Fyctia
I. La cérémonie
« Qu’importe où tu es, qu’importe où tu seras … ». Je n’arrive pas à croire que je dis ces mots à haute voix. Des larmes perlent sur mon visage. Je m’étais promise de ne pas pleurer durant la cérémonie. Je prends une grande inspiration pour contrôler mes émotions.
« Qu’importe où tu es, qu’importe où tu seras, mon cœur sera toujours à toi. Nous avons vécu tant de choses ensemble. Tu m’as appris à être heureuse, et à m’aime telle que je suis. Tu as toujours été là dans les bons comme dans les mauvais moments. Tu as été mon support, mon soutien dans chaque épreuve de ma vie. Merci ». Les larmes coulent à nouveau. Je n’arrive pas à les retenir. Ma voix est coupée par ce flux d’émotions. Je n’ai qu’une envie, céder à mes jambes de coton. Cependant, je tente de garder le peu de dignité que les pleurs n’ont pas enlevé. Je prends une nouvelle inspiration en regardant le ciel pour qu’il me vienne en aide.
« Merci… pour tous ces moments. Merci d’avoir été mon double, mon moi au masculin. Aujourd’hui, j’aurais voulu te faire écouter notre chanson, Take my hand de Simple Plan. J’aurais aimé te dire… Non, je te le dis une dernière fois… If they could see us, they would tell us that we’re crazy. But I know they just don’t understand*”. Je m’arrête à nouveau le regard embué. Mon cœur se sert de plus en plus au fil des minutes. J’ai l’impression que je vais avoir une attaque cardiaque éminente. Mon souffle se bloque à mesure que le temps passe. Que disait encore le Dr Lenpi ? Il faut que je me concentre sur un point, et que je me relaxe en prenant des inspirations régulières. Je jette un rapide coup d’œil à mon auditoire. Personne ne remarque ma détresse, mais je remarque des regards compatissants. Je ne peux pas me laisser abattre maintenant, show must go on.
« Tu es ce qui m’a été donné de meilleur dans ma vie. Je ne remercierais jamais assez le destin de t’avoir mis sur mon chemin. J’espère avoir eu autant d’impact positif sur ta vie que tu en as eu sur la mienne. Merci pour tout. Tu me manqueras énormément ». Je pleurs à nouveau. Une dernière inspiration et je saisis un petit papier griffonné le matin même. « J’aimerais que tu gardes ces mots en souvenir. Ne nous oublies pas, n’oublies pas notre chanson. If I get lost your light’s gonna guide me. And I know that you can take me home** ».
Mon discours est terminé. Aucun applaudissement, aucun bruit ne provient du public. L’ambiance est lourde. Je m’avance vers le cercueil encore ouvert. J’avais eu peur tout la nuit qu’il soit déjà fermé. J’avais craint ne pas voir son visage une dernière fois. Les traits apaisés, Edward semble dormir paisiblement. J’aimerais le toucher encore une fois, mais son maquillage risquerait de partir. Finalement, ai-je vraiment envie d’un souvenir d’un contact froid et sans vie ? Je dépose le papier griffonné auprès de lui et chuchote un « Je t’aime » à moitié étouffé. Une larme vient mourir sur sa main comme un dernier lien nous unissant dans la mort.
Je suis incapable de rester dans la pièce pour écouter les autres discours. Je sors de cet endroit aussi vite que mes jambes le peuvent. A l’extérieur, l’air frais caresse mon visage et je m’effondre sur le sol légèrement mouillé par la rosée du matin. Un sanglot que je ne peux réprimer, monte dans ma gorge. Je pleurs ma perte. Je pleurs la destruction de mon monde. Je pleurs ma solitude.
Après avoir repris le contrôle de mes émotions, je jette un regard sur mon miroir de poche qu’Ed m’avait offert après un séjour en orient. Un doux rayon de soleil vient faire scintiller l’objet orné de pierres turquoise et vertes. Je l’ouvre afin de découvrir les dégâts causés par mes larmes. Malgré un maquillage waterproof, du noir a coulé de mes yeux rougis dessinant des lignes sur mon visage. Je maudis intérieurement les créateurs de crayons khôl et de mascaras tout en frottant les traces du mieux que je peux. Le résultat n’a rien de parfait, mais l’objectif est de rester présentable.
Avant de rentrer, je regarde le ciel au loin comme une dernière prière. Je pense à Edward, et à tout ce que nous avons vécu. Je souris à quelques souvenirs et le soleil vient frapper ma peau comme en écho à mes pensées. L’espace d’un instant, je me sens apaisée et réconfortée.
Une voix douce et grave me sort de mon rêve éveillé. Je découvre Jack qui écarte les bras pour m’enlacer. Il me sert si fort que mes larmes commencent à couler une nouvelle fois. D’un geste tendre, il les sèche en me chuchotant des mots d’apaisement. Dans les bras de cet homme grand et musclé, j’ai l’impression de redevenir une petite fille. A ce moment, je me sens comme un imposteur. Ce n’est pas lui qui devrait me consoler, mais plutôt moi qui devrais avoir ces marques d’affection pour lui. Ma peine me semble tout à coup disproportionnée. La culpabilité m’envahit. Je souffle un « désolé » qui a pour effet de resserrer son étreinte.
Jack m’invite à rentrer pour la suite de la cérémonie. Face à nous, Edward est scellé dans son cercueil. Les hôtes nous demandent de patienter dans une autre pièce durant la crémation du défunt. Collée à Jack, je reste silencieuse. Mon esprit est comme léthargique. Je ne suis pas la seule à ne pouvoir dire un mot. L’ensemble des invités semblent touchés par le même mal. Les parents d’Edward et moi-même, nous jetons de temps à autre des regards compatissants. Le temps semble devenu long.
Après 1h30, nous sommes informés de la fin de la crémation. C’est fini, me dis-je. Edward n’est officiellement plus. J’imagine des flammes virevoltantes pulvériser son corps dans une dernière danse. C’est fini, me répété-je. Je ne reverrai plus son visage. Tout espoir s’en est allé. Un mélange d’émotions s’impose à moi. D’un côté, je ressens une délivrance mais d’un autre, je me sens vide comme si l’on avait aspiré toute mon énergie. La réalité est cruelle. Pourtant, si l’on aime la vie, il nous faut accepter la mort. Aujourd’hui, je ne suis pas certaine de l’accepter. Je m’effondre sur une chaise et perds connaissance.
* S’ils pouvaient nous voir, ils diraient que nous sommes fous. Mais je sais qu’ils ne comprennent juste pas (Simple Plan – « Take my hand »).
**Si je suis perdu, ta lumière va me guider. Et je sais que tu peux me ramener à la maison (Simple Plan – « Take my hand »).
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Sissy Batzy
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Justine HSR
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