Marie Andree Explosion et Sentiments 1. Faits fondateurs (1/3)

1. Faits fondateurs (1/3)

Viviane - Mardi 13 décembre


Le soleil disparaît peu à peu derrière les montagnes et jette des reflets orangés sur la mer. Depuis la vitre du train, j’admire le Fort Carré, dont la présence immuable se profile au bout de la ligne droite.


Je soupire et tente d’étirer mes jambes dans l’espace étroit entre les fauteuils : mon après-midi shopping dans le centre commercial de la ville voisine m’a épuisée. Je suis plutôt fière de moi, j’ai réussi à profiter d’une journée de repos pour effectuer mes courses de Noël. Malgré mon état d’esprit actuel, j’ai trouvé un cadeau pour chacun de mes proches – ma mère, mon frère, son compagnon et ma meilleure amie.


Je me suis aussi offert un lait-au-café dans la-chaîne-dont-on-ne-prononce-pas-le-nom et j’ai dégusté ce breuvage acquis à prix d’or face à la mer. Cette journée me permet de décrocher, pour un temps, de mes problèmes familiaux et de mon boulot de journaliste à Nice-Matin, le quotidien du Sud-Est de la France.


Sur mon trajet à pied depuis la gare, j’accorde peu d’attention aux deux camions de pompiers qui filent dans les rues, sirènes hurlantes. Alors que je me hâte de rentrer chez moi, j’aperçois depuis la place principale un boulevard barré plus bas. Une vague odeur de fumée me parvient et je m’inquiète : y a-t-il eu un feu dans un immeuble ? Mon instinct de journaliste aimerait dévier mes pas, toutefois je poursuis mon chemin vers mon appartement. Une pointe d’angoisse grandit dans ma poitrine et me conforte dans mon choix : je préfère rester dans ma fragile bulle de tranquillité.


Après avoir rangé mes emplettes, je m’apprête à m’installer sur mon canapé avec mon gros chat orange et une série Netflix quand mon téléphone sonne. Je m’en saisis et grommelle devant l’appelant : mon patron, Yves.


Voilà ma sérénité qui s’envole en fumée.


— Viviane ? Y a un immeuble qui a explosé juste à côté de chez toi.


J’ai compris depuis longtemps que « Bonjour » ne fait pas partie du vocabulaire, pourtant assez vaste, d’Yves. Or, là, il remporte la palme de la meilleure phrase d’accroche pour une conversation. Je réplique, le cœur battant :


— Explosé ? Comment ça ? J’ai remarqué de l’agitation sur Albert Premier, je pensais que c’était un simple incendie.

— Ce serait bien une déflagration. On ne parle que de ça sur les réseaux sociaux. Va voir tout de suite. S’il te plaît.


Il prononce la formule de politesse comme si des pustules purulentes éclataient au même instant dans sa bouche.


— Je ne m’occupe pas des faits divers, d’habitude, indiqué-je sur un ton prudent.

— C’est en bas de chez toi, rétorque-t-il après un long soupir. Ah, la jeunesse, de nos jours.


Son accent chantant du Sud ne parvient pas à masquer son dédain.


Oui, ma sérénité vient de s’envoler en fumée. Je n’ai pas envie de me rendre sur les lieux et d’approcher la mort, encore. Je crains de découvrir des blessés, des gens qui pleurent, qui s’inquiètent. Est-ce un accident ou un acte criminel ? La thèse de l’attaque terroriste sur un immeuble résidentiel à Antibes semble peu plausible. La journaliste en moi prend le dessus et chasse l’angoisse.


— OK, Yves, c’est si gentiment demandé. J’y vais, pas de souci. Je te tiens au courant.


Il ne relève même pas mon insolence et me remercie avec ce qui ressemble à de la sincérité.

Il y a six mois, avant le drame qui m’a touchée, je ne me serais jamais permis ce genre de réflexion… Yves n’a pourtant pas pour habitude de tolérer ce type de comportement. Le fait qu’il ait changé d’attitude avec moi, comme tout le monde, m’a déçue, au début. Je ne veux pas qu’on me passe tout par pitié. Je le pensais au-dessus de ça, je l’avais de toute évidence surestimé.


Mon chat Naruto se frotte contre mes jambes et me force à revenir au moment présent. J’arrête de ressasser et de triturer l’un de mes piercings à l’oreille, enfile mes baskets, puis fourre mon téléphone et mes clés dans les poches de ma veste en laine noire.


Trois minutes plus tard, je me tiens sur le trottoir, bouche bée face à l’image surréaliste que forme cet immeuble cossu du boulevard Albert Premier, à deux rues de chez moi. De ma jeune carrière, je n’ai jamais vu ça.


