Seb Verdier (Hooper) L’initiation du Ménestrel Entre deux

Entre deux

La voix grave de Pétrin résonna, tendue et impatiente à la fois :


— Danseur !


Aux acclamations qui suivirent, le Ménestrel comprit que c’était le choix le plus audacieux que le chef de chambrée puisse faire. Danseur était bien moins fort que lui, c’était une évidence, mais il possédait un équilibre surnaturel qui pourrait, ici, lui donner l’avantage sur Pétrin, plus lourd, plus lent.


— Danseur… fit Samia. Le tenant du titre, je crois… Êtes-vous prêt ?


— Fin prêt, répartit le Danseur. Franchement, je m’y attendais…


Et il se dirigea vers le recoin où les barres de fer reposaient afin d’en prendre une à son tour. Il en testa deux avant de choisir la meilleure, les soupesant et les maniant avec une déconcertante facilité, les faisant virevolter derrière son dos avec une agilité remarquable.


Le Ménestrel admira son talent tout d’abord mais trembla ensuite de le voir s’engager pieds nus et sans prendre aucune garde, sur le ruban de roche qui enjambait la fosse.


— Modalités ? demanda Danseur sans se retourner, le regard et l’attention tout entière déjà fixée sur Pétrin, fermement campé sur ses cuisses à l’autre bout du pont.


— Mort subite ! déclara Samia, ce qui arracha quelques gémissements dans le groupe.


Le Ménestrel s’aperçut alors qu’il serrait convulsivement la main de Praline qui était restée à côté de lui.


— Détends-toi, lui souffla-t-elle. Ça va aller vite, à mon avis.


Effectivement, cela ne dura pas très longtemps. Pétrin fut remarquable. Il osa le premier, tenta des manœuvres risquées, poussant chaque avantage, cédant très peu de terrain, encouragé par une bonne partie des élèves. Mais Danseur était trop fort, trop habile. Au bout de quatre ou cinq passes d’arme, d’un petit coup de sa barre – qu’il avait dangereusement avancée entre les deux pieds de Pétrin – il déséquilibra le chef de chambrée qui partit alors en arrière au ralenti, battant stupidement des bras pour essayer de se rétablir. Timide retint un cri dans sa gorge en mettant la main sur sa bouche.


— Et voilà, annonça simplement le Danseur.


Et tandis que Pétrin chutait au grand désespoir de ses supporters, d’autres se réjouissaient.


— Cool ! Ça promet pour le championnat ! lança Billy d’une voix enjouée.


Le Ménestrel, lui, regardait avec horreur leur camarade basculer dans le vide avec un cri bestial. Non pas un cri de peur, mais plutôt un cri de rage. La rage d’avoir perdu. Pétrin tomba ensuite en arrière, yeux fermés et bras écartés, comme dans une acceptation de son sort ; et atterrit dans le filet qui était suspendu sous le pont.


Sentant que le Ménestrel avait eu très peur, Praline lui glissa de sa voix mélodieuse qu’il devrait travailler son sens de la Vue : il y avait bien un filet de cordes sous le pont pour rattraper les perdants.



Le reste du cours se passa à traverser et retraverser ce fameux pont. Puis à le refaire avec une barre à la main, puis de plus en plus vite, Samia leur gueulant régulièrement de se concentrer, d’invoquer les forces de l’Ether. Le Ménestrel ne brilla pas particulièrement dans cet exercice même si, comme il le constata, son vertige ne le gêna pas plus que ce qu’il avait redouté. Certainement parce qu’on ne voyait pas le fond du puits.


Il fut – curieusement – heureux de constater que Diane n’excellait pas non plus et avait souvent besoin du support de ses camarades. À la faveur d’une pause, il ne put s’empêcher de la détailler du regard alors qu’il s’était plus ou moins consciemment promis d’essayer de l’oublier. Ses pieds nus et ses chevilles délicates. Ses bras d’albâtres et ses petites épaules rondes et blanches. Son cou d’ivoire perlé de transpiration et son visage aux traits fins, encore plus gracieusement tendus par l’effort physique. Ses yeux noisette qui brillaient à présent d’un feu intérieur. Ses cheveux bruns qui paraissaient noirs et lustrés dans cette demi obscurité. Il dut finir par s’avouer qu’il la trouvait vraiment jolie. Et son cœur se pinça douloureusement.


