Fyctia
Chapitre 2
Pour commencer, on va rembobiner un peu. Cinq mois en arrière, si mes calculs sont bons…
À force de ressasser ça encore et encore, je vais finir par demander moi-même mon internement.
Mais merde, je suis où ?
Ce n’est pas faute d’essayer. Je fais tous les efforts du monde, mais j’ai ce goût amer pas très rassurant. Un mauvais pressentiment qui me chatouille les entrailles et qui ne me quitte pas. Sans parler de ce putain de mal de crâne. Ça ne manque pas, à chaque fois que j’essaye de solliciter ma mémoire, je souffre de tambourinements qui percutent mes tempes.
Si je changeais de position, ça serait un bon début !
Je décolle ma joue de l’oreiller et tente malgré la difficulté de me retourner. J’y parviens non sans mal. Me voilà sur le dos, les bras en croix derrière la tête. Ah super ! J’ai la nausée maintenant. Mes yeux sont encore quelque peu collés et à chaque tentative d’ouverture des paupières, ma migraine me rappelle à l’ordre.
On va reprendre depuis le début. Si je n’arrive pas à me souvenir de la soirée de la veille, autant remonter le fil de la journée. Je faisais quoi hier matin ? Aïe, fait chier cette foutue douleur ! OK, on reprend… À 10h00, j’avais un entretien pour un job dans une société de courtage en assurances. Ça n’a pas été très concluant d’ailleurs. À 12h00, je devais retrouver Elijah pour manger un morceau dans ce nouveau fast-food dont tout le monde parle comme étant le concurrent qui écrasera les grandes chaînes dans quelques années. Milieu d’après-midi, je suis allé acheter quelques habits. D’habitude, j’achète des jeans, des cols roulés, des sweats à capuche. Là, je me souviens avoir pris une chemise et une veste de costume. Va savoir pourquoi ! Ensuite, je suis rentré dans mon petit appartement du West Village. J’ai filé sous la douche, puis quand j’en suis sorti, je crois avoir appelé un restaurant pour vérifier s’ils avaient bien pris en compte ma réservation. C’était quel restaurant déjà ? Bon, passons… Je me suis habillé, je ne me rappelle plus ce que j’ai enfilé, sûrement ce qui traînait sur le canapé. Ah ! Et j’ai sorti une bonne bouteille de whiskey. Un bon verre que j’ai englouti cul-sec. Après, après… C’est le trou noir !
Ouais, je crois que je suis monté dans ma vieille Chevrolet toute pourrie, mais pour faire quoi, pour aller où, mystère !
C’était quoi ça ?
— Bien dormi l’étalon ?
Oh merde ! Comme elle m’a fait sursauter !
Ça y est, j’ai compris, je me suis encore défoncé la tronche hier et j’ai donc tout oublié de la soirée.
— Ouais bien dormi. Ça te dérangerait d’allumer, histoire qu’on y voit clair ?
C’est vrai, il fait plus noir que dans le trou du cul des ténèbres dans cette chambre.
— Tu veux être sûr que tu t’es pas trompé, c’est ça ? demande-t-elle d’un ton un brin moqueur.
— Trompé ?
— Oui que je suis pas un thon quoi !
J’explose de rire. Incontrôlable. Un rire fatigué, enroué, pas très agréable à l’écoute. Puis quand je reprends mon souffle :
— Allume et j’te mettrai une note si tu veux.
C’est elle qui rit maintenant. Pour le coup, je sens de la retenue. Pas vraiment comme si elle avait peur que je lui mette une mauvaise note, mais plutôt comme si elle appréhendait mon départ.
Je sens la couette voltiger, le matelas bouger et j’entends ses petits pas rapides. Elle appuie sur le bouton du store électrique, ça m’aveugle progressivement, je me couvre alors le visage avec les mains.
— Allez, ouvre les yeux beau brun.
Je tente de m’exécuter, mais quelle difficulté !
Lorsque je réussis enfin à séparer mes paupières l’une de l’autre, je l’aperçois à travers les rayons du soleil. Wow ! Elle est belle !
— Mouais, dis-je avec la moue qui va bien, cinq sur dix pour être gentil.
Pas un bruit, pas un mouvent, elle est figée. J’espère ne pas l’avoir vexée. Au moment même où je m’apprête à lui dire que je blaguais, elle ajuste son long t-shirt rose bonbon, prend de l’élan, puis court pour finalement ma sauter dessus.
— Allez Jordan ! s’écrie-t-elle avec des yeux de biche. Sois sérieux. Combien ? En vrai !
Mince, elle connaît mon prénom et mon j’ai oublié le sien.
— En vrai de vrai, t’es un dix, y’a rien à redire.
Alors qu’elle a les mains jointes sur mon torse et le menton posé sur le revers de ses mains, ma jolie conquête sans prénom affiche un large sourire. Son regard et pétillant. Puis elle me donne un baiser langoureux (un baiser puant du réveil), avant de rouler pour se propulser hors du lit.
— Je dois aller bosser, annonce-t-elle d’une allure solennelle. Si t’as envie d’un p’tit dej, prends c’que tu veux dans le frigo.
La voilà qui contourne le lit tout en retirant son haut sans la moindre gêne et se dirige vers la porte à ma gauche. Quelques secondes plus tard, j’entends l’eau couler. Encore quelques secondes plus tard, je l’entends chanter du Bruno Mars. Niveau physique et humour, c’est un dix sans conteste, niveau chant, je prie pour qu’elle n’ait pas de miroir dans la salle de bains.
Bon, je ne suis pas plus avancé, je n’ai toujours pas comblé les trous dans ma mémoire. Je reste sur ma première hypothèse. Hier soir, j’ai trop bu, au point de me retrouver dans cette chambre avec cette femme sublime, dans cet appartement avec une vue splendide sur New York, sans savoir comment j’ai atterri ici. C’est étrange car oui, j’ai la nausée, mais pas au point de gerber sur le parquet en bois. Très beau parquet d’ailleurs !
Le problème qui se pose à moi là, c’est que je n’ai aucune idée de ce que j’ai pu lui dire pour coucher avec elle. Ni même de ce qu’elle attend de moi. Peut-être lui ai-je fait de belles promesses et qu’elle s’attend à quelque chose de sérieux avec moi. Est-ce que moi j’ai envie de sérieux ? Je ne pense pas. Peut-être qu’elle veut se marier, avoir une maison et des enfants avec moi. Ouais, un peu extrême et à peine égocentrique, je le conçois.
Et puis j’ignore comment elle s’appelle…
Trop complexe cette histoire !
OK, c’est décidé, je passe peut-être à côté d’une relation à couper le souffle, mais tant pis, je préfère me tirer en douce comme un lâche.
On pourrait penser que cet acte était anodin. Un énième connard qui n’assume pas le lendemain. Quoi de plus cliché ! C’est ce que je pensais il y a cinq mois de ça. Sauf que je l’ignorais encore, mais je regretterais cruellement cette attitude de poltron…
23 commentaires
clecle
-
Il y a 9 mois
Jay H.
-
Il y a 9 mois