Une partie du toit a été soufflée, un filet de fumée s’élève au-dessus du bâtiment, des fissures lézardent les murs, des vitres sont cassées, des débris jonchent le sol, une voiture garée devant l’édifice est détruite.


L’odeur du feu, pourtant éteint depuis un moment, d’après l’un des pompiers que j’ai interrogés, m’entoure. De nombreux badauds se pressent derrière le périmètre de sécurité. Une journaliste de France 3 relate la situation devant une caméra. Elle m’explique ensuite que seul un appartement au dernier étage a explosé et que son propriétaire serait mort. Une enquête va débuter pour confirmer ou infirmer la nature accidentelle de la déflagration.


J’essaie de réfréner l’émotion sur le point de m’envahir à la pensée des proches de la victime afin de poser des questions aux personnes regroupées sur le trottoir. Certaines, très choquées, se trouvaient dans l’immeuble ou dans l’un des bâtiments adjacents au moment de l’explosion. Leurs mains s’agitent et leur respiration est saccadée.


« Bruit effroyable », « comme un claquement », « murs et sol qui tremblent », « forte fumée ».


Tandis que je finis de noter ces ressentis dans un fichier sur mon téléphone, l’un des photographes du journal arrive, me salue et s’éloigne pour pouvoir prendre en photo l’édifice tout entier. Il se hâte ensuite d’immortaliser les débris par terre, la façade et les badauds avant que le jour ne meure. Il repart vite pour envoyer les clichés. De mon côté, je discute avec une personne de la mairie d’Antibes et rentre chez moi.


Armée d’un dernier café et épaulée par mon chat, je tente de repousser mon émotion et de rédiger mon article. Une première version est immédiatement publiée en ligne. Ce fait divers fera la une le lendemain, alors je reste disponible en visioconférence jusqu’à 23 heures pour les corrections finales et la visualisation de la page avant l’impression par l’équipe de nuit.


Célibataire, je vis seule et ne gâche donc pas une potentielle soirée en amoureux. Bosser aussi tard ne me dérange pas. L’urgence dans laquelle mon travail doit parfois être accompli me permet de ne pas penser au reste.


Car les angoisses ressortent toujours à la nuit tombée. La mort de cet homme et les images de cette explosion n’aideront pas à les apaiser aujourd’hui.


J’aime manipuler les mots et inventer des histoires. Outre mon job de journaliste à Nice-Matin, où je m’occupe plutôt des pages mode et commerces locaux, j’écris des romans et espère être publiée un jour. Quand j’ai décroché le poste au journal, il y a deux ans, après une année de piges à la fin de mes études, j’étais heureuse et fière de moi. Je sais que beaucoup aimeraient se trouver à ma place, j’ai toutefois vite déchanté.


Ces derniers mois, de toute façon, je ne rêve que d’une chose très simple qui ne pourra plus jamais se produire.

Tu as aimé ce chapitre ?

141

141 commentaires

Mayana Mayana

-

Il y a un an

Je découvre ton histoire, l'intrigue donne envie et beau premier chapitre ❤️

Marie Andree

-

Il y a un an

Coucou ! Ca me fait plaisir, j'espère que la suite te plaira également. ❤️

ZELI

-

Il y a un an

Hello Marie ! Je suis ravie d'avoir retrouvé cette histoire que je n'avais pas pu terminé, qui prend une nouvelle tournure. 🌸

Marie Andree

-

Il y a un an

Coucou Zeli ! Je suis contente de te revoir par ici ! Tu verras, l'histoire a bien changé. ;-)

Guyanelle

-

Il y a un an

Voilà un début très immersif, dynamique et intrigant. On a envie d'en savoir sur ton héroïne ET sur l'explosion.

Marie Andree

-

Il y a un an

Merci Guyanelle, j'espère que la suite te plaira.

Kate A Brennam

-

Il y a un an

Bonsoir! j'ai adorer ton premier chapitre ta façon d'écrire tes référence tes comparaison ton humour bref tout pour me plaire et me donner envie de continuer je te dis donc a très vite je me ton histoire dans ma PAL et viens lire la suite très bientôt!!!!

Marie Andree

-

Il y a un an

Merci beaucoup ! J'espère que la suite te plaira !

WildFlower

-

Il y a un an

Tu plantes bien le décor avec ce premier chapitre qui nous permet à la fois de découvrir Viviane et l'événement qui démarre l'histoire ^^ J'adore le nom de ton chat au passage 😜

Marie Andree

-

Il y a un an

Coucou toi ! Je suis contente de te retrouver sur ma nouvelle histoire. 😉
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.