Seb Verdier (Hooper) L’initiation du Ménestrel Ascension

Ascension

Ce matin-là, le Ménestrel eut la bonne surprise de constater qu’ils avaient un peu plus de temps que d’habitude pour se préparer. Autre bonne surprise, le cours de la matinée était dédié à la musique. Il fit ainsi la connaissance de Maîtresse Coryphée, une femme visiblement très âgée, aux cheveux blancs bouclés, à la vue basse, et à la posture voûtée sous son lourd manteau bleu nuit. Mais elle possédait la voix d’une fillette et la vivacité intellectuelle d’une jeune femme à l’esprit subtil. Elle décela d’ailleurs rapidement les aptitudes du Ménestrel dès le premier exercice où il fallait classer des sons suivant leur hauteur tonale. Elle le fit ensuite travailler sur des instruments à cordes et lui dévoila les premiers accords.


Dans un second temps, les élèves s’exercèrent au chant et le Ménestrel, encouragé par ses camarades, réussit à se distinguer, non sans rougir de confusion car il n’était pas vraiment dans sa nature d’occuper le premier plan. À la fin du cours, Coryphée lui dit qu’il devrait surtout utiliser la magie de l’Ether pour développer plus vite encore ses aptitudes.


Cela faisait plusieurs fois que cette puissance étrange était évoquée dans différents cours ou parmi ses camarades et le Ménestrel voulut en savoir plus. Mais la Maîtresse n’avait que trop peu de temps à lui consacrer, alors elle lui répondit en deux mots que c’était tout simplement une force qui était partout, que chacun pouvait l’appréhender et la faire parler. Elle ajouta, avant de refermer la porte, qu’ici, à Erikenn, cette énergie venue des Temps Anciens se manifestait bien plus qu’ailleurs.


Malgré cette réponse succincte, le Ménestrel fut ravi de cette matinée riche en enseignements et qui lui avait permis d’accroître ses talents. Praline l’avait félicité en sortant, lui sautant presque au cou et assurant à qui voulait l’entendre qu’il était son ménestrel favori (bien que personne n’eut connaissance d’un quelconque autre ménestrel).



Mais la vie est ainsi faite que les petits bonheurs ne durent pas, ni les grands malheurs d’ailleurs : les deux s’égrènent à la façon d’une boîte à musique, de façon cyclique, et presque prévisible.



Cet après-midi-là, le Ménestrel eut ainsi la mauvaise surprise d’apprendre qu’ils devraient participer à des Travaux. Autre mauvaise surprise, Pétrin – qui venait de s’entretenir avec l’instructeur-chef – les informa que les travaux se dérouleraient sur les tourelles. Mais, ajouta-t-il rapidement, il faisait beau aujourd’hui et le travail ne serait pas très compliqué.


Sympa les guida dans les niveaux supérieurs. Le Ménestrel s’attendait à découvrir les résidences des Maîtres et des Mages, voire à croiser un Sorcier (on lui avait dit que l’Archimage résidait dans la tour centrale, qui n’était pas celle qu’ils gravissaient en ce moment), mais il fut déçu car ils passèrent par des escaliers de service et des coursives extérieures. L’ascension fut longue et éprouvante et beaucoup d’élèves réclamèrent régulièrement des pauses. Sympa en autorisa une à mi-chemin et une autre aux trois-quarts de la montée.


Au cours de cette dernière, prise au beau milieu d’un petit escalier en colimaçon qui semblait ne jamais finir, le groupe s’assit sur les marches gelées et dégoupilla les gourdes dont ils s’étaient munis avant de quitter la Cantine. Le Ménestrel peinait à trouver son souffle et ses cuisses lui lançaient des vagues de douleurs. Il avala une rasade de sa gourde mais son contenu lui brûla la gorge. Voyant sa stupéfaction, Sympa lui lança : « ça mon petit, c’est une potion pour les hommes ! Faut en prendre très peu… »


Si le liquide l’avait fait frémir en l’ingérant, il constata, malgré tout, qu’il lui donnait une nouvelle vigueur et le réchauffait. Il se promit toutefois de ne pas en consommer davantage, sentant confusément qu’il n’était pas bon de masquer par des artifices les limites physiques de son corps : ce dernier pourrait lui en faire payer le prix plus tard.


Comme il se tenait une marche en dessous de la Balance et de Pétrin qui sirotaient leur gourde de leur côté, il surprit une conversation étrange entre ses camarades :


— Ça va jamais le faire, chuchota Pétrin d’une voix si basse que nul autre que son interlocuteur n’aurait normalement pu l’entendre.


