Fyctia
Intrusion (2)
Joe descendait lentement la rue commerçante, perché sur un segway municipal. Sa veste fluo de la police locale lui battait les hanches. Il avait des gants noirs, un casque ridicule vissé sur la tête. Rue Charlemagne, des ados ricanèrent à son passage. Une cacahuète ricocha sur sa poitrine. Il fixa droit devant lui, il fit semblant de ne pas la voir. Présence dissuasive. Police de proximité. Sécurité visible, reconnecter les jeunes à l’autorité”.. Il récitait intérieurement les valeurs de son manuel. Encore trois heures avant le sandwich triangle et la tasse de jus de chaussette.
— Au voleur !
Un ado sortit d’une boutique, un jeu vidéo sous le bras. Joe hésita. Tout ça pour moins de cent balles. Je vais pas non plus me flinguer un genou. Il prit mollement la direction du parking souterrain dans lequel l’ado s’était engouffré. Il sauta de son engin avec la grâce d’un fonctionnaire vieillissant et descendit l’escalier deux marches par deux. Il ouvrit la porte du parking et se retrouva nez-a-nez avec le canon d’un pistolet. Face à lui, le gosse, figé, l’œil injecté de sang. Pupilles dilatées. Un tremblement incontrôlable. Il avait l’air plus surpris que menaçant. Juste un gamin paumé avec une arme trop lourde pour lui.
Leurs regards se croisèrent une demi-seconde. Puis la détonation éclata.
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— Monsieur Van Lier ? La voix venait de le ramener à l'accueil du commissariat. Une jeune agente blonde se tenait devant lui, moulée dans son uniforme réglementaire. Sourire professionnel. Joli cul.
— L’inspecteur Goossens va vous recevoir.
Il leva les yeux. Juste en face de lui, une affiche de recrutement.
Un type ridicule sur un segway, le sourire idiot bardé d’un slogan gnan gnan “Rejoignez la police locale. Mettez l’uniforme. Soyez fiers. #RendezVousUtile”
Joe la dévisagea quelques secondes et secoua la tête.
Non merci, pensa-t-il.
Il se leva sans un mot et suivit l’agente à travers le sas et s’enfonça dans les entrailles du poste. Goossens l’attendait, comme toujours, le front gras éclairé par la lumière de son écran.
— Alors, vous ici ? Encore ? On avait dit qu’on ne se reverrait plus! dit Goossens. Que puis-je faire pour vous?
— J’ai été cambriolé, je voudrais porter plainte. Joe raconta comment il avait trouvé l’appartment retourné et l’ordinateur manquant de Wen.
— Il ne manque rien d’autre que cet ordinateur? Vous êtes sûr?
— Pas totalement… je dois encore vérifier, répondit Joe, en se rappelant qu’il pouvait peut-être gratter quelque chose à l’assurance. Il n’y avait pas de petits gains.
— Vous savez, reprit le commissaire, il y a pas mal de cambriolages dans le coin en ce moment. C’est tout juste le retour des vacances, les résidences étaient vides pendant des semaines. Les voleurs ont dû penser que vous n’étiez pas encore revenus de vacances. Rien d’anormal à ça.
— Vous ne pensez pas qu’il y ait un lien avec la mort de Wen ? Je pense qu’ils n’ont pris que son PC portable, plaida Joe.
— Bah ils n’ont rien pris car il n’y avait rien à prendre, mon pauvre ami. Les parents ont demandé à récupérer ses affaires. Peut-être qu’ils ont envoyé quelqu’un. Vous voyez le mal partout.
— Vous n’allez donc pas enquêter ? C’est tout de même curieux, vous l’avouerez volontiers.
— Nous avons décidé de classer l'affaire. Tous les éléments à notre disposition indiquent la cause de l'accident. L'autopsie a révélé un niveau élevé d'alcoolémie. Les lésions traumatiques sur le crâne indiquent une chute. Nous avons parlé aux parents, ils nous ont parlé de dépression et de problèmes d'alcool. Ils n’étaient pas fort surpris de récupérer leur fils entre quatre planches, déclara l’inspecteur.
— Cela ne colle pas du tout avec ce que je vous ai dit lors de ma déposition ! Rétorqua Joe.
— Oui, votre déposition, je vous cite, hein : ‘je ne le connaissais pas bien”, “nous n’étions pas proches”, "il était assez discret”, vous aviez l’air de bien le connaître en effet. Vous ne saviez même pas quel programme il suivait. L’inspecteur avait touché juste. Joe s’en voulait mais il ne pouvait plus rien y faire. Il tenta une autre approche :
— Vous avez dit « parents » ? Il m’a dit qu’il n’avait jamais connu son père et que sa mère était morte il y a quelques années.
— On leur a parlé par vidéo interposée, Chun et Deng Li. Ils étaient dévastés d’apprendre la mort de leur fils. Wen vous a sûrement raconté des salades ou vous n’avez pas bien écouté, ce qui ne serait pas étonnant de votre part.
Encore une fois Joe prit la remarque en pleine face, sa notoriété le précédait.
— Je crois vraiment que tout est lié. Le cambriolage et la mort de Wen. Cela me parait évident !
— Allons, allons, c’est une simple coïncidence, faites-moi confiance. Vous savez, dans la police, si on devait enquêter sur tout et n’importe quoi, on ne pourrait pas s’occuper des cas comme vous. Peut-être qu’on vous en veut pour vos différents trafics. Peut-être qu'un ancien associé que vous auriez entourloupé, se serait servi chez vous sans demander la permission ? Vous avez une réputation, vous savez. Si je devais enquêter, c’est forcément par-là que je commencerais. C’est ça que vous voulez ?
— Mais Wen… insista Joe
— L'affaire est classée définitivement. coupa l’inspecteur.
— Je vous le répète, vous n’avez pas à vous en faire. dit-il plus calmement. C’est normal de se sentir tout chamboulé après un tel épisode. Rentrez chez vous, appelez vos parents vous vous sentirez mieux.
— C’est pas possible d’être aussi borné. Si vous ne faites rien, je chercherai à votre place. Joe dit en s’énervant.
Il se leva et quitta le poste.
— Merci d’être venu nous rendre visite, vous nous avez manqué, vous savez… (rires) On sait plaisanter dans la police. J’espère qu’on ne vous reverra pas de sitôt. Et que je ne vous prenne pas à jouer les Maigret, sinon ça ira mal pour vous, lança Goossens dans son dos.
4 commentaires
LUCAS
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Il y a 16 jours
Vince Black
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Il y a un mois
Alsid Kaluende
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Il y a un mois