Fyctia
Chapitre 3 : J’encaisse
Une semaine s'est écoulée depuis la rentrée. Les habitudes se remettent en place, les insultes et les moqueries sont de nouveau présentes.
À la pause du matin, je me dirige vers les toilettes pour me recoiffer et recamoufler mes quelques bleus qui ont commencé à réapparaître à cause de l'étouffante chaleur en classe. Un groupe de filles m'y attend, le même groupe qu'avant. Elles sont grandes, blondes, belles, toutes avec un gloss à la main. Avec une coordination digne des cheerleaders, elles se retournent, rangent leur gloss. Ava, la meneuse du groupe, s’avance vers moi, un sourire narquois aux lèvres, puis m'interpelle.
— Bienvenue à notre petit théâtre, Kalila. J'espère que tu apprécieras le spectacle, lance-t-elle, pendant que ses amies ricanent derrière elle, se poussant pour mieux voir.
— Qu'est-ce que tu veux, Ava ? je demande, essayant de garder mon calme malgré la panique qui monte en moi.
— Oh, rien de spécial. Juste te rappeler qui tu es et où se trouve ta place. Mais, comme je suis gentille, je vais t’aider. Elle passe sa main dans ses cheveux blonds, son regard brillant de cruauté.
— Vous êtes pathétiques, je réplique en espérant les agacer suffisamment pour qu'elles me laissent tranquille.
Ava rit, un son aigu et faux qui résonne dans les toilettes.
— Oh, Kalila, tu ne comprends vraiment rien, n'est-ce pas ? Elle se rapproche de moi, me fixant de ses yeux glacés. On te fait juste une petite leçon de vie. Les faibles comme toi doivent rester en bas de l'échelle.
Ses amies acquiescent en chœur, leurs visages remplis de mépris. L’une d’elles m’attrape, me tire mes cheveux et me jette comme un vulgaire déchet au sol. Je me sens tellement humiliée, seule et vulnérable… Je sens soudain plusieurs mains enfoncer ma tête dans la cuvette, puis le bruit de la chasse d’eau s’actionne, je me débats du mieux que je peux, l’odeur me donne un haut le cœur tellement elle m’est insupportable.
— Non ! Hurlé-je avant de recevoir l’eau
— Les déchets à la poubelle, les épluchures aux composteurs, etc. Et toi, aux toilettes.
Après que le groupe d'Ava ait quitté les toilettes, je me retrouve seule, sanglotant, mes cheveux trempant mon t-shirt. Ça dégouline de partout. L'odeur de pisse sur moi devient insupportable.
J'entends la cloche retentir, mais je n'ai absolument pas la force de me lever.
Après avoir passé une heure à essayer désespérément de rincer mes cheveux et mon visage à l'eau claire, je réalise avec frustration que mes efforts sont vains. Malgré mes tentatives, mes cheveux, qui étaient naturellement ondulés, commencent à gonfler, prenant une apparence de l’hippy du voisinage. Je me sens comme un clochard qui n’a pas pris la peine de se coiffer ou même de laver ses cheveux depuis des années. Une étrangère dans mon propre corps, avec une apparence qui ne me ressemble pas.
Finalement, je prends la décision de retourner en classe pour la fin de journée, en retournant en cours pour l’heure suivante. Les commérages ont déjà commencé, et je suis convaincue que mon humiliation s'est déjà propagée dans tout le lycée. Certaines personnes semblent surprises de me voir dans un état aussi déplorable, peut-être parce que je refuse de montrer à quel point leur méchanceté m'affecte. D'autres, en revanche, ne cachent pas leur dégoût face à l'odeur âcre qui émane de moi : celle de la pisse.
— Mademoiselle Kalila, ne faudrait-il pas que vous alliez à l'infirmerie vous changer ? Il semble que vous ayez oublié que nous ne sommes plus en vacances, et ni même le moment de se baigner, et encore moins au lycée. Suggère mon professeur d’histoire.
— Tu exagères, crétin, je murmure.
— Je vous demande pardon ? Tout de suite dans le bureau du proviseur !
— Pff, tous les mêmes.
— Une heure de colle pour vous.
L'intervention du professeur, bien qu'elle soit teintée d'autorité et de reproche, ne fait que renforcer mon sentiment de désespoir et d'injustice. Ses paroles résonnent dans ma tête. Je ne peux retenir un murmure acerbe en réponse à ses accusations, mais sa réaction ne se fait pas attendre : direction le bureau du proviseur, avec comme lot de consolation une heure de colle.
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— Kal ! Tu es rentrée ? Viens aider ton frère à faire tes devoirs, s’il te plait, je bosse ce soir. Il reste des restes de la semaine dernière dans le frigo, Mike est encore en séminaire il ne rentra que dans une semaine.
— Mm, répondis-je.
— Kalila, arrête de répondre dans ta langue de face de cul de mouche, tu as une bouche, des dents, une langue… Tu peux articuler, pouffe, mon frère.
— Si tu l’dis, je n’ai pas faim. Mangez sans moi.
Je monte les marches quatre par quatre sans me soucier des plaintes de mon frère. Je m’enferme dans la salle de bain, enlève mes vêtements un à un tout en évitant de croiser mon reflet dans le miroir qui surplombe l’entièreté d’un mur.
J’attrape la balance qui est cachée sous l’évier. Je monte dessus, j’aurais dû m’en douter, je n’ai pas perdu assez… Je pèse 50 kilogrammes pour 1,56 m. Durant ma scolarité, on m’a surnommé « la truite » pendant de longue année. Apparemment, mes cuisses ressemblent à du saucisson plein de poils, mon ventre est plein de « boulets » quand je m’assieds. Il faut croire que ce n’est pas normal. Mes seins sont imposants et me valent plein de remarques dégelasse des gars de mon lycée, que je croise dans la rue ou dans le métro.
Je me laisse tomber par terre et m’effondre en larme. Je ne sais pas combien de temps, je passe, recroquevillé sur moi-même. Peut-être dix minutes, peut-être trente minutes, une heure… Mais ce qui me fait sortir de ma trans est la faible voix de mon petit frère :
— Kal ? Tu es toujours dans la salle de bain ? Je peux venir laver mes dents, s’il te plait ? Me murmure-t-il comme s’il avait peur de me déranger.
— Mm
Pour une fois, il ne me reprend pas sur mon « langage de face de cul de mouche ». Je déverrouille la porte, puis, face à mon frère, une larme coule de mes yeux, dévale de ma joue pour être recueillie par son petit pouce si innocent.
— Ne pleure pas, sœurette, je suis sûr qu’un jour, tout s’arrangera pour toi. Aie confiance en l’avenir, souffle-t-il dans un soupir.
— Cela fait un moment que je ne crois plus en lui.
Je fuis dans ma chambre avant qu’il me réponde, je pars comme si c'était la dernière cachette sûre dans un monde de prédateurs.
Assise à mon bureau, je tente en vain de me plonger dans mes devoirs, mais chaque mot, chaque chiffre devient un défi infranchissable dans un océan tumultueux de détresse. Mon esprit est en ébullition, hanté par des pensées qui me tirent vers le bas, vers les profondeurs de l'abîme.
Je finis par abandonner mes devoirs, les laissant sur mon bureau, empilés les uns sur les autres. À la place, je saisis un crayon et un carnet à dessin. Le dessin, c'est ma bouée de sauvetage dans ce naufrage constant, mon unique moyen de naviguer à travers les tempêtes qui font rage en moi.
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