Alsid Kaluende L'étudiant Chinois Dîner de famille (1)

Dîner de famille (1)

Joe était en retard, comme d’habitude, quand il arriva chez Géraldine pour la récupérer. La porte de l’appartement était entrebâillée, et il entendait déjà des bruits familiers de l'intérieur. Il frappa doucement, n’osant pas entrer sans y être invité.


— Joe ? Entre, c’est ouvert ! La voix de Géraldine résonna du fond du couloir. Cette voix, mi-énervée, mi-gênée, que Joe avait entendu si souvent par le passé.


Joe poussa la porte et il ne put s’empêcher de froncer les sourcils. Dans le salon, la mère de Géraldine était affalée sur le canapé, un verre à moitié vide dans la main.


— Viens m’aider à la lever, s’il te plaît. Géraldine était agenouillée à côté de sa mère, essayant de la convaincre de se redresser.


Joe s’approcha et passa son bras sous le coude de sa future belle-mère pour soutenir son aisselle. Ils parvinrent ensemble à la hisser debout, non sans difficulté. La mère de Géraldine se laissa faire, marmonnant des excuses à peine compréhensibles. Géraldine l’installa dans son lit, avant de revenir vers Joe. La honte se lisait sur son visage et Joe fit une petite moue compatissante.


— Allez, On y va, dit-elle, tentant un sourire crispé. Joe hocha la tête sans un mot. Il avait du mal à exprimer ses propres émotions. Il lui était donc difficile de partager celles des autres. Non pas qu’il ne ressentait rien, loin de là, il bataillait simplement pour exprimer son empathie.


Le trajet jusqu’à la maison des parents de Joe se fit en silence. Géraldine jeta de temps en temps des regards inquiets vers Joe, mais il fixait la route, mâchoires serrées, concentré sur ce qui l’attendait.

Après quelques minutes, Joe tenta de détendre l’atmosphère :

— Je sais que votre relation est compliquée, mais vous êtes super proches. En plus, vous pouvez boire des coups ensemble. Tu peux l’emmener en Festival cet été !


—Tu parles ! A cinq euros la bière, c’est un budget ! Géraldine rit de bon cœur. Ça ne s’améliore pas avec le temps, tu sais. Elle refuse de voir le psy. Je ne sais pas trop ce qu’elle va devenir quand on emménagera ensemble. Je vais peut-être devoir l’amener de force en cure. Je ne peux pas m’y résoudre, ça me fait trop de peine.


— Je te comprends, elle est tellement gentille. C’est dur de la voir dépérir comme ça. Tu sais que tu peux compter sur moi si tu as besoin d’aide.


— Merci, dit-elle.


— Tu crois que je peux mettre mon père de force en cure ? En cure d’intoxication pour lui enlever le balai qu’il a dans le cul ? blagua Joe. Elle rit et lui caressa les cheveux. Joe n'était pas un modèle de maturité mais il avait toujours été là et il savait trouver les mots pour la réconforter.


— Allez ! Je suis sûr que ça va bien se passer, détends-toi. Elle tentait tant bien que mal de le rassurer.


En arrivant, ils furent accueillis par une maison parfaitement entretenue comme d’habitude. Depuis le couloir, on entendait, dans le salon, les rires de son grand frère, Alexandre. La nervosité augmenta d’un cran.


— Ah ! Le petit frère est là ! s’exclama Alexandre en le voyant entrer. Il se leva pour le saluer, une étreinte rapide, sans trop se regarder. Géraldine s’efforça de sourire et serra la main de son futur beau-frère et de sa femme, Agnès, et des parents de Joe.


Après les petits fours et le champagne, on passa à table. Le cliquetis des couverts sur la porcelaine remplissait le silence, entrecoupé par les lieux communs d’usage. Le sport, la météo, les vacances, tout y passait – beaucoup trop vite au goût de Joe. Il sentait le sermon venir mais, même après toutes ces années, il ne savait toujours pas prévoir son arrivée. Cet inconfort ramena Joe à ce rêve récurrent. Il se retrouvait dans une réunion familiale tout à fait banale, un mariage ou un anniversaire, tout le monde était bienveillant et heureux. Et puis, sans prévenir, la chair de son visage commençait à pourrir. Au début, personne ne réagissait mais, tôt ou tard, quelqu’un remarquait l’odeur infecte et la laideur de son visage. Les regards se tournaient vers lui, le pointant du doigt. Les visages se déformaient en masques horribles et la scène se terminait toujours de la même façon : il prenait la fuite et, essayant tant bien que mal de recoller les lambeaux qui tombaient de ses os. Joe secoua la tête, revenant à la réalité, et regarda Géraldine, assise à côté de lui, qui essayait tant bien que mal de participer aux discussions.


Les convives terminèrent la pintade aux morilles, qui s’était révélée délicieuse. Un classique de la mère de Joe, qui la préparait pour les grandes occasions. Elle servit ensuite la tarte tatin. Elle l’amena après avoir éteint les lumières, signalant à l’assemblée qu’il fallait chanter la chanson en chœur. Le père souffla les bougies, satisfait de lui et de sa charmante petite famille rassemblée pour le fêter.


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3 commentaires

Patrick de Tomas

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Il y a 4 jours

Joe navigue entre situations explosives et beaucoup plus calmes et traditionnelles, comme cette réunion de famille. Les espions ont bien le droit à leur quart d'heure de vie banale, ça repose ! 😉

LUCAS

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Il y a 17 jours

😍

NohGoa

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Il y a 18 jours

Like express, pas le temps de commenter, désolée
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