Fyctia
Chapitre 12
Le vent d’hiver souffle contre les vitres, créant un léger grincement dans le bois ancien. Je frissonne en ramenant mon châle sur mes épaules, bien que la cheminée projette une lueur réconfortante sur les murs de pierre.
Depuis mon retour à Sundarleigh, je redécouvre une sensation étrange, presque oubliée : le poids du silence. Ici, les jours semblent s’étirer, et chaque bruit – le craquement du parquet, le murmure du vent, les chuchotements d’un livre feuilleté – semble plus vibrant, plus chargé de signification.
Et pourtant, mon esprit est bruyant.
Je n’arrive pas à me détacher de l’image de Dev, de son regard lorsqu’il m’a soignée. Il y avait une douceur inattendue dans ses gestes, une attention presque déroutante, comme s’il s’en voulait pour quelque chose qu’il n’osait pas formuler. Puis, aussi vite qu’il s’était laissé aller, il s’était refermé, froid et tranchant comme une lame.
Pourquoi ?
Je soupire et secoue la tête. Inutile de chercher des réponses à une question qui ne devrait même pas m’occuper l’esprit.
Je reporte mon attention sur le journal entre mes mains, ses pages jaunies pleines d’une écriture fine et élégante. Ce témoignage, écrit il y a plus d’un siècle, raconte l’arrivée de Noël à Sundarleigh, comment les colons ont introduit leurs traditions, et comment elles se sont mêlées à celles déjà existantes. Un passage attire mon attention, décrivant une procession de lanternes, un mélange de chants en anglais et en hindi résonnant dans les rues enneigées.
Je trace du bout des doigts les mots à l’encre délavée, absorbée par l’idée d’un Noël autrefois célébré ici. Mais un coup à la porte me tire brusquement de ma lecture.
Je me lève, mon cœur battant un peu trop vite.
Quand j’ouvre, une silhouette familière se découpe dans la lumière faiblissante du jour.
— Aryan ?
Il sourit, un sourire sûr de lui, teinté d’un amusement que je reconnais trop bien.
— Je savais bien que je te trouverais ici.
Il n’a pas changé. Toujours aussi impeccable, vêtu d’un manteau d’un brun profond, les cheveux légèrement décoiffés d’une manière qui semble étudiée. Son regard vif me scrute, comme s’il devinait déjà mes pensées.
— Qu’est-ce que tu fais là ? je demande, méfiante.
— J’ai entendu parler de tes recherches. Je me suis dit que tu pourrais avoir besoin d’un regard extérieur… et d’un peu d’aide.
Je le fixe un instant, cherchant à comprendre ce qu’il attend de moi. Aryan n’a jamais rien fait sans raison. Il sait toujours exactement où se placer pour tirer avantage d’une situation.
— Tu veux m’aider ? je répète, sceptique.
Il esquisse un sourire.
— Tu crois toujours que je ne fais jamais rien sans raison ? Il hausse un sourcil. Je suis juste curieux. Tu es revenue après tant d’années et tu t’acharnes sur cette histoire. Ça m’intrigue.
Je croise les bras, incapable d’ignorer le fait qu’il touche un point sensible.
— Si tu veux être utile, alors essaye de ne pas être distrayant.
Je tends le journal vers lui. Il le prend, l’ouvre avec une certaine révérence, feuillette les pages lentement.
— Fascinant… Ça parle de la manière dont les colons ont intégré Noël ici. Ça ne t’étonne pas que ce soit un sujet tabou aujourd’hui ?
— Si, justement. C’est pour ça que j’essaie de comprendre.
Il relève la tête, un sourire en coin.
— Toujours aussi obstinée. Ça m’avait manqué.
Je fronce les sourcils. Ce ton. Comme si nous étions restés proches. Comme si nous avions laissé quelque chose en suspens.
Mais avant que je ne puisse répondre, un mouvement derrière moi me fait tourner la tête.
Dev.
Il se tient là, adossé à la porte, son regard noir fixé sur Aryan. Son expression est impassible, mais quelque chose dans la tension de sa mâchoire me fait comprendre qu’il est loin d’être indifférent à la situation.
L’atmosphère change instantanément.
— Je dérange ? demande Dev, sa voix calme, presque trop calme.
Aryan ne bronche pas. Au contraire, il semble s’amuser de l’apparition de Dev.
— Pas du tout. On parlait juste d’histoire.
Un silence lourd s’installe.
— Et toi, Dev ? continue Aryan, feignant l’innocence. Tu t’intéresses à l’histoire de Sundarleigh maintenant ?
Je sens le regard brûlant de Dev sur moi, et un frisson me parcourt.
— Je m’intéresse surtout aux personnes qui prennent des risques inutiles, réplique-t-il, son ton chargé d’un avertissement sous-jacent.
Je serre les poings.
— Il ne se passait rien, dis-je en lui lançant un regard agacé.
— Si tu le dis.
Sa voix est mesurée, mais je vois bien la lueur orageuse dans ses yeux. Il n’aime pas voir Aryan ici.
— Eh bien, je vais vous laisser, déclare Aryan en refermant le journal. Mais Sanya, on devrait vraiment poursuivre cette discussion. Tu sais où me trouver.
Son sourire est léger, presque provocateur. Et quand il passe près de Dev, il murmure juste assez fort pour que je l’entende :
— Toujours aussi possessif, à ce que je vois.
Puis il s’éloigne tranquillement, me laissant seule avec Dev.
Je m’attends à une explosion. À une réplique cinglante. Mais il ne dit rien. Il reste là, son regard rivé sur la porte par laquelle Aryan vient de disparaître.
Quand enfin il parle, sa voix est rauque, tendue :
— Ne lui fais pas confiance.
Je le fixe, troublée.
— C’est ce que tu me disais aussi pour toi.
Il me regarde un instant, et quelque chose passe dans son regard.
Puis, sans un mot de plus, il tourne les talons et disparaît dans la nuit.
Et moi, je reste là, le cœur battant bien trop vite, incapable de comprendre pourquoi l’écho de sa voix me hante autant.
5 commentaires
Sofia77
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Il y a 10 jours
Farahon
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Il y a 10 jours
lovelover
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Il y a 10 jours