Fyctia
Le camping
Nous voilà sur le chemin des vacances. Maman, à côté de moi, fait le GPS tandis que Mamilie ronfle à l’arrière à côté de mon petit cœur qui serre fort son doudou dans ses bras tout en regardant la nuit qui défile, émerveillée.
Jusqu’à présent, nous avons eu de la chance : la route a été fluide. Le calme qui règne dans notre petit habitacle me permet de rouler sereinement vers notre destination. Je ne ressens plus aucune angoisse, simplement un sentiment de paix. Comme si ce départ était l’aboutissement de toute une vie, une évidence. Je me demande comment va être mon nouvel environnement pour ces deux prochains mois. La cohabitation avec mes deux folles va s’avérer compliquée après la dernière dispute que nous avons essuyée. Heureusement que nous aurons le soleil et la mer pour apaiser toutes les tensions. Finalement, peut-être que cela nous fera du bien de sortir de notre routine.
Si tout se passe pour le mieux, maman va pouvoir faire de nouvelles rencontres, Mamilie pourra s’essayer à des sports nautiques comme elle en rêve, et ma louloute, s’amuser avec des enfants de son âge.
Je souris face à la route. Ce n’est pas si mal que Jo et Eva soient venues, elles aussi. Seule, les choses paraissent toujours plus compliquées à surmonter. À plusieurs, on pourra se serrer les coudes.
Six heures du matin. Cela fait un peu moins de quatre heures que nous sommes parties. Le moment pour Mamilie de réclamer sa première pause pipi.
Nous nous arrêtons sur une aire de repos, et Jo se met aussitôt à étaler sur une table de pique-nique les restes du petit-déjeuner express que nous avons pris avant de partir. Toute cette nourriture fait gargouiller mon estomac. Il est temps pour moi de manger un bon croissant au beurre !
— C’est ça, Aline, mange ! Il te faut du carburant pour conduire, m’assure ma mère. Ça vaut pour toi aussi, Céline. Si tu veux pouvoir nager comme un petit poisson, il faut prendre des forces.
Ma fille ne se le fait pas dire deux fois et se précipite vers la table à son tour.
— Mamie Jo a dit qu’il fallait prendre des forces, alors prends des forces, maman !
Je souris et lui vole un baiser sur la joue entre deux bouchées.
— C’est ce que je fais, petite dictatrice ! Figure-toi que maman a une faim de loup.
Autour de nous, des vacanciers fatigués mais heureux se retrouvent entre les voitures, au son des moteurs passant en contrebas sur l’autoroute.
Qu’est-ce qu’il me tarde d’arriver au camping, de poser mes fesses sur le sable chaud et de ne plus rien faire du reste de la journée !
— Aline, un jus de fruits, ma chérie ?
Cette voix douce me donne des frissons. Je n’ai pas l’habitude que ma mère me parle comme ça sans raison particulière.
Je prends le temps de la détailler. Étrangement, mon sixième sens spécial « complot des génitrices » s’est mis en alerte. Quelque chose cloche sur la fréquence dédiée aux vacances.
— Que dis-tu d’une tartine avec de la confiture, mon poussin ? me demande à son tour Mamilie d’une voix doucereuse.
Mince alors. J’ai l’impression d’être dans un film d’horreur : on sait que le sang va gicler, mais la question demeure où et quand…
— Je veux bien une tartine, oui, merci, réponds-je en soutenant son regard.
Je l’observe prendre un couteau pour trancher la baguette, badigeonner le pain de framboise avant de me tendre le tout, un sourire aux lèvres. Et c’est là. C’est là que je remarque la gêne dans son regard. Il n’y a plus de doute possible, elles me préparent un sacré coup !
— Vous avez fait une bêtise ?
Eva et Jo se figent dans un bel ensemble.
— Une bêtise ? Non, pourquoi cette question, ma chérie ?
Peut-être parce que tu as une voix de fausset, maman… Je les regarde, ma tartine en suspens devant mon nez de détective.
— Tout va bien, mon poussin, intervient Mamilie. Nous voulons que tu passes les meilleures vacances du monde, c’est tout.
Mon cœur manque un battement.
— Là ! Il y a quelque chose qui cloche. Vous êtes trop normales !
Eva me lance un regard noir, puis se tortille sur son siège, mal à l’aise.
— Faites du bien à un chien, il vous crottera dans la main.
— Merci pour la comparaison ! C’est juste que je vous trouve très étranges, toutes les deux.
Je laisse passer un blanc, espérant une explication de leur part, mais rien. C’est le silence total.
