Fyctia
6 - 6e Lettre de l’avent
24 novembre
MA TILDE,
Plus qu’une petite semaine avant que tu ne lises ma première lettre et que ce calendrier ne commence. Cela me laisse encore sept lettres d’avance, si je continue d’écrire à mon rythme quotidien. Mais devine qui commence à tomber malade ?
Haha. Au moins, j’aurais essayé un maximum de ne pas prendre de retard (je ferais mon possible pour te fournir en petites enveloppes à décacheter au matin). Profite de ton jeudi soir et des copains au Judo, j’imagine qu’on se verra très vite dans le week-end. Je pourrais te parler de ce qui me tracasse…
J’ai revu Mayliss hier.
On s’est croisés par hasard près de la basilique Saint-Sernin – ça n’était jamais arrivé depuis que je la connais. Déjà quatre ans qu’on se côtoie et jamais on ne s’était rencontrés au détour d’un chemin. Faut dire qu’elle sait rester cloîtrée chez elle à bosser devant son bureau. Et quand elle sort, elle ne le fait que dans les quartiers éloignés du centre-ville, loin, très loin, là où je ne vais jamais, dans de terribles ! contrées accessibles uniquement en métro.
J’avais l’habitude de tendre le cou durant les premières semaines suivant notre rencontre lorsque j’apercevais une chevelure rousse, pour m’assurer que ce n’était pas elle. J’espérais constamment sa personne, secrètement à sa recherche dans mes trajets en ville. La pensée qu’elle pouvait être à quelques mètres me galvanisait. Un enfant qui voit un copain au supermarché, alors qu’il tient la main de ses parents, n’était pas plus éloigné de ma situation émotionnelle quand j’apercevais son coloris capillaire.
Chaque fois, je me faisais avoir devant le George N’ Dragon, une belle rousse de dos me laissant croire qu’il s’agissait d’elle, mais j’ai très vite compris qu’une des habituées du bar avait la même silhouette que la sienne, grande et svelte, et les cheveux teints de feu.
Tout ça m’était sorti de la tête lorsque je l’ai vue, samedi soir.
Elle arrivait de l’autre bout de la vaste place de la basilique, se dirigeant vers la fontaine d’un pas monotone, la tête perdue dans ses pensées. Elle m’a aperçu et s’est redressée, surprise, a marqué une pause gênée, puis m’a salué.
Je voyais bien qu’elle avait les traits tirés et l’air anxieuse. Elle semblait préoccupée ; une agoraphobe venant sur la place de Saint-Sernin à 23 h, un samedi, c’était pas extrêmement contradictoire vu que l’endroit est à peu près vide et calme, mais cela restait assez inhabituel dans mes clichés de personne qui fuit la ville.
Mayliss m’a très vite expliqué :
— On s’est disputés avec Tim. Je crois… en fait, je ne sais pas où ça va finir.
On s’est assis sur le banc cerclant la fontaine qui brassait des remous mollets. Côte à côte. L’eau blanchâtre prenait des couleurs violettes, bleues et roses à travers la lumière vive du projecteur dissimulé dans le bassin. Mayliss était très proche de moi. Nos épaules pouvaient presque se toucher. On ne s’était pas souvent retrouvé comme ça.
Elle tripotait ses mains pâles en les fixant, déboussolée. Comme anéantie.
— Je ne sais même pas comment on en est arrivé là. On ne parle presque plus à l’appart. Je suis inquiète. On s’est embrouillés à cause des infos, d’abord. Puis sur quelque chose à cause de ses parents, et l’ambiance… l’ambiance s’est juste peu à peu détériorée. Maintenant, quand j’essaie quelque chose, c’est comme si Tim refusait de communiquer. C’est débile cette histoire…
Elle a passé sa main dans la masse volumineuse de sa chevelure et m’a regardé apeurée. Les lumières des projecteurs au pied de la basilique créaient un halo doré dans ses yeux humides, ses lèvres entrouvertes d’incompréhensions semblaient perdues dans leur recherche de mots à constituer.
— … je ne sais plus quoi faire Raph… je… je suis épuisée.
Mayliss a posé délicatement sa main sur mon épaule puis y a lové sa tête, contre mon manteau, et m’a entouré le bras. Elle est restée ainsi, appuyée, une longue minute sans rien dire. Je ne trouvais pas les mots pour la rassurer. La prenant par l’épaule, j’ai tenté de la réconforter. Mais j’avais cette pensée qui revenait sans cesse dans ma tête, me rappelant que ce moment – cette occasion – j’en avais rêvé. C’était horrible à imaginer à présent, et je m’en rendais bien compte. Mais j’avais souhaité son… non, pas son malheur… mais qu’elle soit, d’une manière ou d’une autre, disponible… accessible. Tu comprends. Tu le sais. Tu l’as toujours su, toi. À quel point j’en ai souffert…
Maintenant que l’opportunité semblait se présenter, je me suis senti terriblement mal pour elle. Et surtout idiot. Complètement con. Je regrettais soudain toutes ces espérances qui m’avaient rongé, que j’avais souhaitées vraies, alors que je n’étais en rien dans la cause de son état.
Tilde… je crois que je ne ressens plus rien pour elle.
(... à suivre)
1 commentaire
NohGoa
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Il y a 11 jours