Fyctia
…et Dépendances
Les garçons empruntèrent un long couloir puis grimpèrent un large escalier qui débouchait sur la grande cour extérieure et dont les marches supérieures, les plus exposées aux intempéries, étaient recouvertes de givre. Le Ménestrel faillit glisser sur la dernière et se rompre le cou mais Commode le rattrapa fort heureusement juste à temps. Ils traversèrent ensuite la cour tout enneigée – celle-là même où le Ménestrel avait été débarqué le jour de son arrivée – serrant au plus près leur manteau contre eux et baissant la tête pour se protéger du vent qui s’engouffrait par la gigantesque double porte principale.
— C’est vraiment de pire en pire, s’exclama Billy. Et dire que l’hiver est pas encore là !
Après être redescendus d’un niveau par des coursives verglacées, ils atteignirent une autre cour extérieure, exposée au nord celle-là, en contrebas de la première. Un peu plus abritée, elle permit au Ménestrel de redresser la tête et de cesser de lutter contre le vent. Son regard se porta alors vers les hautes fortifications qui s’élevaient au-dessus d’eux, sur les lointains créneaux qui ceinturaient la citadelle, sur les tours qui les dominaient d’encore plus haut puis, touchant le ciel, sur les dômes coniques qui couronnaient ces dernières.
— On est bien protégés, hein ? lui demanda, pince-sans-rire, la Balance.
Les mains serrées sur ces bras et les frictionnant pour lutter contre le gel qui s’accentuait avec le déclin du jour, le Ménestrel pointa du menton un passage incliné sous un grand tunnel voûté permettant de relier les deux cours :
— Pourquoi on n’est pas passés par ce tunnel pour gagner du temps ?
— Ce passage, répondit la Balance, est réservé aux chariots, aux animaux et à ceux qui les mènent. De plus, les allées et venues par le tunnel sont surveillées jour et nuit, les chariots fouillés de fond en comble… En réalité, on aurait perdu plus de temps en passant par là.
Pétrin conclut l’échange en disant que tout cela n’était pas important car ils étaient enfin arrivés aux Dépendances.
Tout le long du péristyle de cette nouvelle cour, s’ouvraient des dizaines de doubles-portes imposantes, certaines ouvertes et d’autres à demi refermées. Le Ménestrel se demanda laquelle il fallait prendre et les autres – malgré leur habitude et leur ancienneté – durent se poser la même question puisque Pétrin demanda, de sa voix de basse :
— Billy ?
— Je dirais… commença le jeune blondinet avant de fermer les yeux.
— Allez bouge ! on gèle, lâcha Commode au bout de quelques secondes.
— Celle droit devant nous, répondit enfin Billy.
Une fois franchi le seuil de la double porte désignée par leur camarade, la compagnie souffla d’aise en se retrouvant à l’abri des éléments dans une spacieuse salle voûtée. Le Ménestrel s’aperçut alors que toutes les pièces vers lesquelles donnaient les portes de la cour, communiquaient en réalité entre elles par des passages intérieurs en arc-de-cercle. Il s’interrogea donc sur la pertinence d’avoir demandé à Billy laquelle emprunter. Dans cet immense entrepôt, à peine chauffé par une poignée de braseros, s’élevaient un peu partout de hautes piles de caisses en bois, entassées sur de solides rayonnages en fer. Sur le mur du fond, s’étiraient d’interminables étagères remplies de provisions, de bouteilles, d’outils hétéroclites et d’ustensiles divers.
Ils ôtèrent le reste de neige accroché à leurs chaussures, secouèrent leur manteau, puis s’avancèrent jusqu’à distinguer une robe noire qui s’affairaient un peu plus loin.
— Super, c’est Samia, chuchota Commode.
Le Ménestrel comprit que c’était donc une personne en particulier qu’ils avaient recherchée et non une salle plutôt qu’une autre.
— C’est qui ? demanda-t-il alors.
— Une Anthère, répondit Commode. Une race de guerrières, un peu sauvages. Elle vient de l’est lointain.
— Sauvage ? s’écria à mi-voix le Ménestrel.
— Chut… murmura Pétrin qui avait rabattu sa capuche et mettait de l’ordre dans ses courts cheveux bouclés.
— Ouais… reprit, un ton en dessous, Billy qui semblait amusé. Et les Anthères, elles aiment bien les jeunes garçons si tu vois ce que je veux dire…
— Ah… fit le Ménestrel qui ne voyait pas très bien en réalité ce que sous-entendait son camarade et qui se demandait surtout dans quels nouveaux ennuis il était encore allé se fourrer.
— T’inquiète… murmura de nouveau Billy, en se mordant les joues pour ne pas rire. Tu vas pas l’intéresser.
— Chut, fit de nouveau Pétrin. Laissez-moi faire.
En s’approchant, le Ménestrel s’aperçut que la dénommée Samia avait sanglé sa robe noire autour de sa taille avec une cordelette argentée, ce qui n’était pas fréquent chez les instructeurs. A l’intérieur de cette ceinture, une longue lame recourbée était glissée et on devinait facilement – aux mouvements vifs que l’instructrice effectuait avec les caisses qu’elle débarquait d’une charrette dételée – qu’elle aurait été capable de dégainer ce sabre en une fraction de seconde et d’occire n’importe qui en un temps guère plus long. Plus surprenant encore, elle avait également dénudé son épaule gauche et le Ménestrel se demanda comment elle arrivait à supporter le froid glacial ainsi. Mais tout cela n’était pas le plus étrange. En effet, continuant de lever les yeux sur elle, il vit qu’elle avait ramené l’intégralité de ses longs cheveux en une seule natte, rousse, serrée au haut de son crâne et cascadant ensuite sur son dos comme un panache vermillon. Il la trouva belle et inquiétante à la fois.
De son côté, Samia vit – ou sentit – le groupe arriver et cessa de décharger le chariot pour aller se placer derrière le comptoir du fond. Là, elle se saisit d’un flacon en verre qui traînait et en descendit le contenu aux reflets rougeâtres d’un trait. Elle mit ensuite ses coudes sur le comptoir et reposa gracieusement son visage triangulaire sur les doigts croisés de ses longues mains jointes, souriant et battant abondamment des cils. Lorsqu’ils furent enfin tout à fait en face d’elle, le Ménestrel remarqua ses yeux verdoyants et le maquillage élaboré qui en exagérait la félinité.
— Ah, monsieur Pétrin… lança-t-elle au chef de chambrée dans un profond soupir qu’elle ne prit aucune peine à dissimuler.
11 commentaires
Leo Degal
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Il y a 6 mois
Amphitrite
-
Il y a 6 mois