Seb Verdier (Hooper) L’initiation du Ménestrel Grande douleur

Grande douleur

Splash ! Grande giclée d’eau froide sur son visage. Il frissonna mais recommença… Splash sur ses yeux bouffis par cette nuit agitée où il n’avait pu trouver le sommeil qu’à une heure avancée. Splash ! Ainsi, il avait eu une grande sœur… se redit-il encore en attrapant une serviette.


Oui, il s’en souvenait à peu près. Elle avait disparu quand il devait avoir trois ou quatre ans, situa-t-il. Ses parents n’avaient jamais évoqué cette sœur ainée et son cerveau d’enfant avait fini par oublier ce souvenir confus. Maintenant qu’il y pensait, il se disait que, peut-être, elle avait été amenée à la citadelle ? Mais alors…


— Allez, on se bouge ! meugla Pétrin. Le p’tit-déj’ est là ! Et faut être en forme avant Zingoll !


Le Ménestrel entendit aussi, de l’autre côté du paravent, des filles se plaindre de maux de ventre et réclamer de se rendre chez l’herboriste. D’autres voix féminines s’élevèrent alors, se demandant ironiquement pourquoi tant de monde était subitement si malade à chaque fois qu’il y avait le cours de Zingoll.


Le long du trajet, il surprit d’autres conversations entre les différents chefs de chambrée qui se rejoignaient dans les couloirs : certains souhaitaient – aujourd’hui plus que jamais – rentrer chez eux. D’autres disaient que, chez eux, tout était déjà mort de toute manière.



Contrairement au Maître de la Salle de Silence, Zingoll ne cachait pas ses origines : ses pupilles verticales étaient mises en valeur par un maquillage discret et son manteau bleu nuit ne comportait aucune capuche. De plus, ses cheveux noirs, coupés très courts, laissaient clairement voir les pointes effilées de ses oreilles. Le Ménestrel reconnut qu’il était plutôt charmant, très jeune (peut-être une dizaine d’années de plus qu’eux dont la moyenne oscillait autour de quatorze ans), et dégageant quelque chose de magnétique. Il trouva étrange que tant de gens aient si peur de lui.


— Soit deux personnes… commença doctement le Maître tout en déambulant sur son estrade, les mains croisées dans le dos.


Tous les élèves prirent alors un air concentré et le Ménestrel fit de son mieux pour donner la même impression.

— L’une est bien meilleure que l’autre, poursuivait Zingoll tout en scrutant l’assemblée comme s’il était à la recherche d’une personne en particulier. Un jour, cette dernière se trouve en grave danger. La première peut la sauver mais en prenant un risque. Doit-elle l'aider ?



Les yeux de Zingoll continuaient de balayer l’assistance. Tout le monde baissait la tête.


Une fois épuisé le temps de réflexion qu’il leur avait donné, Zingoll arrêta son regard de saurien devant un petit bonhomme qui semblait paralysé de terreur, et il glissa vers lui.


— Votre réponse, jeune homme ? souffla-t-il.


— Je… pense… commença-t-il.


— Non… non… Je ne vous demande pas votre avis, le coupa Zingoll en soupirant.


Le jeune élève eut alors un hoquet puis une crispation faciale et se tordit subitement de douleur, les deux mains crispées sur son ventre. Le Ménestrel n’en crut pas ses yeux. Personne ne bougeait. Zingoll reprit, comme si rien ne s’était passé :


— Je vous ai dit mille fois que je ne vous demande pas de penser mais de répondre à une question. Ce sont deux choses très différentes.


Une grande fille au regard clair et aux cheveux bouclés leva alors la main et Zingoll l’interrogea.

Danseur, qui s’était assis à côté du Ménestrel, en profita pour lui chuchoter à voix basse : « Si tu proposes une réponse, tu ne risques rien. Il ne tourmente que ceux qui ne participent pas. »


Le cœur du jeune Ménestrel ne cessait de cogner dans sa poitrine depuis le début du cours : jamais il ne trouverait la force de lever la main, Zingoll finirait forcément par l’interroger, et il finirait sans doute comme l’autre garçon. Ce dernier semblait d’ailleurs se remettre et, les larmes aux yeux, acceptait un mouchoir en tissu qu’un camarade assis juste à côté lui proposait.


