Fyctia
Chapitre 1 - Hugo (1/3)
Je suis le méchant de ce téléfilm. Génial.
Je suis à Mistleberry depuis exactement sept minutes, et j’ai déjà failli mourir deux fois.
La première, c’était à cause d’un sapin. Littéralement un sapin. Planté en plein milieu de l’artère principale, décoré comme si un lutin sous LSD avait eu carte blanche sur le budget guirlande. J’ai freiné net pour pas l’éborgner, j’ai renversé mon café, et j’ai crié un mot qu’on ne crie pas à Noël. Ni devant des enfants. Ni devant une mamie avec un chihuahua dans un sac en tricot.
La deuxième, c’était à cause du froid. Celui qui vous gifle dès que vous sortez de votre SUV hybride flambant neuf, comme si la ville elle-même essayait de vous dire : “Retourne à New York, connard.”
Mais non. Je suis là. Bien là. Avec mes chaussures hors de prix qui s’enfoncent dans la neige, mon manteau qui ne sert à rien dans ce climat, et cette mission ridicule de fermer une usine juste avant Noël. Je suis littéralement le méchant dans un téléfilm Netflix. Il ne manque que le maire grincheux qui veut sauver sa ville, et on aura coché toutes les cases.
Je repousse la portière de ma voiture avec mon genou, sors mon attaché-case (oui, ça existe encore, et oui, il coûte plus cher qu’une location annuelle dans cette ville), et j’inspire profondément.
Allez, Hugo. Tu signes les papiers. Tu expliques aux employés que tout sera fait dans les règles. Tu serres deux-trois mains. Tu évites de t’attacher. Et tu repars avant qu’on ne t’invite à participer à une soirée cookies-cacao-chanté en pull moche.
Je traverse la rue. L’air sent la cannelle, la neige et le jugement passif-agressif.
Et c’est là que je le vois.
Un type adossé à une barrière en bois, chemise à carreaux, bonnet vissé sur le crâne, bras croisés, regard noir. Il ne fait rien. Il est. Comme une sculpture vivante de reproche hivernal. Il me scrute.
Je me tourne à moitié pour vérifier qu’il ne regarde pas un autre Hugo, un Hugo de rechange, un Hugo moins bien peigné.
Mais non.
C’est à moi qu’il en veut.
Et je n’ai aucune idée de qui c’est.
Mais j’ai le pressentiment désagréable que je vais le découvrir très, très vite.
Je me redresse, tente un sourire neutre – celui qui dit « Bonjour, je suis courtois, mais j’ai des choses bien plus importantes à faire que discuter de bûches de Noël ». Il ne sourit pas en retour. Il ne bouge même pas. Sérieusement, ce mec aurait pu servir de modèle pour une pub anti-bonheur.
Je me rapproche, parce que visiblement c’est le seul chemin vers la mairie. Et à mesure que je m’avance, je distingue mieux les détails : barbe de trois jours, regard gris acier (non, pas romantique – plutôt du genre "je pourrais enterrer ton corps sous la neige et personne ne poserait de question"), et une posture de cow-boy prêt à dégainer. Sauf qu’à la place du colt, il tient un gobelet en carton marqué "Java Jingle Café", ce qui tempère un peu la menace. Mais à peine.
Il m’arrête avant même que j’aie atteint la porte.
— Vous avez garé votre voiture sur la place des tracteurs.
Pardon ?
Je cligne des yeux, plus par réflexe que par incompréhension. Parce que oui, j’ai bien entendu ce qu’il a dit. Je n’en ai juste pas la traduction.
— … La place des quoi ?
Il lève un sourcil. Un seul. Un sourcil ironique, musclé par des années de pratique du sarcasme silencieux.
— Des tracteurs. Le marché fermier s’installe là dans deux heures. Si vous gênez, Mabel va vous crever les pneus avec sa fourche.
— Une menace charmante, vraiment, dis-je en retenant un frisson. Et vous êtes… le chef de la milice locale ? Le shérif ? Le grand manitou des décorations de Noël passives-agressives ?
Il ne rit pas. Évidemment.
— Je suis le maire. Liam Montgomery. Et vous devez être le type venu vendre notre usine à une start-up crypto-bidon dans le New Jersey.
Ah.
Donc voilà. Le maire grinch est musclé, sarcastique, et probablement prêt à m’enfoncer une hache dans le torse s’il en avait une sous la main.
— Enchanté, je dis en lui tendant la main.
Il la regarde comme si j’avais tenté de lui filer une MST.
— Je suis ici pour discuter, pas pour brûler la forêt.
— Vous avez amené le kérosène, pourtant.
Bon. Ça commence bien.
Je ramène ma main contre moi, me compose un sourire diplomatique, et inspire une deuxième fois.
— J’ai un rendez-vous avec madame Huntley à 10 heures. Le but n’est pas de tout raser, monsieur le maire. Je suis ici pour explorer les options.
— Mmh. Vous avez le look parfait pour ça.
— Lequel ?
— Celui du type qui dit “option” quand il veut dire “liquidation”.
Touché.
Mais je suis un adulte civilisé, avec une chemise sur mesure sous mon manteau. Donc je garde mon calme.
— Ce look-là, je l’ai acheté à Milan, pas sur un parking de tracteurs.
Erreur. J’ai osé l’ironie. Il se penche légèrement vers moi, son regard accroche le mien, et pour une fraction de seconde, je crois qu’il va vraiment me mordre.
— Dans ce cas, monsieur le costard, garez-vous ailleurs. Et entrez. Mabel n’attend pas.
Je hoche la tête, recule, et retourne à la voiture.
Et en chemin, je me répète mentalement :
Tu restes trois jours.
Tu signes les papiers.
Tu ne t’attaches à personne.
Surtout pas au maire grognon qui sent probablement le bois, la cannelle, et les décisions moralement justes.
Spoiler alerte : je suis très mauvais pour suivre mes propres règles.
19 commentaires
Lady Blue
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Il y a 9 jours
Lady Blue
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Il y a 9 jours
Nora Rosen
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Il y a 23 jours
Bérengère Ollivier
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Il y a un mois
Natia Kowalski
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Il y a un mois
Flopinette
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Il y a 24 jours
nedra08
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Il y a un mois