Fyctia
Cocktails et cocotiers
Les bras m’en tombent.
— Mais… Mais vous êtes malades, toutes les deux ! Nous n’avons pas les moyens de partir en vacances ! Et puis, un camping ? Quelle idée ! Où dormira-t-on ?
Mamilie me passe devant pour aider ma mère à charger une glacière remplie de toutes sortes de provisions.
— Sous la tente de ton grand-père, mon poussin. Comme quand Jo était petite. J’ai vérifié, elle est impeccable. Nous avons descendu tout le matériel adéquat : sacs de couchage, gazinière, table de camping… Tout y est. Nous avons même trouvé la canne à pêche de papi. On nous attend là-bas pour le début d’après-midi. Nous allons donc pouvoir rouler tranquillement et profiter du paysage.
J’ai la mâchoire du bas qui se décroche. Les seuls mots que j’arrive à prononcer sont incompréhensibles pour le commun des mortels.
— Bé… bé… ma…
Ma fille me tire encore une fois la main.
— Mamie Jo a dit qu'on allait pouvoir se baigner à la mer dès cet après-midi. Et en plus, dans le camping, il y a une piscine et des jeux pour les enfants ! Tu crois que je me ferai facilement des copines ?
Je suis complètement perdue et incapable de répondre à ma fille. Mais que s’est-il passé entre le moment où je suis arrivée à la maison avec mes bouteilles de champagne et maintenant ?
— Aline, dit ma mère en posant ses mains sur mes épaules. Respire un grand coup et écoute-moi… Mamilie a réservé un emplacement dans un superbe camping au sud de la France pour les deux mois à venir. Je sais que tu voulais t’éloigner de nous, mais nous ne sommes pas encore prêtes. C’est donc la raison pour laquelle Eva et moi nous occuperons de Céline tandis que tu te prélasseras au soleil. On te doit bien ça.
Deux mois de vacances en bord de mer. Mais elles ont gagné au loto ou quoi ?
— D'où sortez-vous l’argent ?
Mes yeux font des allers-retours entre mes deux Picsous. Je n’arrive toujours pas à comprendre le pourquoi du comment, jusqu’à ce que Mamilie m’éclaire.
— Tu paies tout ici, mon poussin. Alors, j’ai décidé d’économiser une certaine somme ces dernières années qui, aujourd’hui, va nous permettre de partir deux mois sous le soleil de la Méditerranée. Vive les cocktails et les cocotiers !
Les yeux pétillants, elle se met à sauter sur place en répétant cette dernière phrase à tue-tête. Il faut que je la calme avant qu’elle ne nous fasse une crise cardiaque.
— Tu sais qu’il n’y a pas de cocotiers dans le sud de la France, Mamilie ? Des palmiers, des pins et des cigales à la rigueur… Au fait, où allons-nous exactement ?
— Dans le doux département de l’Aude. Dans un village que l’on nomme La Palme. Tu verras, le camping a l’air calme et serein. Tu vas pouvoir te reposer et te détendre.
Je hausse les épaules. Je ne connais pas, mais pourquoi pas, si c’est Mamilie qui régale ! Et puis, Céline a déjà enfilé ses brassards, je ne peux décemment pas la décevoir.
Ma mère sourit mais baisse les yeux sur ses chaussures. Je sens qu’il y a un truc anormal dans toute cette histoire.
— Deux mois de vacances gratuites, je ne dis pas non ! Mais où est l’arnaque ?
— Il n’y a pas d’arnaque, ma fille. Nous avons discuté avec Eva, et tu as raison. Nous nous appuyons trop sur toi. Durant ces deux mois, nous nous occuperons de tout pour que tu puisses te relaxer et t’épanouir de nouveau. Tu le mérites bien.
Ça alors ! Je me retrouve subitement très émue. Jo et Eva reconnaissent qu’elles abusent un peu. Je n’en reviens pas.
— Euh… Eh bien, merci.
Je ne sais pas quoi penser de tout cela, mais deux mois de congé aux frais de mes deux grippe-sous, ce n’est pas si mal ! Et puis, je ne serai pas toute seule pour faire le grand saut dans l’inconnu. Alors, je cède. Et c’est avec un large sourire que je leur lance :
— Vive les vacances !
Tout le monde soupire de soulagement, et une douce euphorie envahit la cuisine. Les sourires réapparaissent, et ma petite louloute se met à sauter dans tous les sens.
— Oui ! Je vais me baigner dans la mer et ramasser des crabes !
Je me tourne vers mes deux comploteuses et croise les bras sur ma poitrine.
— La suite du programme, c’est quoi ?
Eva me prend par la main et me force à m’asseoir.