À demi sidéré, le Ménestrel n’entendit pas la réponse de la jeune fille mais il perçut nettement celle de Zingoll qui, soupirant, estimait cette dernière totalement inepte. L’élève ne sembla cependant recevoir aucun châtiment, comme Danseur l’avait prédit.


A sa plus grande horreur, Zingoll se déplaçait à présent vers lui et son regard rencontra le sien.


Mais Diane leva la main. Et sans attendre que Zingoll lui donne la parole, elle récita :


— Vous nous avez souvent dit que certains d’entre nous ne méritaient pas de suivre les enseignements de la Citadelle. Or, force est de constater que les cours continuent de leur être dispensés. Erikenn ne pouvant se tromper, il est donc logique de croire qu’il faut soutenir tout le monde, même les incompétents.


La bouche de Zingoll se fendit alors d’un large sourire, dévoilant deux rangées de dents coniques entre lesquelles siffla sa langue serpentine.


— Mindo lamalantë ! s’écria-t-il après une légère inspiration.


Le cœur du Ménestrel se figea, rata deux battements, et repartit en chamade, jusqu’à ce qu’il se rappelle que « Mindo » voulait dire « merci ». Au ton de Zingoll, il comprit que « lamalantë » exprimait une satisfaction après une longue attente, une sorte de « enfin ! ».


Le Maître reprit :


— Voilà ! Basez toujours vos réponses sur la politique de ceux qui vous dirigent, vous instruisent, vous abritent ou vous nourrissent ! Peu importe ce que vous pensez, vous : cela n’a aucune importance.


Zingoll poursuivit avec un autre exercice où il fit plusieurs récits très courts : anecdotes, fragments de légende, faits historiques… Il fallait à chaque fois détecter s’il disait la vérité ou mentait. Peu importait si l’histoire de départ fut vraie ou non, le but étant de sentir si le locuteur – Zingoll – était sincère ou pas. Pour cette activité, il interrogea systématiquement ceux qui ne levaient pas la main. Et plus d’un se tordit en deux pendant quelques minutes.


A la fin de la matinée, le Ménestrel était exténué : il avait échappé – de peu – à l’interrogatoire mais avait vécu un mauvais moment dans l’ensemble, ce qui semblait le cas aussi pour tous les autres. A l’exception de Diane : elle avait passé son temps à rire aux traits d’esprit de Zingoll et à minauder avec lui. Ce dernier l’avait félicité régulièrement et lui avait souvent souri en retour. Il s’était aussi fréquemment tourné vers elle quand un autre élève répondait, lui adressant un regard complice, avant de rendre son verdict.


Sortant de la salle, titubant presque au milieu de ses camarades, le Ménestrel éprouva le besoin de se retourner, comme pour vérifier que Zingoll ne le suivait pas. Il vit alors que Diane était restée dans l’amphithéâtre avec le professeur. A sa plus grande stupéfaction, Zingoll leva alors son bras et passa sa main dans les cheveux de Diane.


— On aurait peut-être dû te le dire dès le début, lança Billy qui avait surpris le regard médusé du Ménestrel et l’entraînait dehors presque malgré lui.


— Me… dire… quoi ? balbutia-t-il.


— Diane est promise à Zingoll. Ils s’uniront quand elle sera majeure.







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19 commentaires

Nadège Laforge

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Il y a 5 mois

C’est toujours un plaisir de te lire. J’ai beaucoup aimé ce cours, je me suis revue en classe terrifiée à l’idée d’être interrogée. Quant au conseil de baser sa réponse sur la politique de ceux qui dirigent, il en dit beaucoup sur le personnage et le monde.

Julie Emilie M

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Il y a 5 mois

Baser les réponses sur la politique...eh bien c'est une façon d'éviter de se mettre les puissants à dos, mais la réponse change donc au fur et à mesure du temps. Heureusement que là, ça donne une réponse en faveur de tous et pas que des plus forts ! Et Diane avec Zingoll ? Waouh ! Ca fait si bizarre !

Seb Verdier (Hooper)

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Il y a 5 mois

C'est effectivement une forme de propagande ;)

Amphitrite

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Il y a 5 mois

Non on comprend mieux l’épidémie de maux de ventre après avoir terminé le chapitre… Zingoll est vraiment terrifiant.
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