Julia Aestas Love Gamification IV. Faith (3)

IV. Faith (3)

Le lendemain matin, Tchaïkovski s’est invité dans mon rêve. La valse des fleurs me transporte dans une clairière rosée par les fleurs de sakuras, ces magnifiques cerisiers japonais. Je sens le vent doux me porter vers un sentier de violettes et de bleuets. J’ai envie de danser, de virevolter comme une ballerine. L’air sent magnifiquement bon. Soudain, la musique s’arrête. Interloquée, je me mets à réfléchir. Je continue néanmoins à contempler ce monde merveilleux.


La musique finit par résonner à nouveau. Plus en alerte cette fois, mon cerveau se réveille. Je tente d’ouvrir les yeux. Le soleil éclaire ma chambre, et m’éblouit. Ma main tâtonne sur la table de chevet, j’attrape mon téléphone, et décroche machinalement.


— Bonjour, dis-je d’une voix qui se veut la moins endormie possible.

— Euphemie ?, demande une voix masculine que je ne connais que trop bien. Rassure-moi, je ne viens pas de te réveiller ?

— Non, balbutié-je. Je…

— Tu me rassures. Dépêche-toi de peaufiner la réunion. Nos clients sont déjà en ligne. A tout de suite.


J’avais oublié l’annulation de mon congé. L’angoisse. Se faire réveiller par mon boss n’est pas la matinée que j’avais rêvée. Je me maudis d’avoir accepté cette réunion de dernière minute. Je me lève et me dépêche d’enfiler un chemisier. J’actionne ma machine à café le temps de réaliser un chignon semblant sophistiqué.


Il me reste cinq minutes. Je prends mon café, installe mon bureau de lit, et cherche mes notes. Mais, où sont-elles passées ?, me dis-je l’anxiété grandissant dans ma poitrine. Je parcours l’appartement en retournant tout ce que je peux sur mon passage. C’est un échec. Dépitée, je lance la vidéoconférence. Du coin de l’œil, je vois des feuilles de papier sous le lit. La caméra n’étant pas active, j’en profiter pour réaliser mon plus beau plongeon. Ce sont bien elles accompagnées d’un papier cartonné dont je me débarrasse sur la table de chevet. Je le jetterai plus tard, pensé-je.


Ce que j’aime dans le télétravail, c’est qu’il n’est pas difficile de se rendre présentable et professionnelle. Bien heureusement pour moi, j’avais bien étudié le dossier quelques jours plus tôt. Après quelques secondes de malaise, tel un chat, je retombe sur mes pattes. Je me sens comme un poisson dans l’eau. Les clients sont ravis, et mon boss me félicite en fin de réunion. Comme un acteur d’improvisation, j’avais conquis mon public. Je suis plutôt fière de moi d’avoir obtenu les résultats escomptés alors que quelques minutes plus tôt, je dormais.


La conversation terminée, mon café se rappelait à moi. La tasse est très froide. Je porte néanmoins la boisson à mes lèvres. Sans surprise, le goût est infect. Je décide de le verser dans les plantes de la cuisine, et de préparer un espresso à l’aide de ma cafetière italienne. Quelques secondes plus tard, l’odeur qui s’en dégage provoque une sensation de bonheur dans tout mon corps. Le bonheur existe. Je l’amène encore fumant dans la chambre.


Je le déguste doucement. Sans sucre, le goût serré du café emplit mes papilles gustatives pendant que je consulte mes mails. Cette gymnastique quotidienne est assez pénible. Sur la centaine de courriels qui s’amoncelle pour être traités, seuls vingt pourcents me sont réellement destinés. De plus, je n’exagère pas en disant que cinq pourcents demandent une réponse, et un seul présente une urgence. Cette culture de l’overdose informative présente le côté que je déteste le plus dans mon boulot.


Après avoir perdu une heure de travail, je dépose mon bureau de lit sur le sol et m’étire de tout mon long. Mes muscles s’étendent et une sensation de bien-être parcourt mon corps endolori par la position assise. Regardant l’ensemble de la pièce, mes yeux sont attirés par le bout de papier cartonné posé sur ma table de chevet. Je reconnais aussitôt la carte de visite du photographe.


