Fyctia
Déposition
Quand Joe s’assit en face de l’inspecteur, il ne put s’empêcher de remarquer son attitude : le malaise belge, une sorte de bonhomie agacée. Le commissariat était un bâtiment étrange, presque chaleureux, construit en bois clair avec d’immenses baies vitrées sur la gauche laissant entrer une lumière chaude, presque douce qui contrastait brutalement avec l’atmosphère tendue du lieu.
Le commissaire Goossens n’avait pas changé. Assis derrière son bureau en pagaille, il pianotait lentement sur son clavier avec ses doigts boudinés, n’utilisant que les index. Le reste de sa main, crispée, s’agitait comme pour chercher des lettres qu’il connaissait pourtant depuis plus de vingt ans. Ses cheveux, toujours couverts de gomina, étaient plaqués en comb-over pour masquer sa calvitie évidente. Et sa grosse moustache grise pleine de miettes. Il leva les yeux et son haleine de café éructa.
— Ah, Monsieur Van Lier, toujours dans les bons coups, ricana l’inspecteur Goossens.
— Je suis content que vous soyez ravi de me revoir, spécialement dans ces circonstances, inspecteur, dit Joe, déjà énervé de voir la sale gueule de hyène du commissaire. Elle ne lui rappelait décidément pas de bons souvenirs.
— Oui, excusez-moi, bredouilla le policier. Il toussa et il reprit :
— Je tiens d’abord à vous dire que malgré nos différends, je vous présente mes sincères condoléances. Ça n'est jamais amusant de perdre quelqu'un de proche. Vous tenez le coup?
— Joe était surpris de la bienveillance du commissaire. Il acquiesça doucement, méfiant.
Nous voudrions prendre votre déposition, on a quelques questions à vous poser, comme vous pouvez l’imaginer. On va commencer par le début si vous le voulez bien.
— Monsieur Wen Li, votre colocataire, donc. nom de famille Li, prénom, Wen, né à Wenzhou le 12 avril 20XX, arrivé à Louvain-la-Neuve en septembre passé pour entamer un échange en… il feuillette quelques pages… sciences politiques. C’est bien ça ?
— Oui, je crois, enfin, si vous le dites, répondit Joe. Allez, concentre-toi, tu n’as rien à te reprocher, se dit Joe.
L’inspecteur continua, Il a été retrouvé noyé dans le lac de Louvain-la-Neuve à approximativement 7h24 ce matin. Elle a immédiatement contacté les services de police. Monsieur Li avait ses papiers sur lui, ce qui a grandement facilité notre travail d’identification et permis de vous contacter.
— Il est mort quand? Demanda Joe
— Que voulez-vous dire? L’inspecteur avait levé un oeil inquisiteur de son écran
— Eh bien on l’a retrouvé ce matin, mais à quelle heure s’est-il noyé ?
— Monsieur écoute les podcasts de Christophe Hondelatte ? On est pas à la télé, c’est moi qui pose les questions ici.
— Vous étiez proches ? Demanda Goossens, plus insistant.
— Non, pas vraiment. C’était un étudiant Erasmus, on faisait chacun notre vie de notre côté.
— Vous avez remarqué des choses suspectes à son sujet ? Il était plus triste que d'habitude ? Il buvait ? Demanda l’inspecteur de police.
— Il était assez discret, je ne le connaissais pas très bien vous savez. Son français était excellent, par contre. Je ne crois pas qu’il buvait. Il m’a parlé de ses ambitions après l’unif, pas grand-chose de plus.
— Vous l’avez vu sortir hier soir ?
— Non, je n’étais pas à mon domicile hier soir.
— Comme c’est pratique, ironisa l’inspecteur. Que pouvez-vous me dire de ses fréquentations ? Il avait des amis ? Il ramenait des filles à la maison ? Demanda Goossens.
— Je ne crois pas. Il n’était pas du genre à sortir, ni à boire comme je l’ai déjà dit. Il restait souvent dans sa chambre. Je ne le connaissais pas très bien, répéta Joe. Vous savez il n’était là que depuis Octobre et on ne se croisait pas beaucoup. On a peut-être regardé un ou deux films ensemble.
— Aucune relation amoureuse ?
— Pas que je sache. Vous savez il m’avait vraiment l’air concentré sur sa carrière et sur l’opportunité qu’il avait, ici, en Belgique.
— Vous avez l’air mal à l’aise. Vous avez envie de nous dire quelque chose ?
— Oui. Je dois dire que je suis très étonné qu’il soit sorti, tout simplement. C’était pas son genre. Et encore moins de traîner près du lac, surtout un jeudi soir. Il n’avait vraiment rien à y faire, remarqua Joe.
— Écoutez, à ce niveau de l’enquête, toutes les pistes sont ouvertes. Notre intuition, c’est qu’il était ivre, qu’il est tombé, et qu’avec le choc de froid, il s’est noyé. Vous savez, les morts dues à l’alcool ne sont pas courantes à Louvain-la-Neuve, mais celle-ci serait loin d’être la première.
— C’est un sacré détour, et surtout pas très sûr. C’est plus facile de passer par les Blancs Chevaux, dit Joe. Et il ne buvait pas, du moins pas que je sache.
— On dirait bien que vous voulez faire notre métier à notre place, coupa l’inspecteur.
— J’ai du mal à croire à l’accident. Je vous le dis de but en blanc.
— Ok, Sherlock. Où étiez-vous la nuit dernière entre minuit et trois heures du matin ?
— Je vous l’ai dit, je n’ai pas dormi à Louvain, j’étais chez ma copine. Elle pourra vous le confirmer.
— On vérifiera. Nous vous tiendrons au courant. Comme on dit chez nous : ne quittez pas le pays.
Joe sortit du commissariat et rentra chez lui à pied. L'air frais de l’hiver lui fit du bien. Il voulait passer près du lac pour voir l'endroit où l'on avait retrouvé Wen. Quelques personnes étaient là. Une gerbe et une photo avaient été placées par terre près de la fontaine. Il subsistait le cordon bleu et blanc de la police fédérale, mais les scientifiques et les flics étaient déjà partis depuis longtemps. Il était toujours épaté par la prévoyance et l’attention des gens.
Qui avait fait encadrer et imprimer une photo en seulement quelques heures pour la mettre là ? pensa Joe. C'était mon colocataire, c’est moi qui aurais dû y penser. Ça ne m'a même pas traversé l'esprit.
Pauvre Wen. Drôle d'au revoir.
19 commentaires
LUCAS
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Il y a 7 jours
NohGoa
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Il y a 16 jours