Fyctia

— Bonjour mesdames ! Qui a rendez-vous en premier ?

— Oh personne ! On voulait zuste vous saluer et vous souhaiter la bienvenue parmi nous hein ! Moi, c'est Colette ! Et elles, Lysette et Lydie !

Colette possède un cheveu sur la langue et un accent du Nord, mais bien moins prononcé que celui de ce cher Robert !

— On a su pour Titine ! Ché ben fantastique c'que vous z'avez fait hier !

— Les nouvelles vont vite… lâché-je, blasée.

— Robert nous a dit que vous zaviez pas hésité à salir vos belles godasses et vot' belle robe ! ajoute Lysette, d'un timbre si rauque qu'il trahit son péché mignon du nom de nicotine.

Marion pouffe de rire, cachée derrière son comptoir.

— Marion ! Arrête de rire ! hurle Colette. Ché pas toi qu'as mis tes mains dans l'cul de c'te vaque !

— Qu'est ce qu'elle dit ?! dit la dernière, Lydie, d'une voix aiguë et éraillée.

— Que docteur Delatour a mis ses mains dans l'cul d'une vaque ! crie Lysette dans l'oreille de sa copine qui n'entend rien.

— Elle a quoi ? Mis s'tête dans l'cul d'une vaque ? Mais pourquoi quelqu'un f'rait ça ? Ché dégueulasse ! Ah ces jeunes d'aujourd'hui, z'ont des mœurs bizarres…

Lydie balance la tête de droite à gauche et affiche une moue écœurée.

— Vin dious, t'es sourde comme un po ! ajoute Colette. Ses mains ! Pach s'tête !

Je reste stoïque devant cette discussion lunaire. Me pinçant l'arête du nez, je me retiens d'éclater de rire. D'autres patients décident de se joindre à la conversation rendant le tout encore plus improbable.

— Bah voui ! dit l'un. I paraît que vous z'avez bien géré ! J'ai ma truie qui va mett' bas aussi bientôt ! Quand ché qu'vous pouvez v'nir ?

— Je suis navrée mais je suis médecin pas vétérinaire… Hier, c'était un concours de circonstances… Mettre au monde des veaux ou des cochonnets, ce n'est malheureusement pas mon métier, réponds-je avec une extrême politesse pour éviter de froisser qui que ce soit.

— Des cochonnets ?! rigole toute l'assemblée.

Je fronce les sourcils, perdue. À la vue de mon expression déconcertée, ils en rajoutent une couche et se moquent ouvertement de mon manque de connaissance des animaux de la ferme.

— Qu'est-ce qu'elle dit ?! recommence Lydie.

Je suppose qu'un appareil auditif ne serait pas du luxe pour Lydie.

— Elle dit qu'eul bébé du cochon, c't'un cochonnet, rétorque Colette en articulant du mieux possible.

— On dit pas des cochonnets docteur ! crie un autre. C'est à l'pétanque ça !

— Des porcinets alors ! Roooo, c'est pareil ! m'emporté-je, légèrement agacée.

Tout le monde éclate de rire. Même Marion s'y met. Qu'ai-je dit de si drôle enfin !?

— Le bébé de la truie est un porcelet, déclare une voix masculine derrière moi. Porcinet… c'est le copain de Winnie l'ourson, si je ne m'abuse.

Lorsque je relève les yeux, je suis hypnotisée par deux immenses perles bleues, un sourire à tomber et une chevelure ondulée, de couleur châtain aux reflets dorés. P*#%@!, mais c'est qui ce prétentieux au look de prince charmant ? Veste noire, chemise blanche cintrée, l'ensemble accompagné d'un jean et de chaussures en cuir. Il semble avoir une trentaine bien avancée et dénote donc du reste des patients.

— Désolé, continue-t-il, je ne voulais pas vous interrompre mais il me semblait nécessaire d'intervenir.

— Bah oui m'sieur Le Maire, faut pas confondre Porcinet et porcelet... Eul nouveau docteur n'est pas du coin. Elle est del ville, blague Lysette.

