Alsid Kaluende L'étudiant Chinois Dîner de famille (2)

Dîner de famille (2)

Alexandre fut le premier à sortir son cadeau. Il tendit à leur père un carré emballé dans du papier. C’était, de toute évidence, un grand cadre. Le père de Joe la prit avec une sorte de solennité. En l’ouvrant, ses yeux s’éclairèrent.


— C'est bien ce que je crois ? Demanda-t-il à Alexandre


— C’est un poster original des dents de la mer, signé par Richard Dreyfuss !


— Combien de fois n’a-t-on pas vu ce film ! “You’re going to need a bigger boat!” Ah ! Fiston ! Quelle bonne surprise ! Je vais le mettre dans le bureau. Ça ne t’a pas coûté trop cher, au moins ?


— Papa ! Ça ne se demande pas, enfin ! Je l’ai trouvé en ligne.


— Il l’a trouvé en ligne, dit-il à sa femme. Merci, mon fils, continua-t-il avec fierté.


Joe sentit un nœud se former dans son estomac. Il savait ce qui allait suivre. Lentement, il sortit son propre cadeau, une petite boîte carrée, en bois recouverte d’une lettre grecque. Il la tendit à son père.


— C’est une montre, dit Joe simplement.


Son père ouvrit la boîte et son regard se durcit en voyant le bijou briller.


— Une montre suisse, hein ? Il poussa un soupir et se frotta le front du bout des doigts.


— Oui ! C’est celle de James Bond dans Goldeneye. La Seamaster d'Omega spécialement faite pour le film ! Tu te souviens ? Dans le film, elle a un laser que l’agent double zéro utilise pour…


Joe n’eut pas le temps de terminer.


— Dis-moi, Joseph, avec quoi as-tu payé ça ?


Le ton était sévère et le silence qui suivit fut glacial. Joe sentit son visage se crisper, son estomac le ronger de l'intérieur. Le poids du regard de son père et de son frère pesait des tonnes.


— Avec… avec mon argent, balbutia-t-il, conscient de la fragilité de sa réponse.


Il repensait à la provenance de l’argent facile, à la mort de Wen et à cette montre qu’il avait achetée sur un coup de tête pour essayer de remonter dans l’estime de son père. Cette montre, que les Chinois lui avait gracieusement offerte en échange de sa mission. Cette montre qui allait peut-être lui coûter la vie. Alexandre esquissa un sourire narquois, haussa les sourcils mais resta silencieux.


— Ton argent, hein… répéta son père. Il est aussi propre que cette montre, ton argent ? Tu sais que je n’ai pas besoin de cadeaux, et surtout pas des bijoux volés. Le seul cadeau que j’attends de toi c’est ta réussite académique et que tu sois un participant actif à notre société. Je t’ai élevé pour que tu deviennes un homme décent et regarde-toi. Les marques sur ton visage, on ne dit rien mais on les voit, Joseph. Tu nous prends vraiment pour des imbéciles. Tu crois que ça m’amuse de m’inquiéter pour toi ? Ta mère n’en dort pas. Tu es complètement à côté de la plaque, comment pouvais-tu imaginer une seconde que cette montre aurait pu me faire plaisir ?


Joe aurait voulu répondre. Il aurait voulu répondre que Goldeneye avait été un des premiers souvenir qu’il avait partagé avec son père. Quand il était encore petit et qu’il ne pouvait décevoir personne. Qu’il avait simplement voulu oublier les problèmes ce soir, rien que pour une soirée, et retrouver sa famille d’avant. Celle qui allait au cinéma, celle qui n’avait d’autres préoccupations que de s’émerveiller des gadgets de l’agent 007.


Le dîner continua, mais pour Joe, il était terminé. On finit rapidement le dessert, que Joe ne toucha pas. Géraldine et lui dirent au revoir et ils sortirent par la petite porte. Dans la voiture, ses poings étaient serrés sur le volant, ses yeux fixés sur la route devant eux. Géraldine posa sa main sur la sienne, ce qui l’agaça plus qu’autre chose.


— Pourquoi doivent-ils me traiter comme ça ? A chaque fois ? On ne peut pas passer un bon moment ensemble. Jamais.


— Je pense au contraire qu’ils t’aiment et qu’ils sont inquiets. On est tous inquiets, tu sais. Il faut dire que ta tronche cassée n’arrange pas les choses.


— Personne ne me fait confiance mais j’ai changé. Tu verras.


Il y eut un long silence.


— Tu sais, c’est la beauté d’être ensemble. On créera notre famille à nous avec nos règles et nos manières d’aimer. Qu’est-ce que t’en penses ?


Joe ne répondit pas, perdu dans sa rancœur. Les larmes qu’il retenait depuis le dîner finirent par couler le long de ses joues. Il les frotta du revers de la main. Géraldine le regarda, inquiète, mais ne dit rien. Elle comprit qu’à ce moment précis, il n’y avait rien à dire.

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5 commentaires

Hooper (Seb Verdier)

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Il y a 16 jours

Petits likes pour cette dernière ligne droite avant la fin du concours ;)

LUCAS

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Il y a 16 jours

😍

NohGoa

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Il y a 16 jours

Like de fin de concours ;-D
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