Seb Verdier (Hooper) L’initiation du Ménestrel Une bien étrange personne

Une bien étrange personne

— Bonjour Samia, répondit Pétrin tout en lui montrant – même si c’était inutile – son galon de responsable de chambrée, cousu sur la manche de son manteau.


— Qu’est-ce qui t’amène, mon grand ? reprit Samia, d’un ton doucereux. Moi ? Avoue que je te manquais…



Avec un certain art de la séduction que le Ménestrel ne lui connaissait pas encore, Pétrin laissa entendre que c’était peut-être la raison de sa venue mais aussi que, plus sérieusement, sa chambrée avait grand besoin de fournitures. Samia prit un air faussement déçu et écouta, d’un air fort ennuyé, ses doléances.


Il lui demanda alors trois nouvelles couvertures, invoquant l’état d’usure des anciennes qu’il avait apportées. Il évoqua également l’incident de la nuit dernière et sollicita une Ankalandë supplémentaire ainsi que du savon, quelques accessoires de toilettes, de nouvelles bougies, du linge, un manteau neuf, plusieurs vêtements et sous-vêtements qu’il fallait renouveler car, expliqua-t-il, ses bonhommes et ses bonnes femmes grandissaient à vue d’œil. Il ajouta enfin à sa liste, sur l’insistance de la Balance, une paire de gants en cuir.


Le Ménestrel fut tout d’abord surpris qu’un simple chef de chambrée osât réclamer autant de choses mais soit que les réserves d’Erikenn fussent très importantes et qu’on ne regardât pas vraiment à la dépense, soit qu’une autre sorte de magie fusse en train d’opérer, l’instructrice donna à Pétrin tout ce qu’il voulut. Elle entendit bien ses différentes justifications mais, à aucun moment, elle ne s’en inquiéta vraiment, se contentant de le fixer dans les yeux et d’accompagner chacun des objets qu’elle posait sur le comptoir d’un « C’est tout ? » curieusement mélodieux et de plus en plus insistant à chaque fois.


Tandis que Billy s’amusait de la situation et que Commode examinait le contenu des étagères, le Ménestrel s’aperçut que la Balance regardait ailleurs et examinait avec soin un lot de planches entreposées un peu plus loin.


— Qu’est-ce que tu regardes, lui demanda-t-il.


— Elles font toutes deux mètres quarante de long, répondit simplement la Balance.


— Et alors ? reprit son camarade.


— C’est bien, mais en largeur elles n’en font que vingt-deux.



Déboussolé par les paroles cryptiques de la Balance auxquelles il commençait à peine à s’habituer, le Ménestrel reporta son attention sur les profondes étagères qui s’étiraient de long en large derrière l’instructrice.


Il y distingua de nombreuses choses, certaines identifiables rapidement comme des livres, des jeux avec des pions, des cartes, et d’autres à l’usage plus incertain.


Et puis, enfin, tout en haut, perdu sur une étagère à cinq ou six mètres de haut, il discerna un instrument en forme de fer à cheval, une sorte de U dont les extrémités se recourbaient vers l’extérieur et entre lesquelles plusieurs cordes étaient tendues. Fasciné, il demanda aussitôt à Pétrin s’il pouvait obtenir cet objet. Samia n’y vit aucune objection. S’agrippant alors aux montants, elle escalada les différentes étagères comme un félin, jouant des pieds et des mains avec grâce et lançant de temps à autre des « Hey, vous en profitez pas pour regarder sous ma robe, les garçons ! » auxquels les dits garçons répondaient par des « Non, madame » ennuyés ou amusés suivant le tempérament de chacun.


Parvenue au sommet, Samia s’empara alors de l’instrument poussiéreux puis, d’un bond, sauta ensuite dans le vide et se reçut souplement sur le sol.


— Ah ! s’écria-t-elle en se relevant, un peu d’exercice, ça fait du bien.


Puis elle donna la vieille lyre au Ménestrel : « Tiens, petit bonhomme. Avec ça, tu pourras faire de la musique à ton amoureuse. » Lorsqu’il la tint enfin dans ses bras, une douce harmonie s’empara de lui, comme un contact longtemps désiré et enfin assouvi.


Ils empaquetèrent ensuite leurs fournitures et sortirent en hâte des Dépendances tandis que Pétrin lançait un « au-revoir » équivoque à Samia et que cette dernière lui répondait par un « Et peut-être plus vite que tu ne le crois... » accompagné d’un mystérieux clin d’œil.


Le jour fuyant et le froid devenant agressif, ils se dépêchèrent ensuite de réintégrer leur chambrée, chacun portant une partie des fournitures.



Sur le trajet, ils passèrent par une sorte de cloître adjacent et que le Ménestrel n’avait encore jamais vu mais qu’il trouva fort sympathique, appréciant particulièrement la haute enceinte qui protégeait ce carré de jardin qui avait dû être vert à une époque reculée. Cette courette tranquille lui parut l’endroit idéal pour se promener au printemps – tout comme ce couple d’étudiants plus âgés était en train de le faire un peu plus loin : un garçon élancé qui entourait de son manteau une grande fille à l’apparence fragile, douce, et aux longs cheveux blonds – ou pour simplement flâner, ou même pour composer un peu de musique. Mais le printemps semblait loin, comme perdu dans un passé obscur formé d’ombres plus grandes que lui et de comptines oubliées.


C’est alors que la jeune fille blonde se tourna vers eux et que son regard croisa celui du Ménestrel.


D’un bleu très clair.


Elle lui sourit.


Le jeune Ménestrel sentit alors une vague de douceur l’envahir. Mais cela ne dura pas. L’étudiante se détourna rapidement et disparut de sa vue en suivant son compagnon sous les arches. Il se secoua, comme s’il sortait d’un rêve et regarda de nouveau devant lui, faisant attention aux flaques qui avaient gelé et menaçaient de le faire chuter.


« Dommage qu’il fasse si froid », se dit-il en sortant enfin de sa rêverie et apercevant la fontaine centrale, aux cascades pétrifiées, sans doute depuis longtemps.


— Paraît qu’elles sont comme ça depuis quatre ou cinq ans, lui lança Billy qui semblait avoir deviné ses pensées. Bizarre, hein ? Mais note que ce sont les anciens qui disent ça, c’est peut-être des blagues.


— Je ne crois pas, rétorqua le Ménestrel, l’esprit pensif.


— Remarque… reprit son camarade, ça colle avec ce que me répétaient mes vieux chez moi : il fait de plus en plus froid chaque année et ça dure à chaque fois plus longtemps. Qu’est-ce que t’en penses ? Tu crois que c’est normal ? Eh ! Ça va ?


Le Ménestrel ne lui répondit pas et, le regard perdu dans le vide, lança, d’une voix mélodieuse :

Yota colandé alo vontigo ; to kotino colandé na largo…










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17 commentaires

Urban Claire

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Il y a 6 mois

Ce passage est amusant et bien rythmé, avec une bonne dose de charme dans les échanges entre les personnages. Pétrin, avec son art de la persuasion, et Samia, avec son air faussement détaché, créent une dynamique pleine de sous-entendus !

Leo Degal

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Il y a 6 mois

Toujours aussi évocateur, quelle maîtrise de l'ambiance ❤️ On est vraiment dans cette forteresse glacée avec cette petite équipe disparate. J'ai froid avec eux.
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