A la sortie du cours, le Ménestrel eut la surprise de découvrir un dispositif qu’il n’avait jamais vu, ni chez lui ni ailleurs. En effet, de retour dans l’antichambre, les garçons se rendirent dans une salle attenante, et les filles dans une autre, après que Samia eut lancé d’un air moqueur : « Et que personne ne se trompe de salle ! ».


Une fois dans cette nouvelle pièce toute carrée et dans laquelle ils avaient amené leurs affaires de rechange, ils se dévêtirent. Ensuite, l’un d’eux actionna plusieurs fois une manette de cuivre et de l’eau se mit à tomber miraculeusement du plafond. Une eau tiède, sous laquelle ils se savonnèrent quelques instants.


— C’est bien long les garçons, gueula Samia depuis l’antichambre. Faut que je vienne vous frotter ou quoi ?


— Me fatigue celle-là, chuchota Pétrin à lui-même, les yeux fermés et la tête sous le jet d’eau turbulent.


Aux intonations de sa voix, le Ménestrel ressentit toute sa détresse, mêlée d’une colère sourde. Il comprit assez vite quelles idées passaient en trombe sous son crâne ruisselant : ce n’était pas le ressentiment d’avoir perdu son duel, non. La principale préoccupation de Pétrin, c’était cette désagréable surprise de s’être retrouvé entre Samia et Timide. Une qu’il supportait tant bien que mal, ayant besoin d’elle. Et l’autre qu’il aimait de toute la passion de son grand cœur. Ce devait être terrible, se dit-il enfin, d’être ainsi coincé entre deux personnes aussi différentes, sans pouvoir montrer réellement ce que l’on ressentait.


Le Ménestrel eut alors la surprise de le voir donner un coup de poing sur le mur de la salle. La paroi de granit ne broncha pas. Et Pétrin ne se sentit pas mieux pour autant.


Une fois rhabillés, ce fut Sympa qui les prit en charge et les ramena jusqu’aux niveaux autorisés. Cela faisait bien longtemps que le Ménestrel ne s’était pas senti aussi fourbu : les exercices physiques l’avaient épuisé et la douche l’avait bien délassé. Aussi c’est avec une certaine somnolence qu’il s’installa sur son lit, la lyre en main. La chambrée embaumait une odeur de savon, de propre. Tout le monde vaquait lentement à ses occupations et les notes claires de sa lyre rajoutaient une dimension de plénitude à l’atmosphère.



Peu avant midi, ils passèrent à la Cantine puis se dirigèrent ensuite au cours de Lorgnon, le Maître de Dessin, qui leur fit esquisser sur des parchemins des formes géométriques plus ou moins complexes. La Balance excella dans ce cours centré sur la Vue. Millo et Timide aussi. Diane et le Danseur étaient plutôt bons et Billy semblait l’être aussi. Les autres pataugeaient toutefois… Le Ménestrel s’y trouva à l’aise mais Maître Lorgnon qualifia rapidement son travail de médiocre et l’encouragea à étudier ces sujets en Salle de Silence.



Le soir venu, le Ménestrel reprit son passe-temps favori et, lorsque la bougie fut soufflée, toutes les cordes de sa lyre étaient accordées.



La nuit fut calme, froide et remplie de soupirs de fatigue ou de colère contenue, mais qui moururent tous en silence.



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15 commentaires

Miuu-Rose

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Il y a 5 mois

J'ai lu l'intrigue, je passerais à l'occasion ! 😆😆

Seb Verdier (Hooper)

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Il y a 5 mois

Merci d'avance ;)

Katyga

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Il y a 5 mois

Bonne chance pour cette dernière ligne droite!

Seb Verdier (Hooper)

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Il y a 5 mois

Merci !

Sand Canavaggia

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Il y a 5 mois

Merci de ton aide, il te manquait 4...alors si mon aide peut apporter, c'est avec plaisir🌹

Seb Verdier (Hooper)

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Il y a 5 mois

Merci, merci ! 🙏

Marie Colençon

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Il y a 5 mois

like de soutiens bonne chance pour la suite
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