— Pourriez-vous me regarder dans les yeux et me dire qu’il n’y a pas d’arnaque dans ce plan vacances ?
— Il n’y en a pas, Aline. Tu conduis, il est normal que nous soyons au petit soin pour toi. Arrête de voir le mal partout. Nous ne sommes quand même pas des sorcières !
Une petite voix dans ma tête me dit que ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a comme un malaise dans leur façon d’être. Mais vu les têtes de mules qu’elles arborent, je décide de lâcher l’affaire. Elles ne me diront rien aujourd’hui, mais je vais les surveiller de près et mener mon enquête.
— Soit. Si vous le dites, je veux bien vous croire. Mais je tiens tout de même à préciser, maman, que si tu n’avais pas perdu tous tes points, je ne serais pas obligée de conduire pendant tout le trajet.
— Je ne pensais pas qu’ils faisaient des contrôles radar sous la pluie, les flics.
Là, je retrouve ma mère ! Ce n’est jamais de sa faute.
— Pour la dix millième fois, maman, quand tu roules à 100 km/h au lieu de 50 km/h, il n’y a pas besoin de radar pour que cela se voie ! Et quand on t’arrête, faire du chantage à des agents de police n’est pas la meilleure idée qui soit.
Pour la faire courte, maman s’est fait arrêter par des motards pour excès de vitesse, il y a quelques semaines. Jusque-là, rien de grave. Mais cette gourde est allée leur proposer son corps en échange du PV ! S’en est suivie une discussion très animée avec ces messieurs de la police. Voyant que cela ne servait à rien de négocier, Jo a décidé de les menacer de porter plainte pour agression sexuelle. Je vous jure…
Résultat des courses, elle a fini en garde à vue au poste avec retrait du permis et une amende astronomique. Du maman tout craché !
— C’est de l’histoire ancienne, elle ne recommencera plus, mon poussin, intervient Mamilie. Pas la peine de remuer le couteau dans la plaie. Ta mère a retenu la leçon. Mange tranquillement, et nous repartirons après. Tu vas finir par faire pleurer ta fille.
Je baisse les yeux sur ma louloute qui me fixe, au bord des larmes, et la serre contre moi. J’oublie parfois que Céline n’aime pas qu’on se prenne le chou.
— Ce n’est rien, ma douce. Je suis juste un peu stressée.
— Je ne veux pas que tu disputes mamie.
— Je ne la dispute pas, nous discutons un peu vivement, c’est tout.
Je lance un dernier regard à ma mère qui boude de l’autre côté de la table et finis mon croissant.
La suite du trajet se fait dans une ambiance un peu plus légère. Céline nous raconte comment elle envisage de nager et nous pose un tas de questions sur la mer et les poissons qui l’habitent. Pour être honnête, elle commence à me soûler légèrement.
Mamilie, quant à elle, nous fait arrêter toutes les heures pour cause de « j’ai trop bu de café », alors que ma mère continue son rôle de GPS.
Plus nous descendons et plus le thermomètre de la voiture nous indique que la chaleur extérieure augmente. Des sourires commencent à étirer nos mandibules. Il est dans les environs de onze heures lorsque ma mère annonce fièrement :
— À la prochaine sortie, nous quittons l’autoroute.
Je me tourne vers elle, étonnée que les huit heures de voyage soient passées si vite.
— Déjà ? Tu es sûre ? Avec nos différentes pauses, je pensais…
— Sortie Sigean, direction la mer, me coupe-t-elle. Nous allons pique-niquer sur la plage pour ce midi et bronzer un peu. Ensuite, nous irons au camping en fin d’après-midi.
Elle se retourne pour s’adresser au reste de la petite troupe.
— Vous êtes d’accord, les filles ?
Un « oui » collectif lui est répondu.
Une douce euphorie m’envahit. Je presse le volant un peu plus fort, mes pieds fourmillent. Ils veulent se retrouver immergés dans l’eau. Ma peau frissonne d’avance de la caresse du soleil.
Dans le rétroviseur, je vois Céline qui se débat avec le harnais du siège auto.
— Reste tranquille, ma puce, nous ne sommes pas encore arrivées.
— Je veux mes brassards pour nager.
Tout le monde éclate de rire face à son impatience. Je suis ravie qu’elle soit heureuse de ce départ. Même si elle est parfois bavarde, c’est une petite fille formidable, et la voir ainsi me renforce dans l’idée que vivre ici sera bénéfique pour tout le monde.
— Il faut attendre encore un peu pour ça, mon ange. Reste tranquille, je t’avertirai quand nous serons près de la mer.
