Thory TALES Let it snow, Let him go (ou pas) Chapitre 2 - Liam (1/3)

Chapitre 2 - Liam (1/3)

Le café, les gosses, et les emmerdes


Il est huit heures trente, et j’ai déjà dû gérer, dans le désordre : une dispute sur l’emplacement du sapin municipal (apparemment, à quarante centimètres près, ça “casse l’harmonie”), une demande d’autorisation pour une parade de lutins costumés (avec fanfare, s’il vous plaît), une fuite dans les toilettes de la salle polyvalente, une pétition contre les chants de Noël "trop commerciaux", et le vomi de mon chat. Oui. Le chat. Sur mes chaussures.


Je bois mon deuxième café, je marmonne mon troisième juron mental de la matinée, et je me demande si ma patience ne s’est pas enfuie pendant la nuit pour commencer une nouvelle vie quelque part en Floride.


Bienvenue à Mistleberry. Petite ville pittoresque. Lacs gelés. Maisons décorées avec excès. Habitants convaincus que le maire est une sorte de Père Noël sous-payé à disposition 24/7. Et c’est moi, ce maire. Liam Montgomery, trente-sept ans, célibataire, père d’une enfant de huit ans, détenteur d’un badge, d’un bureau et d’un niveau de fatigue comparable à celui d’un pilote de ligne sans copilote.


En théorie, je dirige une municipalité. En pratique ? Je suis une hotline permanente pour doléances absurdes, une éponge émotionnelle pour grand-mères angoissées et un arbitre semi-professionnel de querelles entre voisins à propos de décorations clignotantes jugées “agressives”.


Et ça, c’est avant Noël. Parce qu’en décembre, tout s’intensifie. Les gens deviennent fous. Littéralement. Ils me harcèlent pour des guirlandes, des batailles de boules de neige “officielles”, des concours de biscuits truqués, et la position exacte de la crèche municipale. Et rien que cette semaine, elle a changé de place cinq fois.


Et là, alors que je tente de lire un rapport budgétaire — une vraie torture écrite en minuscule par un stagiaire trop enthousiaste — on toque à la porte de mon bureau. Une demi-seconde plus tard, elle entre sans attendre, tornade en chaussettes : Ellie.


Huit ans. Blonde. Vive. Enthousiaste. Et terrifiante. Elle a hérité de ma mâchoire, du sourire de sa mère et d’un sens de l’organisation qui ferait pleurer un général de brigade.


— Papa ! T’as oublié de signer mon mot pour la sortie au marché de Noël !


Elle brandit le papier comme s’il s’agissait d’un mandat d’arrêt. Je me frotte les yeux, attrape un stylo sans réfléchir, signe à moitié sur mon bureau.


— Tu devais pas être prête y a dix minutes ?


— Je suis prête. Mais pas pour la mauvaise écharpe, dit-elle, le ton solennel comme si elle venait de m’expliquer les clauses d’un traité de paix.


Je lève les sourcils. Elle me tire la langue, attrape ma tasse, boit une gorgée de mon café (hérésie), et détale comme un éclair. Entraînée. Imparable.


Je l’aime plus que ma propre vie.


Mais parfois, je rêve qu’elle rate son bus. Juste pour que je puisse faire une sieste.

C’est comme ça tous les matins. Moi qui dirige une ville. Elle qui me dirige moi.

Je regarde l’horloge murale. Dans un peu plus d’une heure, Hugo Marchand débarque de New York. Le genre de nom qu’on n’oublie pas, surtout quand on l’a vu dans le journal de la ville, accolé à des mots comme “rachat”, “réorganisation” et “liquidation”.


Officiellement, il vient “étudier les possibilités de relance stratégique”. Officieusement ? Il vient tirer le rideau sur l’usine. L’atelier de jouets, celui qui faisait vivre la moitié de la ville. Celui qui fabriquait encore, jusqu’à il y a deux mois, des petits trains en bois et des puzzles pour enfants. L’endroit où mon père a bossé toute sa vie. Où la plupart de mes électeurs ont grandi, travaillé, vécu.


Autant dire que je ne suis pas d’humeur. Pas aujourd’hui.


Et encore moins pour un mec en costume venu m’expliquer que tout ça, ce sont juste des chiffres. Je sais comment ça fonctionne, ce genre de types. Je les ai vus à l’œuvre. Le costume bien taillé, les dents blanches, les documents pleins de jargon qui veulent dire "au revoir et bonne chance". Ils débarquent avec leur sourire formaté, leur langage poli et leur mépris à peine dissimulé pour les gens qui portent des bottes boueuses.


Mais Mistleberry, ce n’est pas un dossier. Ce n’est pas une ligne dans un bilan comptable. C’est une communauté. Une foutue famille. Et je ne laisserai pas ce type jouer au Monopoly avec la ville que j’aime. Je repose ma tasse. Me lève. Enfile ma veste. Mes doigts effleurent la casquette de maire accrochée au portemanteau, mais je la laisse là. Trop cérémoniel.


Ce matin, pas besoin d’un costume. J’ai déjà mon armure. Une flanelle, un bonnet, un sarcasme bien aiguisé, et un refus total de le laisser faire ce qu’il est venu faire.


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1 commentaire

Bérengère Ollivier

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Il y a un mois

Putain, c'est bon, c'est très bon ! Bravo !
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