Intriguée, je la saisis, et repense à ma discussion de la veille avec Jack. Prenant mon smartphone, j’entre le mot « Faith » dans le moteur de recherche. Des citations en tout genre me sont proposées, ainsi que des sites de développement personnel. Je décide de faire une nouvelle recherche avec les mots-clés suivants : « Faith, application de rencontre ». Je n’y trouve aucun résultat pertinent. Une vidéo est disponible, celle de la publicité, et quelques forums. Sur ces derniers, les internautes donnent leurs avis sur l’application qu’ils trouvent unanimement exceptionnelle. De plus en plus étrange, me dis-je. Dans quoi t’es-tu fourré, Jack ? Je finis par découvrir un commentaire de LoveMiaou0274 expliquant qu’il faut contacter l’auteur original de la publicité pour obtenir un lien pour accéder à l’application.


Une notification sur mon ordinateur me rappelle le boulot. Faith attendra. Je jette un œil sur mes tâches et, d’un geste habituel, je me noie dans mon job. Les heures passent mais l’application reste dans un coin de ma tête. Et si c’était un ARG* ? Possible mais étrange, me dis-je à mi-voix en secouant la tête. Je ne peux m’empêcher de regarder l’heure. Dès que je vois 16h, pour la première fois depuis longtemps, je coupe mon ordinateur. Le vendredi est mon jour sacré, mais aujourd’hui, il l’est plus encore car j’ai d’autres chats à fouetter**.


Je me dirige vers la cuisine et me sers un jus d’orange pressé que je sirote en m’installant dans le canapé. Mon ordinateur privé posé sur la table basse, je regarde plus attentivement la carte de visite qui m’a été donnée. J’hésite à lancer une série en bruit de fond, mais la flemme me retient. J’ouvre le portable et une musique se met à résonner dans la pièce Wake me up when September ends de Green Day. Je décide de la laisser continuer. Je saisis dans la barre de navigation l’adresse URL étrange que je distingue sur le papier cartonné : « https://www.21egmp1208_fai_th.com ». Le chargement est long. Je bats la mesure avec mes doigts près du clavier. Combien de fois n’ai-je pas chanté ces paroles ? Summer has come and passed. The innocent can never last***. Dix ans plus tard, cette phrase résonne encore en moi. C’est ce que je ressens depuis la mort d’Edward, mon innocence s’est envolée à jamais.


Une page noire s’affiche sur mon écran sur laquelle est dessiné un encadré rouge. Je lis les inscriptions en noir : « Si vous cherchez le grand amour, vous êtes au bon endroit ». Deux boutons me sont proposés « Continuer » ou « Quitter ». Allons-y, m’encouragé-je. A peine appuyé sur « Continuer » qu’un nouveau message apparaît. Ce que je lis me glace le sang : « Bienvenue dans l’expérience Faith, Euphemie. Nous espérons que nous pourrons répondre à vos attentes aussi hautes soient-elles. Veuillez cliquer sur la flèche pour continuer ».




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15 commentaires

cedemro

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Il y a 4 ans

Jamais bon signe quand une application te ressort tes informations personnelles en plein visage ! Pauvre Euphémie, son coeur bien boosté à la caféine et au sucre va peut-être exploser...

Line Manoury

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Il y a 4 ans

On entre dans le vif du sujet, j'ai hâte de lire son expérience Faith !

Julia Aestas

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Il y a 4 ans

Ce soir peut-être :)

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 ans

La séance de télétravail est parfaitement bien décrite. Bravo.

Julia Aestas

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Il y a 4 ans

Merci beaucoup! :)

Julia Aestas

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Il y a 4 ans

*ARG = Alternate Reality Game (jeu en réalité alternée). Si vous ne connaissez pas cette expression, je vous invite à taper ces quelques lettres sur YouTube. ** Je vous promets qu’aucun animal n’a été maltraité pendant cette partie. *** L’été est venu et s’en est allé. L’innocence ne peut jamais durer (Green Day – « Wake me up when September ends»)
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