Et voilà qu’au détour d’un virage, le diamant bleu se révèle à nous. Il étincelle de mille feux au soleil. Instinctivement, j’appuie sur l’accélérateur. Des rangées de parasols multicolores nous narguent. J'ai envie de leur dire : attendez-nous, on arrive ! Quelques kilomètres plus loin, je trouve le parking idéal. Céline ne tient plus, elle trépigne.
Enfin, le sésame nous est offert, et je m’insère dans cette marée de ferrailles à la recherche de la place qui nous amènera au paradis du plagiste.
Une fois la voiture au point mort, les quatre générations de Parillos ont la même réaction face à cette mer de véhicules en stationnement qui nous accueille. Nous vivons un moment unique au sein du petit habitacle climatisé.
Mamilie est la première à réagir. Elle ouvre la portière, et une bouffée de chaleur nous envahit. Puis, c’est au tour du brouhaha discret de la foule et du ressac des vagues de nous surprendre. À mes oreilles, cela sonne comme une musique annonciatrice de pur bonheur !
Nos visages se fendent d’un sourire d’extase.
— Maman, détache-moi, je veux aller me baigner ! s’impatiente ma fille.
Je sors du véhicule, vais chercher Céline à l’arrière et la suis jusqu’à la plage. Ma puce pose religieusement un pied puis l’autre sur le sable, avant de tourner son regard vers moi, tout étonnée de se retrouver ici.
— C’est trop cool, ces vacances !
— Il faudra dire merci à Mamilie. C’est grâce à elle si nous sommes ici.
J’ai à peine le temps de finir ma phrase que mon petit loustic se précipite dans les bras d’Eva en hurlant.
— Merci, merci, merci !
Je les regarde, attendrie. Ma fille est notre bonheur à toutes les trois, elle nous réunit et nous soude.
— De rien, ma chérie. Et maintenant, c’est rock’n’roll, baby ! La première dans l’eau a gagné ?
La voix enjouée de ma mère nous ramène à l’instant présent.
— Attendez-moi ! Aline, prends la glacière pour m’aider. Toi, Mamilie, tu prends le parasol. Je me charge des serviettes, et Céline, mon chou, tu prends ton sac à jouets.
C’est le premier jour des vacances, et j'ai l'impression que tout est plus beau autour de moi. Une fois que nous avons réussi à nous insérer entre deux groupes de vacanciers, Céline se précipite dans l’eau. Je la suis de près et me délecte de l’eau qui rafraîchit ma peau. Une fois dedans, il est difficile d’en sortir. Particulièrement avec Céline qui nage comme un poisson alcoolique, la bouche grande ouverte, le sourire banane.
— Ferme ta bouche et respire par le nez, ma puce. Tu vas boire la tasse.
Elle remue frénétiquement les mains et les jambes dans tous les sens.
— Mais, maman, il n’y a pas de tasse ici !
Je m’approche d’elle et la prends dans les bras. Je la sens détendue comme je la vois rarement.
— C’est une expression pour dire « avaler de l’eau de mer ».
— Elle est bête, cette expression !
Je lui pince le bout du nez tandis qu’elle s’agrippe à moi, toute tremblante. Il est peut-être temps de sortir de là.
Lorsque je m’affale sur ma serviette, le soleil me réchauffe instantanément la peau. Mamilie arbore un maillot de bain bleu qui doit dater des années soixante tandis que Jo, comme toujours, porte un maillot doré aussi mini que possible. À côté d’elle, j’ai fait simple, avec l’éternel une-pièce rouge que je traîne depuis mes vingt ans.
Toute guillerette, je prends mon petit appareil photo et mitraille toute la famille. Cette journée est à marquer dans les annales.
Je me sens heureuse ici. Toute la pression de ces derniers jours a été évacuée pour faire place à un sentiment de paix.
Le pique-nique se passe dans la joie et la bonne humeur, entre les odeurs de crème solaire et les cris joyeux des enfants présents sur la plage.
Malgré mes soupçons de complot, rien ne vient ternir cette première journée. Je me fais peut-être des idées. Peut-être Eva et Jo ont-elles réellement compris que j’avais besoin de souffler ? Peut-être vais-je passer de très belles vacances ?… En observant ma mère et Céline jouer au bord de l’eau, je trouve que, finalement, ma famille n’est pas si mal que ça, aussi bancale et atypique soit-elle parfois.
Aux alentours de dix-sept heures, nous décidons de partir et remballons tout notre matériel pour prendre la direction du camping. Céline est fatiguée et s’endort dès que la voiture sort du parking.
