Jay H. L'intrication de nos âmes Chapitre 3

Chapitre 3

Un saut temporel plus important s'impose. Il y a deux ans, lorsque j’ai rencontré Millie, je n’étais alors qu’un trentenaire blasé de la vie. Las des fêtes alcoolisées, ennuyé par les histoires sans lendemain (ou les histoires de plusieurs lendemains basées sur le sexe) et fatigué de ne m’épanouir dans aucun des métiers exercés. En somme, épuisé par le fait de devoir courir après la vie, de la subir au lieu de la croquer à pleines dents.


Un soir, j’avais été invité par une connaissance dans le boathouse restaurant de Central Park. Un mec blindé avait privatisé l’endroit le temps d’une soirée. Le concept était de regrouper dans un cadre de rêve des gens de toutes les classes sociales. De la plus défavorisée à la plus huppée, avec une majorité de classes moyennes. M’incluant dans la majorité, j’étais ravi de pouvoir échanger avec plein d’autres personnes aux centres d’intérêts divers et variés. Bon, je dois avouer que le couple siliconé Harrisson et Maggy, les milliardaires férus d’art contemporain, ont très vite été rasoirs. Mais il y avait des personnes comme Travis, le basketteur de Harlem, avec qui j’avais adoré discuter. Sport, politique et culture afro-américaine. On se rejoignait en plusieurs points.


J’ai toujours été quelqu’un de très sociable, et bon vivant avec ça. Malheureusement, mon passé, mes peines de cœurs, mes échecs en amour et en amitié, m’ont rendu de plus en plus solitaire et de moins en moins heureux de me lever le matin.


Je pourrais commencer par mon père, colérique et exigeant, ou ma mère qui nous entrainait mon père et moi dans sa dépression. Aujourd’hui, la maturité m’a permis de relativiser et de me rendre compte que le comportement de mon père était dû aux affronts qu’il devait gérer au quotidien et que son absence se justifiait par des déplacements professionnels, dans le seul et unique but de nourrir notre famille et de me laisser un héritage. Concernant ma mère, qui pourrait lui en vouloir d’avoir eu des moments de faiblesse après tous les aléas de cette chienne de vie ? Perdre son emploi après vingt-cinq ans de carrière, enchaîner avec le décès de sa mère et finir par la mort de son jeune frère dans des conditions pour le moins effroyables, ça briserait n’importe qui. Je pourrais aussi parler de Tiffany, la première à m’avoir brisé le cœur. Nous deux, c’était le jeu constant du chat et de la souris. Et elle avait fini par gagner haut la main. Pareil, je relativise. Ce n’était qu’une amourette de jeunesse qui n’aurait jamais débouché sur une relation concrète et profonde. Je pourrais parler de Elijah, mon ami d’enfance, qui avait couché avec Tiffany. Encore une fois, je relativise.


Mais j’ai beau relativiser, je me dis que toutes ces marques indélébiles avaient forgé la personne que j’étais devenue. Un autre homme. Un autre Jordan, débordant de paradoxes. Toujours aussi sociable, mais très solitaire. Gentil, auréolé de bonté, mais un peu vicieux. Honnête, mais pas tout le temps. Sensible, mais pas tant que ça. Proactif, mais assommé par les drogues et l’alcool. Et surtout, un amoureux de l’amour qui enchaînait les conquêtes dans le but de se prouver qu’il pouvait plaire.


Assez d’apitoiement ! Terminé le laïus confus en mode autothérapie. Revenons à cette fameuse soirée…


Après avoir laissé Travis, j’étais retourné au bar pour reprendre un whiskey. Mon sixième ou septième, je ne sais plus.


— C’est bien beau de jouer les mecs virils, mais faut assurer le retour à la maison après.


C’est à ce moment précis que je l’ai su. C’était une évidence. Elle avait ce grain si singulier dans la voix et son intonation m’avait fait ressentir un tas d’émotions. Comme si avec cette simple phrase, elle se montrait à la fois taquine, bienveillante, séductrice et que la seule issue était de lui demander de rester avec moi pour l’éternité.


— C’est bien beau de donner des leçons avec un verre de vin rouge à la main.


Avec le recul, j’y étais allé un peu fort dans la répartie.


— On se retrouvera peut-être aux alcooliques anonymes, qui sait !


