Farahon L'étreinte du sari et de la neige Chapitre 4

Chapitre 4

Le vent siffle entre les maisons de pierre, soulevant la neige en tourbillons silencieux. Emmitouflée dans mon manteau, je marche dans les ruelles de Sundarleigh, scrutant les visages familiers. Mais quelque chose a changé. Autrefois, ces gens me souriaient, me donnaient des bonbons, m'invitaient chez eux. Aujourd’hui, ils baissent les yeux, pressent le pas, comme si ma présence était une menace.


J’avance jusqu’à la boutique de Mita. La petite clochette tinte lorsque j’entre, et l’odeur familière des étoffes neuves me ramène à mon enfance. Derrière le comptoir, Mita replie soigneusement une couverture épaisse, son fils, Aarav, à ses côtés. Il a grandi. Ses joues sont moins rondes, son regard plus vif. Lorsqu’il me voit, il se redresse légèrement.


— Namaste (1), dis-je doucement.


Mita lève à peine les yeux. Aarav, lui, ne peut s’empêcher de me fixer.


— C’est vrai que c’est toi qui veux faire revenir Noël ? demande-t-il, une lueur d’excitation dans la voix.


Mita pâlit aussitôt. D’un geste sec, elle l’attrape par le bras.


— On ne parle pas de ça ici, dit-elle froidement.


— Mais pourquoi ?


Elle ouvre la bouche, mais c’est Amma Jaya, l’une des doyennes du village, qui répond. Assise près du poêle, elle secoue la tête et laisse échapper un rire amer. Lorsque j’étais enfant, je venais souvent chez elle écouter les histoires qu’elle racontait sur Sundarleigh, sur l’époque où les Anglais fêtaient Noël avec nous. Elle les tenait de sa mère, qui les tenait de la sienne, et ainsi de suite, un fil fragile reliant le passé au présent. Mais un jour, elle s’était attiré les foudres du père de Dev, qui l’avait accusée de détourner les enfants du bon chemin, de la religion avec ses sornettes sur Noël. Depuis, elle n’avait plus jamais raconté ces histoires.


— Parce que certains prix sont trop élevés à payer, murmure-t-elle.


Un frisson me parcourt. Je devrais insister, leur demander ce qu’elles veulent dire. Mais Mita détourne les yeux et reprend son travail, et Aarav, sentant la tension, se tait. Amma Jaya, elle, me fixe et j’ai l’impression qu’elle lit mon âme, qu'elle sait exactement ce que je ressens mais elle ne dit rien. Il n’y aura pas de réponses ici.


Je ressors, le cœur battant.


Dans la rue, l’ambiance est tout aussi pesante. Je croise Oncle Ravi, en train de réparer une charrette, et Priya, qui dispose ses brioches chaudes sur un étal. Mais au moment où je m’approche, ils trouvent soudain quelque chose d’urgent à faire ailleurs. Seuls les enfants osent me regarder avec curiosité avant d’être rappelés à l’ordre d’un regard sévère. Où est passée l’ambiance de mon enfance ? Où sont les éclats de rire des enfants courant dans les ruelles, les visages souriants des habitants ? Tout semble morose. Est-ce à cause de Dev ? Est-ce à cause de cette période de Noël ?


Je poursuis ma route jusqu’à l’ancienne place du marché. Un étrange malaise me saisit. Il y a quelque chose de différent ici. Quelque chose qui manque. Mon regard balaie la place enneigée jusqu’à ce que je voie la marque sombre sur le sol : une large brûlure, ancienne mais indélébile. Mon cœur se serre. Je m’agenouille et effleure la surface gelée. Une statue trônait ici autrefois, un cheval sculpté, offert par les colons. Mais il a disparu, effacé, arraché du sol. Comme si quelqu’un avait voulu nier jusqu’à son souvenir. Mon estomac se tord. Dev… Est-ce lui qui a fait ça ?


— C’est ici que tout a basculé.


Je sursaute et me retourne brusquement. Le vieil Harun se tient là, le dos voûté, ses yeux ternes fixant la place. Il est l’un des doyens du village, un homme dont la famille a beaucoup souffert lors de la colonisation. Pourtant, contrairement à d’autres, il n’a jamais fait d’amalgame entre ma mère anglaise et les colons anglais. Il a toujours été juste, bienveillant. Il appréciait beaucoup ma mère et passait de longues heures chez nous, à boire le thé et à discuter avec elle.


