Fyctia
La rencontre
En voyant entrer le visiteur, les chiens à demi endormis dans l’aura chaleureuse du foyer ouvrirent un œil prudent. Ils se redressèrent, aux aguets, prêts à recevoir un ordre qui ne viendrait jamais. Plus d’un mâle orgueilleux avait goûté de leurs crocs, mais le nouveau venu possédait la faculté de les commander et plus encore, de les détourner de leur maîtresse – un don qu’elle jalousait vertement.
Un léger trottinement annonça l’arrivée de la levrette, qui s’avança vers lui et posa ses fines pattes avant sur sa jambe, implorant son intention. Le jeune homme la flatta en souriant.
« Va, à présent », souffla-t-il.
La petite chienne lui obéit immédiatement, l’échine courbée. Elle regagna la chambre sans un coup d’œil vers Hermine, à qui elle était pourtant si soumise.
« Eh bien, puisque tu es venu me consulter, parle », ordonna la propriétaire des lieux après avoir refermé la porte et s’être installée dans son fauteuil.
Avec mesquinerie, elle choisit de le laisser debout, comme un enfant ou un serviteur, afin de garder l’avantage. Son demi-frère enfouit ses mains dans ses poches, adoptant cette posture désinvolte qui agaçait tant la chasseresse. Ses paupières s’étaient abaissées sur son regard vif et attentif. Le feu jouait sur les reliefs de son visage, dissipant l’illusion de banalité. Ses traits fins et spirituels possédaient une indéniable beauté, autant, sans doute, que ceux de Léo, mais d’une façon moins voyante. Il ne s'en souciait guère ; après tout, c'était son esprit qui constituait son arme principale, non son apparence.
« Léo t’a donc parlé de… toute cette affaire ? »
Hermine haussa les épaules :
« Crois-tu que je t’aurais admis ici, si ce n’était pas le cas ?
— Peut-être… Après tout, il semblerait que tu sois concernée de près par cette histoire.
— Tu penses que je le suis plus que toi ? » susurra-t-elle avec malice.
Elle laissa sa voix chargée de sous-entendus résonner dans la pièce, portée par l’écho des non-dits qui soulignaient chaque syllabe. Le jeune homme aurait dû baisser les yeux, exprimer de la gêne, voire de la contrition… mais il n’en fut rien. Il la fixait d’un regard où se mêlaient de façon paradoxale l’insolence et un certain respect.
Hermine ne trouvait pas son arrogance si malvenue, lorsqu'elle songeait à l’étendue de ses talents et à tout ce qu’elle lui devait, à son grand chagrin. Même si elle ne le lui aurait jamais avoué, elle le jugeait plus tolérable que les autres membres de sa famille.
« Eh bien, que sollicites-tu de moi ? »
Son demi-frère inclina la tête et laissa ses longs cils voiler son regard, avant de le relever vers elle, franc, direct et luisant d’un argent pur.
« Une créature hante les rues de Paris. Un voleur éthéré, né d’une magie lunaire… et d’une magie de mort. Je sais défaire les fils qui corrompent la mort. Mais pas ceux de la Lune. Toi, par contre, tu contrôles ce savoir ! »
Les paroles d’Henri ne surprenaient guère Hermine, surtout après les explications que Léo lui avaient fournies.
« Tu ne l’as jamais appris aux côtés d’Hekátê ? susurra-t-elle d'une voix pernicieuse. Oh, mais j’oubliais… Ce n’était guère l’objet de vos… conversations, je suppose ?
