Fyctia

- Aaron tu le savais.

- Bien sûr Mère, mais je pensais avoir plus de temps.

- Attends.

- Non arrête ! Laisse moi.

Je me retourne pour comprendre d’où viennent ces paroles. À gauche, à droite, derrière moi ? À part le vent, il n’y a pas un mouvement qui vient perturber cet environnement calme. Pourtant, le volume indique que les interlocuteurs sont proches de m…

Ils n'auraient jamais dû me cacher ça. Je ne suis pas aussi jeune que mes frères. Merde, je suis le fils aîné du président, c’est moi le plus impacté par cette situation !

Le fils du président ? Oh mon dieu. Il n’y a personne dans ce champ. La seule raison valable à ce que je l’entende c’est que je suis. Non, non, non, s’il vous plaît, dites moi que je deviens folle. Je préfère être folle. Je me lève, commence à m'agiter et me déplacer dans tous les sens. Le choc me fait faire n’importe quoi.

Une voix de femme dans ma tête ? C’est bien le moment que ça arrive. Qui es-tu ?

En quelques mots prononcés, il m’a fait passer du choc à l’agacement. J’interromps mes déplacements et croise mes bras contre ma poitrine. Pour qui se prend-t-il ? Ça va tu dis si je te dérange.

N’oublie pas que j’entends ce que tu dis !

Je ne suis pas en train de parler ! Il est bien là tout le problème.

Ce que tu penses si tu préfères. De tout façon, on est lié par l’esprit jusqu’à la fin de notre vie. Tu vas finir par t’y habituer.

Je ne vois pas son visage, mais le ton de sa voix m’indique qu’il arbore un sourire arrogant. Non, Aaron, je ne crois pas que je vais, un jour, m’habituer à cette bizarrerie.

Je ne peux plus rester là sans rien faire, alors je cours à travers le champ pour rejoindre la route. Dans la précipitation, je tombe à la renverse sur le sol caillouteux. Un paysan qui passait par là se précipite vers moi pour me demander si tout va bien. Je dépoussière mes mains sur ma jupe et lui réponds d’un mouvement de tête. J’oublie toujours le nom de cet homme. Ça commence par un M ? ou alors un N ? Arf, je ne sais plus.

Est-ce habituel pour toi de décrire absolument tous tes faits et gestes ?

Oui, mais on est lié jusqu’à la fin de notre vie alors tu vas finir par t’y habituer.

Ah, ah. Bref, je dois annoncer la bonne nouvelle à mes parents.

Attends, quoi ? déjà ?

Cela fait un moment qu’on attend que je sois lié par la magie. Je dois le leur dire.

On pourrait attendre un peu. Tu ne voudrais pas me connaître avant de, je ne sais pas, rendre ça public.

Ça ne peut pas attendre. La mariage et la cérémonie des vœux doivent être préparés au plus vite.

La cérémonie des vœux ? Tu dois devenir président dès maintenant ?

Oui, on attendait uniquement que je sois lié. Ça ne m’enchante pas plus que toi, mais j’ai été élevé pour ça.

Et moi dans tout ça ? Je suis catapultée dans ce monde là du jour au lendemain. J’ai besoin de temps pour digérer toutes ces informations.

On n’en a très peu.

Alors laisse moi au moins un jour. Demain soir, je te révélerai qui je suis et tu pourras me présenter à tes parents.

Tu sais notre communauté est encore petite; une discussion avec la bonne personne et je pourrai savoir qui tu es. Je sais déjà que tu n’es pas la fille d’un des hauts fonctionnaires sinon j’aurais reconnu ta voix. Et vu là où tu te trouves, tu fais partie des petites mains.

S’il te plaît, on est destiné à se marier alors on va devoir faire des compromis. Laisse moi une dernière journée de liberté, ne cherche pas à savoir qui je suis et demain je viendrai à toi pour annoncer la nouvelle à tes parents.

D’accord, mais ne dit rien à personne sur la cérémonie des vœux. La population ne doit pas apprendre que je vais bientôt succéder à mon père.

Je ne dirai rien, promis.

Il faut que je calme mes émotions. Inspirer. Expirer. Inspirer. Expirer. C’est fou comme cet exercice ne m’a jamais calmé les nerfs. Essayons autre chose. La chaleur du soleil qui tape ma peau. L’odeur de l’humidité. Les brins d’herbe qui me chatouillent les pieds. La goutte d’eau unique qui tombe sur mon bras et dévale ma peau jusqu’à se retrouver par terre.

Tu m’entends ? Tu es un abruti fini ? Le lien s’est coupé. C’est bien comme je l’ai toujours entendu; les émotions fortes permettent de rétablir le lien qui normalement se dissipe avec la distance. Cela permet aux âmes liées de pouvoir s'entraider même quand ils sont éloignés.

Je n’arrive pas encore à réaliser ce qu’il vient de se passer. Je vais devoir me faire une raison; nos pensées ont été liées cet homme est donc né pour moi et je suis née pour lui.

Je me retrouve au bord du jardin de la maison de mes parents. J’entends les échos de la discussion entre ma mère et ma petite sœur. Je décide de me poser sur la balançoire installée au fond du jardin. Je ne suis pas encore prête à affronter la réalité.

Quand nous étions enfants, avec mes amies, nous avons passé de nombreuses après-midi à nous demander qui la magie choisirait pour nous. Nous analysions les garçons et cherchions des indices dans leurs caractères ou leurs physiques. J’adorais ce jeu et je me réjouissais de rencontrer mon promis. Jamais, je n’aurais pensé que ce serait lui, Aaron, le fils du président. Lui qui a la réputation d’être prétentieux, capricieux et autoritaire. On dit qu’il va gouverner d’une main ferme mais juste. Dans une communauté comme la nôtre, qui n’est pas encore très peuplée, les rumeurs et les réputations se font très vite. Tout le monde apprend très jeune à ne pas faire de vague. A ce propos, je vais devoir faire particulièrement attention à la manière dont je vais me présenter au président et à sa femme.

Mais avant de m’inquiéter de ça, je dois l’annoncer à ma famille. Ma dernière journée de liberté ne va pas être des plus reposantes.

Pourquoi a-t-il fallu que ça arrive seulement un jour après l’anniversaire de mes 17 ans ?