— Qu’est-ce qui s’est passé ? murmuré-je.


Il me dévisage longuement. Pendant un instant, j’ai l’impression qu’il va répondre. Mais il secoue la tête et détourne les yeux.


— Ne pose pas ces questions, dit-il d’une voix rauque. Ce qui est enfoui sous la neige doit y rester.


Puis il s’éloigne lentement, me laissant seule avec mes doutes et le silence pesant de Sundarleigh.


Je prends une inspiration tremblante. Ce n’est pas juste une question de tradition. Il y a un secret, une blessure encore à vif sous la neige et le silence.


Et je compte bien la découvrir.


— Tu es inconsciente ou juste stupide ?


Je me retourne brusquement. Dev se tient derrière moi, les bras croisés, l’expression orageuse.


— Qu’est-ce que tu fais encore ici ?


— J’essaie de comprendre, répliqué-je en le défiant du regard. Pourquoi Noël est devenu un sujet tabou. Pourquoi tout le monde agit comme si c’était une malédiction.


Son visage se ferme.


— Parce que c’en est une.


— Dev...


— Non, coupe-t-il en s’approchant. Tu crois que c’est juste une fête ? C’est un avertissement. Tu veux savoir pourquoi ? Demande à ton père. Ah, non… il ne peut plus répondre.


Son ton est tranchant comme une lame. La rage explose en moi avant même que je ne puisse la contenir. Ma main s’abat violemment sur sa joue, un claquement sec résonnant dans l’air glacial.


— Comment oses-tu ?! craché-je, les poings serrés, tremblante de colère.


Dev ne bronche pas. Il passe lentement sa main sur sa joue rougie, ses yeux noirs brûlants d’une lueur indéchiffrable. Mais il ne recule pas. Il ne détourne pas le regard non plus.


— Tu crois que tu peux revenir ici et tout chambouler ? reprend-il, sa voix à peine plus qu’un murmure. Ce village a appris à survivre sans cette fête. À quel prix, tu n’as même pas idée.


— Alors explique-moi.


Il serre les dents et détourne les yeux, comme si les mots lui brûlaient la langue.


— Tu ferais mieux de laisser ça derrière toi, murmure-t-il. Avant que la neige ne recouvre tout, encore une fois.


Il me tourne le dos et s’éloigne, disparaissant entre les ombres des maisons, me laissant seule avec un froid bien plus mordant que celui de l’hiver.



(1) Namaste : bonjour en hindi


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42 commentaires

Aline Puricelli

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Il y a 2 jours

C'est très mystérieux. Je me doute que Dev a une bonne raison d'agir comme une tête à claques, mais là il m'a agacée ahahah

Farahon

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Il y a 2 jours

Aie, bon mission réussie alors, il peut pas être trop gentil dès le début mdrr

Patrick de Tomas

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Il y a 4 jours

Le mystère s'épaissit. A suivre...

Krissa Danos

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Il y a 5 jours

Non mais oh! C'est comme ça qu'on parle aux dames ? (je parle à Dev) Il est méchant dans son genre, lutin grognon ! Il a passé le casting pour jouer Grincheux dans Blanche Neige ? Je suis certaine qu'il aura le rôle ! Bon, je me calme, c'est juste que c'était vache ce qu'il a dit par rapport au père de Sanya... Vraiment, le village semble sur pause, comme si un ouragan allait les exterminer à tout instant. Le mystère plane encore. Tout le monde à des réactions étranges. Je veuuuux savooooir! (imagine une gosse de 7 ans, c'est tout moi 😂). Pour le moment, c'est vraiment l'intrigue qui prend le dessus. J'ai l'impression que le récit se fige en diapason au village. (c'est un compliment). Je trouve qu'on tourne autour du pot, mais ça accentue tellement les réactions des villageois et des secrets qui sont sous la neige... C'est tellement bien écrit, je me laisse tranquillement emporter ! BRavooooooOOOOO ! 👏👏👏

Farahon

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Il y a 5 jours

Haha on m'avait fait le coup du Grinch mais pas de Grincheux j'adore. Et encore une fois merciii

mima77

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Il y a 15 jours

Le mystère s epaissit ! 😍

Manonst

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Il y a 16 jours

LA SUIIIIIITE

Farahon

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Il y a 16 jours

Je suis en train de l'écrire hehe
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