Julia Aestas Love Gamification IV. Faith (2)

IV. Faith (2)

Je regarde mon ami attentivement. Les yeux remplis d’appréhensions, il m’observe. Je remarque qu’il essaie de trouver une lueur de réponse sur mon visage, mais je reste de marbre. Je continue à peser le pour et le contre. A quoi bon ? Il m’est trop cher, pensé-je. Son bonheur m’est trop important pour refuser.


— Je pense que c’est une bonne idée, articulé-je à contrecœur. N’oublie pas de faire attention à toi. Rejoins le dans un endroit fréquenté, et n’hésite pas à m’appeler en cas de problème.

— Merci, répond-il. Je ferai très attention, maman. Je te le promets.


A ces mots, le grand homme s’approche de moi et dépose un doux baiser sur mon front. Je souris.


— Comment s’appelle ce garçon ?, demandé-je sur un ton enjoué.

— Lucas. Il travaille comme courtier en assurance dans une banque. Ne me regarde pas comme ça. Il n’est pas vieux et grabataire. Il a trente ans.

— Comment peux-tu en être sûr ?, dis-je d’humeur taquine.

— Nous nous sommes vus en vidéo. Cela fait partie du déroulement de l’expérience du couple dans Faith. Tu devrais essayer avant de terminer ta vie dans ta grande maison à regarder en boucle la téléréalité ou…


Je saisis un coussin et lui lance à la figure. D’un geste fluide, il l’attrape au vol, et me le renvoi. Nous commençons de cette manière une bataille d’oreillers. Après plusieurs échanges, je distingue une faille. L’ennemi est à terre. Je m’élance, et à moi la victoire. Tout cela était sans compter la perfidie de mon adversaire qui m’entrave les membres avant de me chatouiller. Je n’ai plus la force de me battre. Si cette torture continue, je risque de voir ma propre urine sur le parquet. Je hurle l’arrêt du match. Résultat, victoire de Jack par abandon.


— Gagné !, crie mon ami d’un air malicieux. Tu devrais boire plus de soupe pour espérer m’affronter.

— J’aurais ma revanche, réponds-je faussement amère.


Nous nous rasseyons sur le canapé comme si rien ne s’était passé. En quelques secondes, la douce immaturité avait fait place à la fade maturité quotidienne. Nous gardons quelques instants le silence. Je repense à la tournure de phrase étrange que Jack avait eue plus tôt concernant Faith, « l’expérience du couple ». Intriguée, je regarde mon ami, et essaie de m’informer sur cette application miracle.


— Qu’est-ce que c’est en fait, Faith ?, demandé-je.

— C’est une application de rencontre te permettant d’accumuler de l’expérience afin de former le couple parfait, répond Jack en répétant la publicité presque mot pour mot.

— Je l’avais déjà compris. J’aimerais comprendre comment cela fonctionne. Qu’utilisent ses créateurs pour se différencier à ce point de leurs concurrents ?

— Tout au long du processus, tu acquiers de l’expérience qui amènera ton couple au niveau supérieur.

— Comment gagnes-tu de l’expérience ?, m’exaspéré-je.

— Je ne peux pas te répondre, répond-il mystérieux.

— Tu n’en es pas capable ou tu ne veux pas ?

— Je ne peux pas. C’est comme dans Fight club, on ne parle pas du fight club.

— Tu te moques de moi, non ? Ça ressemble fortement à une secte. Jack, je t’en prie, ne te laisse pas embarquer dans ce genre d’histoires. Ils savent comment toucher les personnes les plus faibles et…

— Ce n’est pas une secte, rugit-il en fixant mon regard. Le contrat stipule que l’anonymat de chacun doit être respecté, demandant également une discrétion quant aux moyens utilisés par l’application. C’est tout ce que je peux te dire.


Je l’ai rarement vu dans cet état. Mon souffle s’est coupé presqu’instantanément. La dernière fois qu’il avait eu ce regard noir plein de rage était le jour où il avait pris conscience qu’il ne pourrait sauver Edward. Tristesse et colère sont parfois deux faces d’un même problème. Se bat-il contre lui-même ? Est-il aussi loin qu’il le prétend dans son deuil ?


Jack finit par s’apaiser et se radoucir. Dans un léger demi-sourire, il s’exclame :


— Si tu es si intriguée par cette application, pourquoi ne te lances-tu pas dans l’aventure ? Je peux te fournir un URL de connexion. Tu y rencontrerais peut-être l’amour de ta vie.


Je décline d’un signe de tête. Il m’est inconcevable de m’inscrire sur un site douteux qui me volerait mes données et ma dignité. Les comportements de mon ami et du photographe m’ont mise en alerte. Quelque chose de malsain dégage de Faith. J’ai vu assez de documentaires et de reportages sur les sectes que pour m’imaginer le pire. A tous les coups, ce Lucas lui demandera de l’argent. J’en suis intimement convaincue. Comment vais-je faire pour le sauver ?


Mettant nos différends de côtés, nous décidons d’organiser une soirée italienne, et commandons des pizzas à la nouvelle trattoria ouverte il y a peu, non loin de l’appartement, Virgilio & figli. Afin de rester dans l’ambiance, mon ami me propose de regarder pour la millionième fois, Le parrain. Lorsque je le regardais avec Edward, nous connaissions toutes les répliques et les disions avant les personnages. Nous jouions les gangsters d’un soir. L’atmosphère est différente avec Jack, mais elle ne me déplait en rien. Au contraire, il me fait rire. Son célibat mêlé à l’ivresse, il ne cesse de claironner qu’il est dommage de ne plus croiser d’aussi bel homme qu’Al Pacino à cette époque. Je ne sais qu’en penser, mais ce film légendaire vient soudain de se transformer en comédie. Au moins, l’un de nous arrive à penser à autre chose le temps de quelques heures.


Je pense m’être endormie devant le film. Je sens les bras musclés de Jack m’emmener jusqu’au lit. Je me laisse border comme une enfant. Mon esprit à demi-éveillé vagabonde. Soudain, une angoisse parcourt mon corps. Où se trouve mon miroir de poche ? Dans mon sac ? Je n’ai pourtant plus le souvenir de l’y avoir vu cet après-midi. Une envie me pousse à vérifier mon sac, mais mon cerveau essaie de me rassurer en rationnalisant. Il est hors de question pour mon esprit d’avoir perdu un cadeau aussi précieux d’Edward. D’un geste rapide, j’allume la lumière et fouille le petit objet noir. Une vague de soulagement me frappe lorsque je touche l’objet du bout des doigts. Au moment où je le saisis, un petit papier cartonné tombe à mes pieds. Je n’y prête que peu d’attention. Mon bien n'est pas perdu. Je peux dormir en paix.


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15 commentaires

cedemro

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Il y a 4 ans

Voilà que le mystère Faith s'installe peu à peu. Mon esprit tordu adopte l'hypothèse de la secte mise de l'avant par Euphémie... Encore un excellent chapitre.

Jane Moody

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Il y a 4 ans

Sympa :) J'aime bien l'idée de cette appli un peu étrange...^^

Julia Aestas

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Il y a 4 ans

Oh que oui, elle est étrange! Ravie que cela te plaise :)

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 ans

Beau moment entre ces colocataires complices.
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