MesMotsDazur Leur monde à part Chapitre II (1/3)

Chapitre II (1/3)

«Elle m’a abordé. Elle souriait.

Elle a stoppé le flot de mes pensées.

C’était une journée mosaïque.

Elle avait repeint mon monde de couleurs uniques.»

Gabriel, page 1 de leur carnet

Il avait répondu. C’était fou, cette conversation. Elle avait posé sa question et il lui avait répondu, avec le plus grand des naturels. Alors qu’il ne la connaissait pas, qu’elle ne le connaissait pas. Elle se rappelait juste lui avoir déjà souri, par politesse quand elle avait l’impression que ça allait. Un simple besoin humain d’offrir un sourire agréable aux passants, étrangement, elle préférait leur adresser à eux qu’à ses propres amis. Elle préférait les inconnus, au moins, ils ne se souciaient pas trop de diriger sa vie, ses volontés. Ils la jugeaient aussi, certes, mais dans leur tête. Puis, elle n’était pas obligée de leur parler. Elle pouvait s’interroger sur eux sans rien dire.

Et elle s’était plusieurs fois interrogée sur l’inconnu. Quand sa tête se sentait vraiment libre de vagabonder et qu’il n’était pas là pour l’en empêcher, sans phrases pénibles pour la hanter. Plus de gris pour elle, juste des couleurs. Son visage devenait mosaïque de nuances, il n’était plus dissimulé par ses cheveux. Tout allait bien et elle pouvait repeindre le monde, des nuances qui lui allaient. Dans ces instants, elle voulait échanger avec lui, partager. Le rendre connu même si elle était très vite effrayée par l’idée qu’on ne jugeât encore sa manière de vivre ou de penser.

Mais quelque chose l’attirait chez lui, elle avait été incapable d’affronter son visage, aucune idée d’à quoi il ressemblait. Mais sa posture avait quelque chose d’attrayant. Elle n’arrivait pas à l’expliquer. Elle s’attardait juste sur lui, quelques millièmes de secondes, elle souhaitait tellement lui parler. Elle n’osait pourtant pas. C’était comme un pressentiment. Un vœu. Tellement fort qu’elle avait cédé, en espérant que l’effet boule de neige tarderait à venir et qu’il ne serait pas suffisamment violent pour la dévaster.

Sa question avait été le fruit d’une impossibilité à trouver plus intelligente à formuler. Son père lui avait déjà dit de réfléchir plusieurs fois et qu’il valait mieux ne pas parler pour ne rien dire. Finalement, pour discuter avec Gabriel, Cheryel parla pour ne rien dire. Une question stupide qu’il n’avait pas choisi d’ignorer.

Il avait répondu alors qu’elle n’avait même pas haussé la voix. Elle avait parlé doucement, la tête levée vers le ciel une fois ses lacets refaits, ses mèches couleur orage rejetées en arrière. Elle ne voulait pas savoir s’il l’avait dévisagée, incrédule. Elle voulait juste se concentrer sur sa voix, incapable de soutenir un regard. Un regard masculin. Elle ne savait pas pourquoi. Si elle savait, mais elle ne voulait pas se perdre là-dedans. Pas maintenant.

«Vous avez… Avez-vous réellement répondu?»

Tout pour juste entendre de nouveau sa voix. Un simple « Oui. » n’était pas suffisant. Cette réponse pouvait couper la conversation ou la poursuivre. Elle pouvait témoigner d’un intérêt ou d’un ennui. Difficile de placer le curseur quand on ne lisait pas le faciès préférant les pages du ciel. Heureusement qu’il répondît dans un rire, agréable.

« C’est le genre de questions qui interpelle suffisamment pour qu’on réponde, vous ne pensez pas ? Je n’allais pas ignorer ça.

─ Oui mais... Vous aviez répondu quoi ? »

Peut-être qu’elle avait rêvé ce oui et qu’il avait dit non. Et qu’elle devenait juste complètement folle. Tout était possible, vu le nombre de fois où elle se parlait toute seule alors que les rues étaient vides... Ouais, tout était possible.

« Oui, ça m’arrive des fois. J’ai pensé à sauter, c’est pour ça que je ne la regarde pas. Pour ne pas céder. J’esquive. »

Ses yeux glissèrent sur les pierres du muret à la fin de cette phrase. Lui, il esquivait, elle, elle luttait pour le contraire. Elle ne voulait pas prendre pour son grade sous prétexte qu’elle avait été trempée. Même si elle prétextait qu’elle était juste tombée, elle était certaine de se faire engueuler. Comme une enfant, alors qu’elle était en passe d’atteindre les dix-neuf ans.

« Pourtant, elle est belle.

─ Je ne sais même plus, je ne fais plus attention. Mais vous devez bien avoir raison. »

Cheryel hocha la tête ne sachant que répondre de plus. Une catastrophe, elle lançait un sujet bizarre, perturbant et maintenant elle ne disait plus rien. Un grognement agacé s’échappa de ses lèvres alors qu’un nouveau rire semblait prendre la silhouette qu’elle regardait à peine.

« Quelque chose vous dérange ? Vous n’avez pas l’air très satisfaite de ma réponse. Peut-être que j’aurais dû y mettre de la poésie. Laissez-moi réfléchir... Je ne porte plus attention au roulis de l’eau. Je ne le vois plus, l’imaginer le rend bien plus beau. »

Les quelques vers approximatifs qu’il énonça poussa la jeune femme à regarder les pieds de l’inconnu. Il avait une belle voix, quelque chose de moqueur et taquin. Dans une forme d’exagération qui se perdait dans un timbre plus grave et profond qu’il utilisait pour le début d’une poésie au très beau son. Elle aimait bien. Pourtant, elle avait la nette impression qu’il lui faisait une farce et elle se sentait foncièrement ridicule.

« Je suis désolée. J’aurais dû dire autre chose. Ce n’est pas le genre de sujet que...

─ Hey doucement ! Vous parlez tout bas et vite, je ne comprends pas. Tout va bien. Je vous écoute. Il n’y aucun souci. »

Mais... Mais...

« Mais ma réflexion était bizarre. Vous devez me prendre pour une folle. Les gens normaux demandent si les gens vont bien. Vous allez bien ? C’est horrible, je vous demande si vous voulez sauter alors que peut-être vous avez des pensées super sombres. C’était une réflexion bizarre comme tant d’autres qui traînent dans ma tête. Je suis bizarre. Merde... Vous allez bien ? »

Elle lui jeta un rapide coup d’œil à cette question avant de reprendre sa contemplation du mur. Juste quelques secondes, pourtant Gabriel se fit la réflexion qu’elle avait de sacrés beaux yeux.


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