Fyctia
Tête-à-tête
Abdel l'attendait et le fit entrer. Joe fut surpris de ne voir personne lors de la réunion. Abdel avait préparé du thé à la menthe. Ils s’assirent tous les deux et Abdel lança la conversation.
— Je suis content que tu sois venu à notre conférence, dit Abdel.
— Oui, moi aussi. Je voulais te dire que je suis le coloc de Wen. Lorsqu’il est mort, j’ai un peu regardé dans ses affaires. J’ai trouvé le flyer de la conférence et c’est ça qui m’a poussé à venir, confia Joe.
— Wen ! C’était un gars formidable, je comprends mieux pourquoi tu es venu. Un gars passionné. Il faut croire qu’il avait ses propres démons. Dommage qu’il soit parti comme ça. Il t’a parlé de son histoire avec la Chine ? Pourquoi cette cause était si importante pour lui ? demanda Abdel
— Non pas vraiment, il était très discret avec tout le monde. Je ne l’ai malheureusement pas vraiment connu.
— Il avait des origines ouïghoures, par sa mère. Son père était chinois Han. Il est mort quand il était tout petit. Il a vécu avec sa mère pendant un temps, avant de partir étudier à Shanghai. Son nom Han, Li, a masqué ses origines musulmanes ce qui le protégeait de la persécution. Puis, un jour, sans prévenir, ils sont venus chercher sa mère, il n’a plus jamais entendu parler d’elle. C'était il y a cinq ans. Alors, il a décidé de s’expatrier, de partir loin de l'oppression. Puis, son passé l’a rattrapé et il a décidé de rejoindre notre organisation. Il voulait retrouver sa mère.
— Wow ! Je ne savais pas. On peut vivre à côté de gens et ne jamais les connaître vraiment.
Joe mentait, il n’avait pas fait le moindre effort pour connaître Wen. Cette histoire de mère enlevée était bien évidemment fausse. Wen n’avait jamais eu le moindre sang ouïghour, c’était le mensonge qu’il avait servi à l’association pour s’y infiltrer. Ce qu’on appelle dans les films d’espions sa “légende”. Joe avait demandé qu’on lui en crée une aussi. Les Chinois avaient refusé, ils l’estimaient bien trop foireux pour mémoriser un passé qui n’était pas le sien sans se tromper.
Abdel embraya :
— Tu crois en Dieu, Joe ?
— Je dois dire que je ne me suis pas beaucoup posé la question. J’ai fait quelques cours de religion à l’école mais tout ça c’est très abstrait pour moi. Quand on voit toute la misère sur terre c’est difficile de croire qu’un dieu laisse faire tout ça. Et puis, c’est impossible à prouver. J’aime penser que je suis rationnel, il me faut des faits pour croire. Par contre, je crois à la liberté de culte et que personne ne devrait être emprisonné ou perdre ses droits à cause de ses croyances religieuses.
— C’est un bon début, sourit Abdel. Tu sais, dans notre religion, la vie sur Terre est une épreuve qui teste la foi, la patience et la charité. Les humains ont le libre arbitre, et beaucoup d'injustices sont dues à leurs choix. Les croyants doivent travailler pour le bien-être de tous en pratiquant l'aumône et en soulageant les souffrances. La sagesse divine dépasse la compréhension humaine et les épreuves peuvent être des occasions de croissance spirituelle.
— Mais quel est le but de Dieu alors ? Si nous avons le libre arbitre et qu’il n’intervient pas, autant dire qu’il n’existe pas ? Je ne comprends pas son utilité.
— Dieu guide les humains à travers les prophètes et les écritures sacrées pour qu'ils mènent une vie éthique et spirituelle, ce qui leur permet d'accomplir leur rôle en tant que gardiens du bien.
— Je vois… il s’agit plutôt d’un guide qu’une entité toute puissante.
— Disons qu’il est quand même un peu des deux, répondit Abdel.