— Tu manges pour pouvoir conduire, et surtout, éponger tout l’alcool que tu as ingurgité hier. Ensuite, tu vas t’habiller, et nous partirons. Ta valise est dans la voiture. Tu n’as rien d’autre à faire que te préparer. Nous avons tout prévu.
Ma mère, la tête dans le frigo, ajoute :
— Tu as un quart d’heure. Après, ce sera trop tard.
— Relax, maman. Après tout… nous sommes en vacances.
Elle se relève et adopte un air pincé.
— Nous serons en vacances cet après-midi, quand nos fesses seront posées sur le sable chaud et que les mouettes voleront au-dessus de nos têtes. Pour l’instant, nous avons un planning strict à respecter. Alors, au lieu de bayer aux corneilles, mange et va t’habiller. Au cas où le message ne serait toujours pas passé : ta fille veut se baigner cet après-midi, et moi aussi.
Elle fait un geste de la main pour m’indiquer que le sujet est clos. Je décide de ne pas en rajouter une couche et commence à boire mon café. Je prendrai les croissants dans mon sac, pour plus tard. Disons que mon estomac n’est pas tout à fait remis de ses torsions très matinales…
Mon petit-déjeuner avalé, je me précipite dans la salle de bains pour une douche express. Devant la glace, je me regarde longuement. Je n’y crois pas. Je vais sortir de ce village de malheur, je vais partir d’ici.
— Tu te rends compte, Nathan… Je pars. C’est fou, mais je vais sortir d’ici, comme nous l’avions rêvé. Je vais y arriver. Je vais trouver du travail, et nous vivrons avec la mer sous les yeux.
Une bouffée de joie mêlée à de l’angoisse m’envahit et me gonfle le cœur.
— Tu crois que je vais m’en sortir sans toi ?
Je fais la grimace devant la glace.
— Oui, je sais… Je n’ai pas assez confiance en moi, tu me l'as déjà dit mille fois. Mais là, c’est un peu énorme, ce que je m’apprête à faire. Je ne suis jamais sortie d’ici. Tu crois que je vais pouvoir m’adapter ?
Je fixe mes yeux verts dans le miroir et y lis tellement d’émotions contradictoires que cela me donne le tournis.
— J’aurais aimé que tu sois là, toi aussi. Je suis sûre que j’aurais été moins angoissée. Tu savais toujours comment m’apaiser.
Je hausse les épaules, un peu fataliste, puis brosse mes cheveux châtains et les attache à l’aide d’un élastique noir. Je passe le short et le tee-shirt que Mamilie m’a posés sur la chaise, me lave les dents, puis regarde une dernière fois dans la glace.
— Oui, je sais. J’ai encore maigri. Mais je vais reprendre mon corps en main, ne t’inquiète pas. Je maîtrise la situation.
Je ne veux pas que Nathan se fasse du souci. Il doit être suffisamment stressé par sa nouvelle vie sans que je vienne en rajouter une couche avec mes petits problèmes.
On tape doucement à la porte.
— Aline, tu discutes avec qui ?
Ma grand-mère et son ouïe de chat.
— Avec personne, Mamilie. J’arrive, j’ai fini.
Quand il faut y aller, il faut y aller.
J’ouvre la porte et me retrouve nez à nez avec une Eva très contrariée.
— Tu lui parles encore ?
Je lève les yeux au ciel et passe devant elle.
— De temps en temps, cela me fait du bien. Ne t’inquiète pas, je sais qu’il est mort, je ne suis pas en train de devenir folle.
Je sens qu’elle me suit.
— Peut-être, mon poussin. Mais cela ne fait qu’alimenter son souvenir, ce n’est pas sain.
Je m’arrête net.
— Écoute, Mamilie, j’en ai besoin. Laisse-moi au moins ça, s’il te plaît. C’est tout ce qu’il me reste de lui.
Elle marmonne je ne sais quoi dans sa barbe, puis se dirige vers la porte de la chambre.
— Je sais ce que je dis, ma petite Al. Ce n’est pas normal de parler à un mort.
Elle se retourne brusquement, une main sur la hanche.
— Bon… On y va ou on reste ici à discuter du spectre ?
Les vieux, je vous jure… Il faut vraiment se les farcir.
15 commentaires
FeizaBabouche
-
Il y a 7 ans
Lana.M
-
Il y a 7 ans
Jeanne F.
-
Il y a 7 ans
writerinhell
-
Il y a 7 ans
Jeanne F.
-
Il y a 7 ans
Anaïs M x Cindy C
-
Il y a 7 ans
Jeanne F.
-
Il y a 7 ans
Aliena
-
Il y a 7 ans
IsaLawyers
-
Il y a 7 ans
Aliena
-
Il y a 7 ans