Monsieur Lemaire ?! Comme le nom sur la plaque, j'avais donc raison.

Toutes les personnes dans le cabinet explosent de rire. Elles n'ont aucune pitié pour la citadine. Je suis venue pour les aider et voilà comment je suis remerciée. Je tente de garder mon sérieux mais le rire est contagieux et, ne pouvant me contenir plus longtemps, je les imite à mon tour. Rire de soi n'a jamais tué personne, fort heureusement.

Soudain, il s'avance vers moi, d'une assurance sans égale. Avec son sourire ravageur et son regard profond, il me tend une poignée de main.

— Je me présente... Simon, le Maire du village. Enchanté.

Oh ! Je ne comprends plus rien. Rien à voir avec la famille du médecin que je remplace. C'est monsieur Le Maire en personne qui vient à ma rencontre. Quel honneur ! Je retire ce que j'ai pensé trente secondes plus tôt. Il m'a tout l'air d'être un homme charmant !

— Enchantée également, rétorqué-je en le saluant. Elisa Delatour. Je remplace le médecin du village.

— Oui je sais déjà. Je tenais à vous souhaiter la bienvenue ainsi qu'une bonne installation. Tout se passe pour le mieux ? Si vous avez besoin de quoi que ce soit, venez toquer à ma porte, à la mairie. Mais à ce que je vois, vous avez déjà pris vos marques. D'aussi loin que je m'en souvienne, le cabinet n'a jamais été aussi lumineux. C'en est plaisant !

— Merci beaucoup. J'essaie de mettre une touche plus féminine mais pas évident avec ces locaux vieillots et non entretenus.

Une fois de plus, Marion se cale au fond de sa chaise de bureau.

Qu'ai-je encore dit de si gênant ?

— Comme je vous comprends ! Oh mais vous avez un poisson. C'est quoi son nom ?

Une douzaine de paires d'yeux me fixent. Je leur explique à tous la fin tragique des compères de D'Artagnan, lorsque Colette m'interrompt.

— Quoi ?! Vous z'osez héberzer un assassin ? Mais quelle horreur... Viens Lydie, on va le r'mettre à l'mer. Y sera mieux là-bas, dit-elle en faisant mine de prendre le bocal.

Les mamies gloussent à n'en plus pouvoir... sauf Lydie qui n'a pas entendu que son amie s'adressait à elle.

— Sauvons D'Artagnan ! hurle Marion en tendant le bras en guise de contre-attaque.

Mais où suis-je tombée ?

— Laissons ce poisson tranquille mesdemoiselles ! plaisante le Maire en tapant des mains. Il ne vous a rien fait à vous ! Nous ne risquons rien. J'espère qu'il se plaira dans sa nouvelle demeure. Et vous aussi, surtout au vu des circonstances. Mon...

— Oh Simon ! le coupe brusquement Marion. Je voudrais te parler une minute en privé.

Simon acquiesce d'un hochement de tête avant de la suivre à l'extérieur, claquant la porte derrière lui. Tant pis, je ne saurai rien de leur discussion. Je m'approche du comptoir pour consulter le planning mais mon regard est attiré par les gestes de mon amie à travers la fenêtre. De quoi peuvent-ils bien parler ?

— C'est pas beau d'espionner les gens, vous zavez pas honte ? s'indigne Lydie, me surprenant la main dans le sac.

Non mais c'est pas possible ! De quoi j'me mêle ?

— Je n'espionne pas d'abord... je regarde le ciel menaçant, me défends-je. On dirait qu'il va pleuvoir... encore...

— Ché pas au singe qu'on apprind à faire eul grimace, rechigne-t-elle, tout en se levant de son siège et se postant à mes côtés.

Fronçant des yeux, Lydie se concentre pour épier comme moi.

— Dommage qu'on n'entinde rin, hein ?

— C'est l'hôpital qui se fout de la charité, ma parole ! m'offusqué-je à voix haute.

Je me résigne, abandonnant l'espoir d'en savoir plus. Planning dans les mains, j'appelle le patient suivant.

— Monsieur Leborgne, c'est à vous.