Cette charmeuse diabolique m’avait pris de court. Je m’attendais soit à une réplique bien tranchante, soit à ce qu’elle prenne la poudre d’escampette. Au lieu de ça, elle m’avait littéralement coupé le sifflet en le tournant à la dérision.


— Bonsoir je m’appelle Millie, poursuit-elle, et ça fait dix ans que j’essaye d’arrêter le vin, mais c’est trop dur !


Je laissais échapper un rire spontané, presque synonyme de délivrance.


— Bon-soir Mi-llie ! Moi c’est Jordan, je suis alcoolique, un brin toxico, et accro aux femmes.


Je prenais ça sur le ton de l’humour, mais ce dont je n’apercevais pas, c’était qu’elle m’avait percé à jour et que je me confiais à elle sans le savoir.


— Bon-soir Jojo ! Ça fait quand même beaucoup de dépendances.


Millie avait accompagné sa réplique d’un sourire salvateur et j’étais entièrement hypnotisé. Je pense qu’à cet instant, si elle m’avait demandé de me faire tatouer un kangourou sur la fesse gauche avant d’aller braquer une banque, j’aurais acquiescé sans broncher.


Voilà comment avait commencé notre idylle deux ans plus tôt.


Je me souviens que nous étions repartis ensemble de la soirée et que je ne pouvais pas décrocher mon regard des courbes parfaitement dessinés qui apparaissaient sous cette robe bleu marine qu’elle avait choisie de porter. Sans parler de ses longs cheveux noirs qui descendaient le long de son dos. À mes yeux, elle était une princesse tout droit sortie d’un conte de fée et j’étais la bête (ou le clochard, au choix).


Sans surprise, nous nous sommes revus encore, encore, encore et encore. Je ne me lassais pas de sa présence. À chaque fois que Millie ouvrait sa jolie bouche en cœur, je savais qu’elle allait me donner le sourire et me communiquer sa joie de vivre. Avec elle, j’oubliais mes paradoxes pour redevenir quelqu’un d’entier. Je redevenais moi tout simplement.


Honnêtement, je ne sais pas ce qu’elle m’avait trouvé au début, mais je suppose qu’elle avait su transpercer la carapace et voir le potentiel de compatibilité de nos deux êtres.


Millie, l’ange qui m’a été envoyé par l’univers dans le seul but de me remettre dans le droit chemin. J’aimais tout chez elle. Physiquement et mentalement. J’aimais le fait qu’elle ne critique pas les gens sans les connaitre. J’aimais même son sale caractère qui conduisait inévitablement à des disputes, « parle-moi autrement Millie-tête-de-cul », « rentre chez ta mère sale con ! ». J’aimais nos réconciliations (sous la couette essentiellement).


Et par-dessus tout, j’étais en extase devant ses petites manies du quotidien. J’en avais même fait un classement. Sur le podium, nous avions : les mouchoirs qu’elle laissait traîner de partout (voiture, cinéma, restaurant, appartement…), la manière dont elle se reposait sur mon épaule lorsque nous nous câlinions et les boucles de cheveux qu’elle formait avec ses doigts lorsqu’elle était apaisée.


Quelle nostalgie !


Si seulement je n’avais pas fait le con cette fameuse nuit...

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36 commentaires

Emma Chapon

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Il y a 9 mois

Mince, mais il n'y a pas de suite ? 😱😂 Bon, quel plaisir de retrouver ta plume après tout ce temps ! J'aime toujours autant ta façon de lier émotions et humour, en seulement trois chapitres je suis complètement rentrée dedans. C'est beau et maîtrisé, bravo ☺ (et ça m'a fait rire de voir la notif quelques heures avant la clôture du concours 🤣)

Jay H.

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Il y a 9 mois

Oh Emma Chaponov !!! Quel plaisir de te voir par ici depuis Napoléon :D ... Merci beaucoup pour les compliments... pour le timing, il y a une explication toute simple, c'est que j'ai eu une meilleure idée que ce que j'avais déjà écrit donc... défi accepté !! 🤣 (et oui oui il y a la suite)

AlexGNSTR

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Il y a 9 mois

J'espère que tu n'as pas l'intension de nous laisser sur ces 3 petits points.

Jay H.

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Il y a 9 mois

Non, t'inquiète, y'a un dernier chap...

Jay H.

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Il y a 9 mois

2 derniers pardon ! ^^
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