Fyctia
Salles de Silence…
Il ne se trompa que trois fois avant d’atteindre sa chambrée et après n’avoir demandé que deux fois seulement son chemin. Curieusement, il n’eut pas un seul instant la peur de se perdre : malgré sa ténébreuse immensité, se disait-il, cette citadelle glacée avait un début et une fin. La seule chose qui l’alarma un peu fut la possibilité de se rendre par inadvertance dans des étages interdits. Et puis, il faut dire que la dernière phrase de Northan le hanta tant et si bien qu’elle l’empêcha de s’inquiéter vraiment d’autre chose.
— Tout va bien ? lui demanda Pétrin de sa voix de basse lorsqu’il réintégra la chambrée.
— Ça va, répondit simplement le Ménestrel qui n’avait pas spécialement envie de raconter tout ce qu’il avait appris de Northan.
— Bon, on t’attendait, reprit le chef de chambrée. Prépare-toi, on va aller déjeuner puis on ira passer Tenita en Salle de Silence.
En sortant du dortoir, le Ménestrel eut l’occasion d’assister à un petit jeu auquel ses camarades semblaient se livrer assez souvent.
— Allez Billy, ça te fera bosser un peu, lâcha Danseur, ses yeux bleu brillant dans le couloir sombre.
— Vous êtes lourds les gars, répondit Billy, mais en souriant.
Il se laissa ensuite bander les yeux. Commode lui fit faire plusieurs tours sur lui-même et quand Billy fut complètement désorienté et eut retrouvé son équilibre, il se tint droit et silencieux.
— Alors ? laissa tomber Pétrin en exhalant de la buée de sa bouche car il faisait encore plus froid que d’habitude.
— Une seconde, répondit Billy en laissant échapper lui aussi une petite écharpe de buée.
Puis il releva légèrement la tête et se mit à avancer dans une direction. Les autres le suivirent, essayant de le confondre par des « Oh la la, ça commence bien ». Mais Billy ne les écoutait pas et avançait de plus en vite, tournant à droite, puis à gauche, montant des marches comme s’il les voyait sans problème, passant sous des arches gelées et traversant des cours extérieures verglacées, toute la troupe galopant sur ses talons, moitié riant, moitié épatée. Enfin, Billy ôta son bandeau et dit « Nous y sommes ». Ils étaient effectivement arrivés à la Cantine.
— Un vrai limier, lâcha Commode à bout de souffle.
— Il y avait plus court, lança la Balance.
— Peut-être, répondit Billy, mais j’ai suivi les odeurs et c’est le chemin qu’elles avaient trouvé !
Après le déjeuner, comme Pétrin l’avait annoncé, ils passèrent Tenita – l’après-midi – dans une Salle de Silence. Un lieu moins austère que ce à quoi le Ménestrel s’était attendu. Et pas si silencieux que cela puisque des gens murmuraient entre eux ou se chuchotaient des choses discrètement. Ce qui le surprit aussi, agréablement, fut qu’il faisait un peu moins froid ici, sans doute grâce aux quelques braseros disposés un peu partout. S’accoutumant ensuite à l’endroit et aux nombreuses pièces qu’elle recelait, le Ménestrel y découvrit surtout de longs et hauts rayonnages remplis de livres de toute sorte, ainsi que des tapis et des fauteuils sur lesquels plusieurs élèves s’étaient installés et lisaient en silence. Il vit aussi des recoins munis de bancs placés sous de hautes fenêtres filtrant une lumière apaisante et où l’on pouvait s’isoler pour lire ou réfléchir. Il y avait également de nombreuses alcôves où l’on pouvait se retirer en toute discrétion grâce à un rideau de velours sombre.
Dans certaines d’entre elles, ouvertes, on apercevait des plateaux de jeux avec des pions aux formes étranges (Billy et le petit Mie de Pain s’y dirigèrent d’ailleurs rapidement), dans d’autres on trouvait des pierres de différentes tailles et couleurs (la Balance se trouvait déjà dans l’une d’elle mais il était difficile de comprendre ce qu’il faisait, les yeux à moitié fermés, tenant des pierres qu’il lâchait dans son autre main tout en effectuant des décomptes) et dans d’autres encore on pouvait voir des élèves en train d’écrire sur des parchemins, à la lueur de lanternes projetant des lumières sourdes.
Mais la plupart ne contenaient qu’un petit fauteuil et un encensoir. C’est d’ailleurs dans l’une de ces dernières – après la lui avoir désignée d’un doigt muet – que le Maître qui dirigeait la Salle fit s’installer le Ménestrel (certainement après avoir constaté la confusion de notre jeune ami qui ne savait sans doute pas trop quoi faire).
Mais, en réalité, ce dernier fut davantage troublé par le visage du Maître que par tout autre chose. En effet, le responsable de la Salle avait rabattu sa capuche sur la tête et sa figure était en grande partie plongée dans l’obscurité. Le Ménestrel n’en distingua que ses yeux : deux billes jaunâtres fendues d’une barre noire comme si cette dernière avait déchiré ses iris dans le sens de la hauteur.
Le Ménestrel s’installa dans l’unique siège de l’alcôve, relativement confortable, et attendit. Bientôt, bercé par l’ambiance, étourdi par l’encens et fatigué par toutes les informations accumulées cette journée, il ferma les yeux.
Lorsqu’il les rouvrit, il lui sembla avoir fait un rêve curieux dans lequel il se serait relevé et serait sorti de son alcôve, pour aller écouter les conversations de tous ses camarades. Mais ces derniers ne parlaient pas et le Ménestrel se désolait de leur mutisme.
Une fois totalement éveillé de sa méditation involontaire, il comprit que si l’on tenait tant au silence dans ces lieux, ce n’était pas seulement pour que les élèves puissent se concentrer mais aussi pour que ceux dont l’audition était développée ne puissent surprendre leurs paroles, mêmes chuchotées à voix très basse.
Le Maître responsable de la Salle de Silence lui fit ensuite signe de sortir de l’alcôve, la figure toujours enténébrée par les pans de sa capuche. Le Ménestrel ne put faire autrement que de croiser son regard inquiétant mais il n’osa pas le dévisager davantage et sortit rapidement.
Peu après, il retrouva Pétrin qui s’était rendu dans une salle adjacente, bien plus grande, et dans laquelle gisaient au sol des tapis épais, des barres de fer et plusieurs poids de formes diverses, semblant tous très lourds. Du plafond pendaient des sacs pesants sur lesquels des élèves tapaient avec leurs poings nus tandis que d’autres les maintenaient pour éviter qu’ils n’oscillent.
La Balance était là aussi, au seuil de cette salle, observant le tout, les yeux mi-clos.
Le chef de chambrée rassembla ensuite ses camarades qui restaient (dont Commode et Billy) et, une fois sorti de la Salle de Silence, leur demanda à tous, en ricanant à moitié, s’ils avaient envie d’une petite balade car il fallait « refaire le plein ».
Les grommellements et les récriminations qui suivirent firent comprendre au Ménestrel que personne n’en avait envie, mais que tout le monde obéirait à Pétrin quoi qu’il arrive.
Il fit comme les autres et suivit le mouvement.
4 commentaires