— Faut s’entraîner, c’est tout, répondit l’autre tout aussi bas.


— Si on est pas trop chargés, c’est faisable, lança alors une troisième voix.


Danseur se tenait deux marches plus haut et la configuration hélicoïdale de l’escalier le masquait au Ménestrel mais il reconnut sa voix sans difficulté.


— Faut stocker au fur et à mesure, reprit la Balance.


— On aurait dû anticiper pour cette fois, c’est dommage… lâcha Pétrin d’un ton déçu.


— Pas grave. C’est pas celle-là de toute manière, décréta la Balance.


— Je vois pas comment on pourra… reprit Danseur.


— On y arrivera, répondit la Balance avec une étrange assurance dans la voix.


— Comment tu peux en être aussi sûr ? demanda de nouveau le Danseur.


— Parce qu’on est nombreux à le vouloir, conclut Pétrin avant de se relever car la pause était terminée.


Le Ménestrel n’évoqua pas ce qu’il venait d’entendre mais il se promit de demander des explications à Pétrin ou au Danseur plus tard. Il avait commencé une initiation intéressante dans cette forteresse et il entendait bien, désormais, apprendre le plus de choses possibles dans le temps le plus court qui soit.


Quelques instants plus tard, ils débouchèrent enfin dans une vaste salle circulaire, venteuse et frigorifiée, encombrée de planches et de caisses en bois. Située juste sous la charpente, ses murs de pierre y étaient assez fins, gris et nus, et l’isolation inexistante. Le vent ne soufflait pas très fort mais il était glacial et s’engouffrait par une petite embrasure qui communiquait avec l’extérieur. Un extérieur éblouissant.


Mindo lamalantë ! s’écria Sympa d’une voix qui trahissait son essoufflement à lui aussi. Allez, équipez-vous à présent.


Billy, qui voyait bien que le Ménestrel était un peu perdu, l’aida à tirer d’une caisse une paire de plaquettes de bois cloutées et à les chausser. Il lui expliqua que tout le monde en mettait ici, que ces crampons rudimentaires accrocheraient ainsi mieux les parties enneigées ou verglacées et qu’ils leur éviteraient de glisser. Tandis que son camarade lui fixait avec soin ces plaquettes et les maintenait solidement arrimées à ses bottines par un jeu complexe de lacets qui s’entrecroisaient, le Ménestrel promena son regard sur le reste du groupe qui s’affairait tout en reprenant leur souffle. Billy lui tapota ensuite les cuisses pour lui dire qu’il était prêt et qu’il n’avait plus qu’à enfiler ses gants de cuir.


— C’est vertigineux, dehors ? lui demanda-t-il après avoir longuement inspiré.


— Un peu, répondit Billy qui ne voulait pas lui mentir sur ce sujet. Mais tu n’auras qu’à pas trop regarder en bas et tout ira bien. Si je suis à côté de toi, je t’aiderai. Ne t’inquiète pas, ce n’est pas aujourd’hui qu’on perdra notre « ménestrel favori »…



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9 commentaires

Leo Degal

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Il y a 5 mois

J'adore toujours autant l'ambiance que tu parviens à tisser dans ton récit, cette Forteresse glaciale, cette petite équipe d'adolescents caractérisés par leur surnom, le Ménestrel, discret, curieux, un peu fragile, au milieu de ce microcosme plus expérimenté. Je dois avouer que dans un premier temps, c'est surtout le placement du cadre, que j'ai trouvé particulièrement réussi, l'atmosphère est vraiment très réussie, mais petit à petit, sans forcer, tu auras créé de véritables personnalités, un peu imprécises, mais en même temps suffisamment vivantes pour que je tremble d'avance à l'idée que certains puissent tenter de s'évader 🙈 Et Billy m'a stressée, désormais, je ne le sens pas. Cela dit... les autres connaissent-ils son surnom ? Et si non... Ne s'étonnent-ils pas qu'il n'en ait pas reçu ? 🤔

Seb Verdier (Hooper)

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Il y a 5 mois

Ravi que tu sois entrée dans l'univers. C'est exactement ainsi que j'ai essayé de fonctionner : par touches successives, une forme "d'impressionisme"... Merci beaucoup pour ta lecture. Je ne peux malheureusement pas commenter tes hypothèses sur le jeune Billy, même si j'en meurs d'envie ;)
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