Fyctia
Chapitre 1 🍀🌧☔️🐄
— Satané réseau de merde ! hurlé-je en tapant le volant des paumes de mes mains.
Je maudis le ciel de m'être stoppée sur le bas-côté de cette route non éclairée. Impossible de repartir, ma voiture s'est embourbée. Les roues droites sont coincées dans une ornière aussi large que le grand Canyon. Il pleut des trombes d'eau et j'ignore où je suis. Mon GPS m'a lâchée. Pour enfoncer le clou, ma playlist diffuse une chanson de circonstances I feel lucky de Mary Chapin Carpenter.
No tropical depression gonna steal my sun away… Humm i feel lucky today…
Oh oui quelle chance j'ai !
Je fais taire cette menteuse de chanteuse de country d'un geste. Le téléphone dans la main, je cherche désespérément quelques barres pour appeler Marion à la rescousse. Je persiste mais en vain. D'Artagnan, mon poisson rouge m'accompagne dans mon périple. En sécurité dans un plastique hermétique posé sur le siège passager, il tournoie sur lui-même.
— T'inquiète D'Artagnan, on va y arriver…
Équipée de mon parapluie noir rangé dans la porte avant gauche, je m'aventure à l'extérieur. Déjà pour constater l'ampleur des dégâts et me lamenter sur mon triste sort mais aussi dans une ultime tentative d'appel à l'aide. Armée de l'application lampe torche, j'éclaire du mieux possible le sol glissant. Je savais que j'aurais dû enfiler un jean et des baskets. Ma tenue actuelle, veste en cuir, robe de mi-saison et bottes à talons hauts, n'est clairement pas en adéquation avec Mère Nature aujourd'hui. On ne voit rien à plus d'un mètre et seul le vent fort siffle dans mes oreilles. J'arrive à percevoir le bruit proche des vagues et l'air iodé titille mes narines. La pluie s'intensifie et les bourrasques me prennent pour cible, s'attaquant violemment à mon parapluie, qui se retourne en une fraction de seconde. À présent trempée de la tête aux pieds, je grogne toute ma rage. Et vu que I feel lucky today, je ne remarque pas le nid de poule droit devant moi et manque de me tordre la cheville. Il fait froid, noir et humide et je commence à regretter d'avoir accepté la proposition de Marion.
— Fait chier !
Enragée, je retourne m'installer, au sec, sur le siège conducteur et verrouille les portes. Je me résigne et patiente jusqu'à ce qu'une âme charitable pointe le bout de son nez et me sauve de mon malheur. Dans mes souvenirs, la ville du Touquet était assez bien desservie pourtant. J'ai loupé une sortie, impossible autrement. Mon amie m'a assuré qu'elle habitait juste à côté. Comment ai-je pu me retrouver sur ce chemin perdu au beau milieu de nulle part ? C'est improbable. Alors, moteur tournant, j'allume le chauffage à fond pour me sécher et j'attends. Je stresse, puis ferme les yeux. J'ai dû m'assoupir un petit moment car je suis réveillée en sursaut par quelques coups sur ma vitre. Un homme immense se tient debout et m'observe. Une peur subite me submerge. Mes doigts se resserrent sur les côtés du siège. Mon esprit divague et l'assimile aussitôt à un fou furieux. Mes heures sont comptées. Sa main effectue un drôle de geste en forme de cercle. Il me faut de longues secondes pour comprendre qu'il souhaite que je baisse mon carreau. J'hésite, mais finis par m'exécuter sur un ou deux centimètres.
— Z'avez b'zoin d'un coup d'main, mam'zelle ? Ça drache sévère euh c'soir !
— Je... je...
— J'va pas vous minger hein. J'veux zuste vous z'aider.
Mon dieu... mais dans quelle galère je me suis fourrée ? Il parle ch'ti. J'enclenche donc le décodeur. Je suis nordiste d'origine et mes grands-parents lensois m'y ont initiée petite. Heureusement !
— Je... je suis coincée, ma voiture...
