Fyctia
II. Un nouveau colocataire (1)
Un mois s’est écoulé depuis la mort d’Edward. Il m’arrive de penser que ce n’est qu’un mauvais rêve. Cependant, la réalité me rattrape. Seule dans mon grand appartement, je me suis enfermée sur moi-même. Ces dernières semaines, je portais mon pyjama toute la journée. Mes seules sorties n’étaient consacrées qu’à l’achat de nourriture, ainsi qu’à la visite de mon psychiatre, le Dr Lenpi.
Je n’aurais jamais cru penser cela un jour, mais perdre mon meilleur ami fut la pire chose qui me soit arrivée. Six mois auparavant, lorsque je découvrais une énième tromperie de mon ex petit-ami, je ne pensais pas qu’il existerait une situation plus insupportable. Je suis bien misérable.
Ce dernier mois, je me suis lancée à corps perdu dans le travail. Je ne sais qui a inventé le télétravail, mais j’aimerais lui envoyer une lettre de remerciements. Mon manager n’a, d’ailleurs, jamais été aussi enthousiaste de mes résultats, me demandant même ma recette secrète. Comment lui expliquer qu’il est difficile de combler un vide ?
Aujourd’hui est un jour spécial. J’ai enfin réussi à troquer mon vieux pyjama contre un pantalon de training bleu foncé et un sweat à capuche bleu clair. Je lie mes cheveux en un messy bun, comme l’appellent les influenceuses, sauf que chez moi, il semble plus messy que bun. Ma blondeur cède doucement place à mon chocolat naturel seyant mon teint à merveille. Je m’éloigne du miroir et me regarde de haut en bas. Je me trouve plutôt mignonne dans cet accoutrement. Qui a osé dire qu’une telle tenue n’est pas féminine ?
Je m’avance à nouveau vers mon reflet afin de prendre le temps de redécouvrir mes traits, et noter les conséquences de ces dernières semaines de pleurs et de négligence. Mon corps est amaigri comme peuvent en témoigner les fossettes nouvellement apparues sur mon visage. Ma peau sèche me tiraille, me donnant une impression de vieillesse prématurée. Je retrace mes ridules du bout des doigts. Ce qui attire le plus mon attention est mon teint laiteux. Mon hâle presque naturel semble s’être évanoui. Cette pâleur fait ressortir le bleu anthracite qui cerne mes yeux. Plus que tout autre, les cernes trahissent mon état. Elles sont les témoins de mes nuits d’insomnie.
Une larme coule sur ma joue. Je me mentirais si je disais que je ne m’explique pas ce chagrin si soudain. Je suis bouleversée par ce que le miroir reflète, par ce que je viens de vivre. Mens sana in corpore sano*. Mon reflet me renvoi au visage le traumatisme et la négligence dans lesquels je vis.
Il faut que je me ressaisisse. Quoi de mieux qu’un peu de musique pour tout oublier ? Je me rue dans la cuisine. J’attrape mon ordinateur portable et branche le baffle. Tout en sautillant, je lance ma playlist « Good vibes ». Je pars à la recherche d’une bouteille de champagne que j’avais acheté pour fêter la promotion d’Edward. Un verre dans une main, la bouteille de Veuve Clicquot dans l’autre, je me déhanche sur les premiers accords de Best of my life de American Authors.
Les notes m’entraînent. Elles m’envoutent et m’enivrent de cette joie que j’avais oubliée. Je tourne sur moi-même le sourire aux lèvres. Je chante et me mets à crier à plein poumons les paroles : « I’m never gonna look back. Whoa, I’m never gonna give it up. No, just don’t wake me up**». Ces mots résonnent en moi. Ils me donnent la force dont j’ai tant besoin. Je souris maintenant à pleine dents repoussant le malheur.
Les musiques s’enchaînent et les verres défilent à vitesse plus ou moins modérée. L’appartement se réchauffe. La vie semble soudain si douce, si simple. Je danse et me défoule comme pour exorciser le mal qui me ronge. Plus rien ne peut m’arriver. Je suis une femme nouvelle. Je suis éternelle.
Soudain, la nausée monte en moi. Je m’assieds sur une chaise, et attrape mon téléphone portable au passage. Machinalement, je prends connaissance des dernières nouvelles sur les réseaux sociaux. Il paraît que c’est lorsque l’on est seule que l’on remarque les couples. Mes fils d’actualité sont remplis de demandes en mariage et de bébés. Cela m’écœure. Qu’aurais-je pu attendre d’autre à 27 ans ? En réalité, je les envie tous. Mon cœur se serre. Je me sens soudain si seule. Au loin, j’entends la musique continuer à se propager. Ed Sheeran parvient à mes tympans, et touche mon cœur et mon âme. I’m in love with the shape of you. We push and pull like a magnet do…***
Je me lève d’un geste maladroit, et tente d’atteindre le canapé dans un dernier effort. Je finis par m’y écrouler dessus. Des pensées que j’aimerais brûler s’insinuent dans mon esprit. Le cocktail Ed Sheeran agrémenté d’un zeste d’alcool, ou peut-être est-ce l’inverse, n’est pas une solution pour une fin de journée saine en solitaire.
Je regarde à nouveau mon téléphone, et fais défiler les contacts. Je trouve celui que je cherchais, « Tadmorv**** ». Je me maudis de ne pas avoir supprimé son numéro. Il est trop tard pour penser à cela. Je décide de lui envoyer un message que je vais très certainement regretter demain : « Hello. J’espère que tu vas bien. Je dois avouer que tu me manques beaucoup <3 ».
Je me déteste. La bouteille devient une tentatrice que je termine en quelques secondes. Je bois pour oublier. Je bois pour tromper ma solitude. Je bois à en dormir. Appelez-moi la reine des mauvaises idées !
Le calme s’installe. Au loin, mon téléphone vibre. Je l’entends à peine. Alors que je suis en train de m’abandonner totalement à Morphée, je sens des bras me soulever doucement et m’emmener dans un endroit douillet. Je n’ai pas la force d’ouvrir mes paupières. Je suis apaisée. Edward, murmuré-je.
*Un esprit sain dans un corps sain
**Je ne vais jamais regarder en arrière. Whoa, je ne vais jamais abandonner. Non, ne me réveille juste pas (American Authors – « Best day of my life »)
***Ed Sheeran – « Shape of you »
****Tadmorv est un Pokémon de type poison. Si vous ne le connaissez pas, il peut être intéressant pour la suite de l’histoire d’aller voir à quoi il ressemble.
28 commentaires
Sissy Batzy
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Il y a 4 ans
cedemro
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Il y a 4 ans
CharleneKobel
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Rose Lb
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