Nous longeons des étangs envahis de flamants roses. Ils nous observent, impassibles, tandis que nous nous dirigeons vers notre lieu de résidence. La voiture serpente au milieu des vignobles, grimpe une colline cerclée de pins, puis dépasse une longue barrière avant que nous apercevions le panneau tant attendu : « Camping La Vaguelette. » Je sens que je vais me plaire ici. Vivre pendant deux mois à l’ombre des pins va être un pur bonheur.
J’arrête la voiture sur le petit parking de l’entrée et me tourne vers Eva, le sourire aux lèvres.
— C’est superbe ici, Mamilie. Tu as bien choisi l’endroit !
Son air gêné m’interpelle. Ma mère ne semble pas plus enthousiaste que ça.
— Quoi ? demandé-je alors. Cela ne vous plaît pas ? Vous vous attendiez à autre chose ?
Je me retourne vers l’entrée du camping.
— C’est magnifique ! Vous ne trouvez pas ?
— Si, c’est superbe, mon poussin. Je suis juste un peu fatiguée après cette journée plutôt intense.
Mamilie me regarde d’un air las. J’oublie parfois qu’elle a 70 ans.
— Je crois que nous sommes restées trop longtemps au soleil pour une première fois, ajoute ma mère.
— Tu as mis de la crème, au moins ? Tu es toute rouge…
— Ne t’inquiète pas, je suis assez grande pour ça. Cela ne t’ennuie pas si nous t’attendons ici à l’ombre ? Nous surveillons Céline pendant que tu nous enregistres à l’accueil.
Je leur souris.
— Ça marche. Je fais vite pour que vous puissiez aller vous reposer ensuite.
Mamilie me tend sa carte bleue.
— Tu connais le code. J’ai réglé un acompte, mais il en manque.
Eh bien ! Eva qui me confie sa carte bancaire, c’est une première !
Je récupère le sésame en hochant la tête et sors de la voiture, tout sourire. Je respire à pleins poumons ce parfum si envoûtant mêlant des odeurs de pin, de thym et de mer, puis me dirige vers la réception. À l’intérieur, la climatisation tourne à fond. Ma peau bouillante picote de contentement.
Une tête brune et burinée par le soleil apparaît au-dessus du comptoir qui me fait face.
— Bonsoir !
Il s’agit d’un homme d’une cinquantaine d’années, affublé d’une chemise à fleurs rouges dont tous les boutons sont ouverts. Je lui souris et me rapproche du comptoir.
— Bonsoir, dis-je en souriant. Ma grand-mère a loué un emplacement au nom de Parillos.
Il tapote le clavier de son ordinateur et me confirme :
— Effectivement ! Nous vous attendions un petit peu plus tôt. Le voyage s’est-il bien passé ?
— Oui, parfaitement, je vous remercie. Nous avons voulu nous arrêter à la plage avant de venir ici. L’après-midi a été idyllique !
Le charmant monsieur se met à rire.
— Tout le monde fait la même chose que vous ! Aussitôt arrivé, direction la plage. Vous allez voir, d’ici une heure, il y aura affluence ici.
Il se retourne, prend une carte du camping et me la pose sous les yeux avant de mettre une liasse de papiers à côté. Il a un accent du Sud que j’adore.
Je suis en train de remplir la paperasse quand la porte derrière moi s’ouvre, amenant un vent chaud dans la petite pièce.
— Salut, Fred !
Ledit Fred relève la tête, le regard pétillant de malice.
— Salut, les jeunes ! Alors, cette traversée, c’était comment ?
Des claquements de tongs résonnent sur le carrelage tandis que le groupe se rapproche dans mon dos. Histoire de ne pas être impolie, je me retourne pour saluer les nouveaux arrivants et me retrouve face à trois trentenaires bronzés, tatoués et décoiffés.
Je m’apprête à leur faire un geste de la main quand un choc physique et brutal m’en empêche. Mon sourire de bienvenue se transforme en grimace de stupeur.
Attendez une minute…
Mon regard remonte lentement mais sûrement des tongs aux mollets de ces hommes, avant de s’attarder brièvement sur leurs cuisses galbées puis leur… Hein ?
— Ils sont nus ! m’écrié-je.
10 commentaires
FeizaBabouche
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Il y a 7 ans
Lana.M
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Il y a 7 ans
Jeanne F.
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Il y a 7 ans
Anaïs M x Cindy C
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Il y a 7 ans
Jeanne F.
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Il y a 7 ans
Laureline Maumelat
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Il y a 7 ans
Jeanne F.
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Il y a 7 ans
Aliena
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Il y a 7 ans
Jeanne F.
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Il y a 7 ans
IsaLawyers
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Il y a 7 ans