'étaient passé le mot. Le seul ouvert était vide. Pas un chien. Alors pour l'ambiance chaud bouillante, on repassera. Nous y avons tout de même pris un verre mais sans grand enthousiasme. Rentrées blasées vers vingt-deux heures, nous voilà de nouveau devant Netflix. En nuisette et peignoir en soie, je reconnais avoir un peu froid et me blottis sous un plaid près du feu, telle une vraie mémère.
— Pourquoi t'es en nuisette ? m'interroge Marion. Tu me donnes la chair de poule !
Mon amie, enveloppée dans un pyjama pilou pilou jaune poussin lui enlevant toute sexytude, fait mine de trembler de froid.
— Je suis plus à l'aise en nuisette ! Et puis, imagine quelqu'un débarque, je serai présentable !
— Qui ? Y'a que des vieux ici ! Oh quoi que… y'a Simon ! Oh Simon !
— T'es lourde Marion, tu sais ça ?
— OK, sans rire, personne ne te verra dans un pyj' pilou pilou et même si c'était le cas, tout le monde s'en tape ! T'as cru que Colette, Lydie ou Lysette dormaient en nuisette ? Nan mais, à Châtelet-plage, c'est le confort qui prime ! Portes-en un, tu verras, ça change la vie ! Sers-toi dans mon placard si tu veux !
— On verra bien.
— Sinon, demain, je t'emmène au bar juste à côté, bifurque-t-elle. Aujourd'hui, il était fermé exceptionnellement. C'était pas de chance. Et puis y'aura aussi le marché. On ira y faire un tour.
— Y'a personne de notre âge ici, on est d'accord ?
— Y'a une école primaire à l'entrée du village. Mais les parents des gamins ne vivent pas tous forcément ici. Châtelet était le meilleur compromis pour éviter trop de route, voilà pourquoi l'école est établie ici. D'ailleurs, on se demande si elle ne va pas fermer un de ces quatre… On va devoir se résigner et arrêter les frais. C'est tellement dommage. Notre coin n'est pas très attractif pour les jeunes. Des classes d'à peine dix élèves, tu te doutes bien que c'est voué à l'échec.
— Comment tu fais sérieusement, je comprends pas.
— C'est peut-être incompréhensible, mais j'aime vivre ici.
— Mais tu… enfin, laisse tomber. Je ne veux pas te juger.
— Je m'entends avec tout le monde Éli. J'ai toujours eu plus d'affinités avec les personnes plus âgées. Les habitants… on est une grande famille. D'ordinaire, on est tous les uns chez les autres mais c'est ta première semaine et je ne veux pas forcément t'imposer quoi que ce soit ni te laisser seule. Je sais que ce n'est pas évident pour toi. Entre la ville et la campagne, y'a un sacré fossé. Faut le temps de s'adapter, j'en ai conscience.
— Tu devrais pas changer tes habitudes pour moi.
— Au contraire, je veux que tu t'intègres et c'est pas en te laissant seule que tu y arriveras.
— T'as pas envie de rencontrer quelqu'un et fonder une famille ?
— Ce serait mentir que te dire que je n'y pense jamais. Mon horloge biologique tourne, je le sais. Mais je ne vais pas me mettre avec le premier venu pour dire d'être avec quelqu'un. Oui, je suis abonnée à des sites de rencontres, mais à ce jour, rien de probant.
— T'inquiète, je vais m'occuper de ton cas ! Vas-y montre tes sites, Éli agence matrimoniale va t'aider.
Marion lève les yeux au ciel mais s'empare de son portable pour me montrer les différents profils avec lesquels elle a conversé. C'est à ce moment-là que mon propre téléphone émet un bip. J'ai reçu un message.
Et voilà. Un message de plus pour me rappeler que je me fais chier comme un rat mort ici. Alors que je m'apprête à lui répondre qu'apprendre la country par vidéo, c'est impossible, un autre message apparaît :
Il me faut quelques minutes pour réaliser que mon ex vient tout juste de me contacter en tout bien tout honneur malgré nos relations épineuses depuis plusieurs mois. Étonnant. Vraiment.
J'ai menti. Mais comment lui avouer que je me suis plantée en beauté ? Il jubilerait et il en est hors de question. Je l'imagine en train de se moquer à n'en plus pouvoir.
Je réponds une dernière fois à ma mère, coupe mon téléphone et me concentre désormais sur Marion et son futur mec car, là, j'ai décrété l'urgence maximale.
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ClemZ
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Valentine M
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Maddy Son
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Patricia Eckert Eschenbrenner
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Deslivretmoi
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Maddy Son
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