— Notre relation ne se résumait pas à ce que tu insinues, rétorqua son demi-frère. Nous avions d’autres sujets d’entente ! Après tout, nous étions chacun maîtres d’un savoir qui nous était propre. Par ailleurs, nous n'avons jamais fait étalage de notre liaison, reconnais-le ! C’est cette discrétion qui a adouci le regard de mon père et de mon oncle sur nos incartades…
— Dis plutôt qu’ils se sont trouvés face à leurs hypocrisies respectives, asséna Hermine d’un ton dur. Je ne cherche pas à la défendre, mais ils l'ont aussitôt soupçonnée de vouloir se servir de toi ! Sans doute ont-ils eu peur de perdre leur outil préféré ! Et toi, des maîtres que tu idolâtrais... Tu ne t’es pas beaucoup ému de sa déchéance ! »
Henri baissa la tête ; sa mâchoire se crispa.
« Je ne l’ai pas abandonnée, contrairement à ce que tu insinues. Tu sembles oublier que notre père a été conquis par ses talents de persuasion et qu’il lui a donné sa chance, en la comblant de plus d’honneurs que je n’en ai jamais reçus ! Ainsi, il l’éloignait des domaines de notre oncle, qui craignait qu’elle n’intriguât contre lui. Mais elle ne supportait pas cette vie trop sage… Cela n’entrait pas dans sa nature. Elle a toujours été attirée par les interdits. Et à partir du moment où les maîtres de l’Olympe ont toléré notre relation, Hekátê ne lui a plus prêté la moindre valeur. Elle s'est détournée de moi pour de nouveau sombrer dans ses penchants les plus obscurs ! »
Il se frotta les paupières d'une main lasse :
« Ce sont des histoires du passé, tu le sais autant que moi. Le monde a changé. Nous avons changé, même si nous refusons de le reconnaître. Quand bien même nos anciennes… relations ne rentrent pas dans le contrat qui nous lie à cet État, leurs incartades mettent en danger notre sécurité et nos avantages ! Je n’ai pas la preuve absolue de son implication, mais cela n’a que peu d’importance, finalement. »
Hermine s’étira dans le fauteuil moelleux, jouissant de l’inconfort de son visiteur comme d’un spectacle de choix ; Henri ne pouvait tout esquiver d’un bon mot ou d’une pirouette, et ce fait la rassurait.
« Et quel avantage aurais-je à t’aider ?
— Tu éviteras d’être considérée comme la responsable de ces agissements. Tu contribueras à préserver l’ordre des choses. Tu empêcheras une intruse d'empiéter sur ton domaine. Peu importe la raison exacte ! Je veux trouver des armes pour libérer cette invocation contre nature.
— Si j’ai bien compris, tes amis du gouvernement s’inquiètent juste de voir sévir un cambrioleur qu’ils ne peuvent arrêter. Peut-être, pour les moins ignorants d’entre eux, que quelqu’un se livre à une magie qu’ils réprouvent. Certes, cette créature n’aurait pas dû exister, mais elle n’a commis aucun crime de sang. Ce jeu semble bien innocent, selon toute apparence... »
Hermine ne croyait pas vraiment à ses propres paroles, mais elle voulait le pousser dans ses retranchements. Elle restait une chasseresse, qui trouvait plaisir à jouer avec sa proie. C’était sans compter l’obstination de son frère… et ses pouvoirs de persuasion, auxquels même elle trouvait difficile de résister. Les yeux du « morveux » étincelaient de cette lumière vif-argent qui la transperçait jusqu’au plus profond de son être.
« T’es-tu sentie troublée ces derniers temps ? As-tu vu dans tes rêves des choses que tu aurais préféré oublier ? »
Son ton devenait insistant, son regard toujours plus brûlant. Hermine détourna les yeux, décidée à ne pas laisser son demi-frère prendre de l’ascendant sur elle. Malgré tout, elle entendit sa propre voix répondre, profonde et vibrante :
« Oui… j’ai perçu les échos de cette magie interdite… Ne suis-je pas liée à la Lune ? »
6 commentaires
Véronique Rivat
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Il y a 5 ans
Carazachiel
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Il y a 5 ans
Marie-Eve Tries
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Il y a 5 ans
Mac Leod
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Il y a 5 ans