— Pourquoi les musulmans du monde sont aussi mal traités ? Palestiniens, Ouïghours ? Les guerres en Afghanistan, Irak, Syrie ? Demanda Joe, conscient qu’il dirigeait la conversation. Il se sentait balourd et espérait de tout son cœur qu’Abdel ne se doute de rien. Mais Abdel semblait ravi de pouvoir continuer son exposé.
— Depuis toujours, on a voulu nous opprimer, nous imposer une culture et des valeurs dont nous ne voulons pas. Depuis la colonisation nous sommes des citoyens de seconde zone, tu sais comme il est difficile de louer un appartement ou trouver un job quand on est musulman en Belgique ? On nous met dans des ghettos, même en France dans le pays de la soi-disant liberté et de la fraternité. Tu sais combien de drones américains bombardent les populations civiles quotidiennement au Pakistan ? On essaye de nous déshumaniser et de nous mettre en prison à travers le monde. Nous qui n’aspirons qu’au droit à exercer notre religion en paix.
— J’admets que cette injustice est difficile à avaler. Mais pourquoi tant de peuples du Moyen-Orient choisissent la violence ? Tuer des innocents n’est jamais la solution. Joe se sentait plus à l’aise dans l'exercice du débat.
— Tu es un peu naïf Joe. Cette paix a un prix. Certains de nos frères doivent prendre les armes et c’est bien malheureux. Mais toi et moi ne vivons pas l'oppression. Nous, nous connaissons la liberté et la sécurité quotidienne. Comment se mettre dans la peau d’hommes et de femmes qui n’ont connu que la violence ? Et puis, ta vision de notre lutte est une vision colonialiste, qui doit être déconstruite. Quand les Ukrainiens prennent les armes contre les Russes, le monde entier applaudit. Quand les musulmans de Syrie se rebellent, on les traite de coupeurs de tête. Le partisan est blanc, le terroriste arabe. Tu vois Joe ?
— Je n’y avais jamais pensé sous cet angle, répondit Joe pensif.
— C'est pour ça que je fais partie des Musulmans Universels. On rassemble de l’argent, on essaye d’aider nos communautés à travers le monde comme on peut. Je te rassure on n’a rien à voir avec les barbus possédés qu’on te montre à la télé.
— J’aimerais beaucoup aider moi aussi.
— Joins-toi à nous, on fait une soupe populaire les vendredis à la Gare du Nord, à Bruxelles, près du parc Maximilien.
— Excellent, je viendrai.
— Commençons par-là. Si tu t’impliques, on aura plus de travail pour toi.
Joe avait quitté la salle, un peu secoué. Ce n’est pas tous les jours qu’on boit le thé avec le patron d’une organisation terroriste. Cette conversation ne l'avait évidemment pas convaincu de l’existence de Dieu, encore moins d’un dieu musulman. Il était cependant difficile de ne pas adhérer aux causes ouïghoure et palestinienne. Comment laisser des millions de gens pourrir en prison ou dans des camps, au su et au vu de tous, sans rien faire ? Joe savait qu’Abdel était un terroriste, qu’il ne tuait peut-être pas les infidèles de ses propres mains mais que c’était un complice. Et il lui avait fallu tout juste quelques minutes de conversation pour justifier la mort d’innocents. Pour bien lui rappeler qui était ceux qu’il infiltrait et les risques qu’il encourait, madame Lune lui avait montré des vidéos de meurtres cruels, les exécutions publiques des apostats, le démembrement des homosexuels et les visages vitriolés des femmes adultères. Malgré ce que pouvait sous-entendre Abdel, il ne faisait définitivement pas bon vivre sous la loi divine d’Allah.
8 commentaires
Patrick de Tomas
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Il y a 5 jours
LUCAS
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Il y a 16 jours
petites.plumes
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Il y a 18 jours
Alsid Kaluende
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Il y a 16 jours
NohGoa
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Il y a 20 jours
loup pourpre
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Il y a 20 jours
Alsid Kaluende
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Il y a 20 jours
loup pourpre
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Il y a 20 jours