Je bégaye. Cet homme imposant, affublé d'un long imperméable sombre sur lequel glisse la pluie et dont la tête est recouverte d'une ample capuche, ne m'inspire pas vraiment confiance. De son visage, je ne discerne qu'une barbe bien fournie et un nez proéminent. Dans le rétroviseur, mes yeux, aveuglés par deux gros phares jaunes pointés dans ma direction, cherchent désespérément une issue. Un film d'horreur.
— Z'êtes coincée din z'une ornière... Va falloir app'ler eul dépanneur.
— J'ai essayé, y'a aucun réseau ici !
— Eul réseau fait des p'tiots caprices din cte région. Z'allez où ?
Je réponds, toujours méfiante.
— Ah bah, c'est à quat' kilomèt' à peine ! s'exclame-t-il. Mais à pied, avec cte temps et à cte'heure, j'vous le conseille pô ! J'vous z'emmène ! Par cont', j'dois passer aider m'femme pour not' Titine avin ça. Titine, c'est Clémentine, une de nos vaques, elle est en train d'mett' bas. Ça vous déringe pô ?
— Je... je ne sais pas… J'ai mon poisson avec moi, je ne peux pas le laisser là…
— Venez avec vot' pichon ! Quand y'a d'la place pour un ou deux, y'en a pour trois ! plaisante-t-il bruyamment. Cha prend pas d'place un pichon ! Komint qui s'appelle cti là ?
— D'Artagnan…
— Un pour touche, touche pour un ! s'exclame l'inconnu en brandissant subitement le poing en l'air. I chont où les trois mouchquetaires ?!
— Athos, Porthos et Aramis ont très vite rendu l'âme, la faute au quatrième qui ne supportait pas de partager son bocal. D'Artagnan les a tués les uns après les autres.
Je suis prête, tout comme D'Artagnan, à mettre mes ennemis au tapis si nécessaire ! Tous mes signaux sont en alerte rouge et refusent de suivre cet inconnu. Pourtant, passer la nuit ici ne me tente guère plus et il n'a pas l'air si méchant. Pourquoi inventer une telle histoire avec une vache ? Alors discrètement, je m'empare d'un petit couteau rangé près de mon siège et le cache sous ma veste, le long de mon poignet. On ne sait jamais. La crainte n'évite pas le danger. Je serais prête à l'utiliser si cela s'avérait nécessaire. Et me voilà installée, mon poisson sur les genoux, dans cet énorme tracteur plus bruyant tu meurs, qui avance à deux à l'heure, aux côtés d'un individu on ne peut plus du coin.
I feel lucky, oh oh oh i feel lucky, yeah…
Cette foutue chanson tourne en boucle dans ma tête et je la fredonne malgré moi. D'ordinaire, je l'adore mais là…
Si on m'avait dit deux mois auparavant que moi, Elisa Delatour, chirurgienne en chef du service obstétrique du CHU de Lille, finirait par aider une vache laitière à mettre bas en compagnie d'un inconnu à l'accent ch'ti très prononcé, et ce, en pleine nuit par moins cinq degrés (promis, je n'exagère pas… ou peut-être un peu, un tout petit peu… OK, OK, j'exagère carrément !), je n'y aurais jamais cru. Jamais. Pourtant, je suis là, enveloppée de cette odeur de purin caractéristique du monde agricole, qui a d'ores et déjà imprégné mes vêtements, mes cheveux jusqu'à leur racine et dont je mettrais, pour sûr, des jours à me débarrasser.
Non, nous ne sommes pas dans l'émission L'Amour est dans le pré, mais bel et bien à Le Châtelet-plage, minuscule commune d'à peine cent-cinquante habitants, située sur cette somptueuse Côte d'Opale. Marion m'a bien eue. Le Touquet ? C'est à soixante bornes d'ici si j'en crois mon bon samaritain, prénommé Robert. Bien loin de la zone huppée et chic que j'espérais.
80 commentaires
Carl K. Lawson
-
Il y a un an
Aurélie Benattar
-
Il y a 2 ans
Agathe Pearl
-
Il y a 2 ans
Gabrielle Dubois
-
Il y a 2 ans
Jonaka
-
Il y a 2 ans
Maddy Son
-
Il y a 2 ans
Jill Cara
-
Il y a 2 ans
Maddy Son
-
Il y a 2 ans
Valentine M
-
Il y a 2 ans
Maddy Son
-
Il y a 2 ans